Trente ans après son accession au pouvoir, la popularité du Swapo s’est bien érodée. En cause notamment, la corruption et des promesses économiques non tenues.
Le parti au pouvoir signera-t-il une énième victoire dans les urnes ? Les électeurs sont en tout cas invités, ce mercredi 27 novembre, à élire leur président et les 104 députés qui siègeront à l’Assemblée nationale. Dans cette ancienne colonie dirigée par l’Allemagne puis par l’Afrique du Sud jusqu’en 1989, le suspense n’est pas vraiment insoutenable. Car si ailleurs, au Mozambique, en Afrique du Sud ou en Angola, les mouvements de libération ont perdu avec les années la confiance d’une partie de la population, le Swapo, lui, a remporté tous les suffrages jusqu’en 2014. Cette année-là, le candidat à la présidentielle pour le parti et actuel président Hage Geingob avait récolté 87 % des voix.
Cinq ans plus tard, les Namibiens seront-ils aussi dithyrambiques ? Pas sûr. Car la corruption et les scandales qui l’accompagnent sont passés par là. « Le Swapo qui fait face à l’électorat n’est plus le même que celui de ces jours grisants de 1989, lorsque le peuple fièrement et les larmes aux yeux s’alignait pour voter pour Sam Nujoma », regrette le journal local The Windhoek Observer. À l’époque, pour les premières élections démocratiques du pays, la participation avait atteint des records. Près de 97 % des 700 000 électeurs s’étaient déplacés. Les récentes démissions « forcées » de deux ministres du gouvernement ont sérieusement entaillé la popularité du parti au pouvoir.
As President, I will make sure that the SWAPO Party Government delivers on the promise made to those who have elected the Party and yours truly, to lead. I will continue to advance our narrative of the Namibian House, bringing people together. pic.twitter.com/9WfEMtg2a4— Hage G. Geingob (@hagegeingob) November 23, 2019
Un parti miné par la corruption
Bernard Esau et Sackeus Shanghalaont, en charge des portefeuilles de la Pêche et de la Justice, ont tous deux présenté leur démission, après avoir été mis en cause pour corruption dans le cadre d’un contrat accordé à une entreprise de pêche. Selon des documents révélés par le site WikiLeaks, en collaboration avec plusieurs médias, dont le quotidien The Namibian, la société de pêche Samherji, basée en Islande, aurait versé des pots-de-vin à de hauts responsables namibiens pour s’assurer l’accès aux ressources halieutiques de la Namibie. Celle-ci s’était également engagée à construire des infrastructures en Namibie et à créer des emplois. Ces engagements n’ont jamais été tenus. Bernard Esau a finalement été libéré ce dimanche 24 novembre, à cause d’une « erreur » dans le mandat d’arrêt. Mais le mal est fait.
Pour The Windhoek Observer, qui comparent le scandale « Hatuikulipi », du nom de la famille impliquée elle aussi dans l’affaire à celui des Gupta en Afrique du Sud, « le président doit s’expliquer ». « Il n’est pas possible d’empocher des milliards sans que personne autour n’en sache rien. Les requins peuvent sentir la plus petite des gouttes de sang dans l’océan. Et finissent toujours par prendre leur part. » Henning Melber, professeur à l’université de Pretoria et chercheur à l’Institut nordique d’études africaines, assure, lui, que « ce scandale ne fait que confirmer une situation que les gens soupçonnaient déjà ». « La corruption persistante et à grande échelle au sein des plus hauts niveaux de gouvernement et de l’administration publique, ainsi que dans les entreprises d’État a généré de la lassitude chez les Namibiens, explique-t-il. Pour la première fois, le soutien au parti au pouvoir et au président pourrait diminuer. Cette année, la question n’est pas de savoir si le Swapo gagne, mais quel sera son score. »
Une situation qui préoccupe au sein même du parti. Son aile jeunesse, la Swapo Party Youth League (SPYL), souhaite « la disqualification des personnes qui doivent comparaître devant un tribunal pour activités corrompues et celles qui ont été reconnues coupables de corruption », a fait savoir son secrétaire chargé de l’information et de la mobilisation, Gerson Dumeni, affirmant que « leurs actions ternissaient l’image de leur parti ». « Plusieurs membres du parti au pouvoir qui se disputent les sièges à l’Assemblée nationale ont été soit condamnés, soit impliqués dans des activités de corruption », rapporte d’ailleurs le quotidien The Namibian. Exemple, la candidate Katrina Hanse-Himarwa, « ancienne ministre de l’Éducation et reconnue coupable de corruption devant un tribunal ».
