Rached Ghannouchi est conscient des surenchères des autres partis pour intégrer «son» gouvernement. Les islamistes préféreraient avoir la caution ou le soutien du président Kaïs Saïed. Ainsi, pensent-ils, ils pourraient être épargnés par la fureur populaire. Ghannouchi adopte la tactique de feu Béji Caïd Essebsi.
L’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) annoncera, ce matin, les résultats définitifs des élections législatives, confirmant la victoire d’Ennahdha, avec 52 sièges, sur les 217 de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le tribunal administratif a délivré, hier, ses dernières sentences en appel. La voie est ainsi ouverte au président Kaïs Saïed pour appeler Rached Ghannouchi et le charger de nommer la personnalité, choisie par Ennahdha, pour diriger le prochain gouvernement. La tâche n’est pas de tout repos.
Loin de toute manipulation politicienne, une petite somme arithmétique montre qu’avec leurs 52 députés, la piste des islamistes d’Ennahdha est minée vers la formation du gouvernement. Il leur faudrait 57 autres députés pour acquérir les 109 de la confiance au gouvernement à l’ARP. 80 à 90 députés seraient nécessaires pour asseoir, avec ceux d’Ennahdha, une stabilité gouvernementale, ce qui est loin d’être évident, puisque les partis ont peur de la crise socioéconomique régnant en Tunisie et risquant de mettre en péril le prochain gouvernement. L’équation est d’autant plus difficile que les autres partis peuvent se montrer gourmands, sachant qu’Ennahdha a besoin d’eux.
Casse-tête
En termes pratique, seule l’Alliance de la dignité et ses 21 députés, des mécontents d’Ennahdha, sont disponibles d’aller avec Ghannouchi. Mais, 52 + 21 = 73 ; c’est le tiers bloquant, pas la majorité des 109, nécessaires pour gouverner. Les autres partis multiplient les surenchères. Le Courant démocratique (22 sièges) continue à exiger d’attribuer la présidence du gouvernement à une personnalité politique indépendante, ayant un programme et du caractère. Ce Courant demande également de contrôler les ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Réformes administratives, pour cerner la corruption.
Le président du Courant, Me Mohamed Abbou, était déjà ministre chargé de la Réforme administrative, en 2012, sous l’islamiste Jebali. Mais, il a démissionné, au bout de neuf mois, faute d’un véritable désir de lutte contre la corruption, chez les islamistes, selon Abbou. Il continue à dire la même chose, concernant Ennahdha.
Le parti nationaliste Mouvement du peuple (16 sièges) s’attaque, lui-aussi, à Ennahdha et considère qu’ils assument, avec Nidaa Tounes, l’échec de la transition socioéconomique. Leur chef de parti, le député Zouhair Maghzaoui, ne cesse de s’attaquer, de front, à la gouvernance des cinq dernières années, l’accusant d’être à l’origine de la crise actuelle. Le Mouvement du peuple dit «préférer, pour le moment, se placer dans l’opposition, faute d’un programme efficace de gouvernance et de compétences intègres, capables de le mettre en œuvre», selon le député Salem Labiadh, ancien ministre de l’Education, avec l’islamiste Ali Larayedh, en 2013. «Les temps sont certes plus difficiles et l’opposition est plus facile à gérer», selon le chroniqueur Thameur Mekki, sur Mosaïque Fm.
Alternatives
Ennahdha a certes dit qu’elle ne s’alliera pas avec Qalb Tounes de Nabil Karoui. Les sympathisants de ce parti ont par ailleurs dit la même chose. Toutefois, de récentes tractations essaient de réunir Qalb Tounes, Tahya Tounes de Youssef Chahed (14 sièges), Machrouaa Tounes de Mohsen Marzouk (4 sièges) et Nidaa Tounes (03 sièges), soient toutes les composantes dérivées du Nidaa historique, fondé par le défunt président, Béji Caïd Essebsi. Ensemble, ils réuniront 59 sièges. Ces partis peuvent avoir une majorité d’au moins 111 sièges, avec les islamistes d’Ennahdha. Ce sera, par ailleurs, la continuité de l’ancienne gouvernance du dernier mandat, avec la majorité sortante, formée par Ennahdha, Tahya Tounes, Machrouaa Tounes et quelques indépendants.
Pour stabiliser ce nouvel équilibre, un «accord de Carthage 3», l’idée est de solliciter le président de la République, Kaïs Saïed, pour ramener les autres formations, notamment le Mouvement du peuple. «A l’opposé du Courant démocratique de Abbou, Maghzaoui et ses amis de Haraket Chaab, ne seraient plus aussi récalcitrants, lorsqu’ils savent que la majorité est déjà acquise», pense Haythem Mekki. Il n’empêche que l’équation sera difficile à résoudre pour les islamistes d’Ennahdha. Les tractations politiques réelles ne sont pas aussi faciles que sur le papier. L’avenir est loin d’être certain en Tunisie.
Source: El Watan/Mis en ligne : Lhi-tshiess Makaya-exaucée