« De vieilles promesses économiques »
Le pays bénéficie contre toute attente d’un niveau de corruption plus faible que dans la plupart des autres pays d’Afrique subsaharienne, au 53e rang sur 176 du classement Transparency International. Un point sur lequel Hage Geingob pourra s’appuyer pour défendre son bilan, pas plus reluisant côté économie. Le constat de The Namibian est sans appel : « La Namibie traverse la pire dépression économique que le pays ait connue, écrit-il. Et tandis que d’autres pays africains tels que le Rwanda ciblent les nouvelles technologies et l’innovation en tant que pilier de leur économie, les autorités namibiennes insistent sur leurs promesses dépassées. Le Swapo, au pouvoir depuis près de 30 ans, se contente de publier un manifeste de promesses vagues, telles que “réduire davantage l’inégalité des revenus”, promouvoir la création d’emplois et de richesses ainsi que l’industrialisation. »
Le journal explique ainsi que si pour le pouvoir, 2030 est « l’année de la Namibie industrialisée », rien n’est expliqué à la population sur les moyens d’y arriver. Pour le média, en entretenant ce flou, le parti montre bien qu’il se repose, un peu trop, sur ses acquis. Et pourtant, il y a du travail, tant les maux économiques de la Namibie sont nombreux. D’abord, le pays peine à sortir de la récession. D’après les experts du Fonds monétaire international (FMI) dépêchés sur place au début du mois de juin, le PIB du pays, estimé à 1,4 % – entre 2010 et 2015, la croissance tablait à 5 % – devrait se contracter en 2019. En cause ? Un épisode grave de sécheresse qui affecte les récoltes, la baisse de la production de diamants, un des produits phares de l’exportation du pays, et la crise à laquelle fait face en ce moment son premier partenaire commercial, l’Afrique du Sud.
Aujourd’hui, le pays est au 2e rang des pays les plus inégalitaires selon la Banque mondiale, derrière son voisin sud-africain. Près de 34 % de la population est au chômage – c’est d’ailleurs la première préoccupation des Namibiens d’après un sondage Afrobaromètre publié en août – et en septembre, plus de 700 000 personnes dans le pays, soit plus du quart de la population, avaient besoin d’une aide alimentaire. « La présidence et le parti ont fait des promesses populistes qu’ils n’ont jamais tenues, affirme Henning Melber. Alors que les classes moyennes étaient invitées à faire des sacrifices, les élites continuaient à vivre au-dessus de leurs moyens. Cela n’est pas resté inaperçu. »
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Ceux qui tirent leur épingle du jeu
Et cela pourrait détourner le vote des Namibiens vers d’autres candidats, à l’instar de Panduleni Itula. À 62 ans, cet ancien dentiste et avocat « pourrait recevoir un certain nombre de soutiens », étant à la fois candidat indépendant à la suite de tensions internes, mais toujours membre du Swapo. La recette, parfaitement dosée, lui assure « l’appui de la forteresse traditionnelle du parti, mais aussi celui des jeunes générations frustrées, qui votent contre Geingob », explique le chercheur. Autre challenger qui peut compter, le « Landless People’s Movement », Mouvement des peuples sans-terre (LPM), créé en 2016. Le parti, qui se concentre presque exclusivement sur la question foncière, « intéressera principalement les membres de certaines communautés ethniques », mais pourrait devenir le plus puissant des petits partis d’opposition, tant la question préoccupe en Namibie, selon Henning Melber.
En 2019, 70 % des terrains agricoles sont encore détenus par une minorité blanche, qui ne représente que 8 % de la population. Une situation qui perpétue les inégalités raciales et les déséquilibres entre les classes sociales. Le Swapo est d’ailleurs « régulièrement critiqué pour son incapacité à réparer les torts causés par la colonisation », écrit The Windhoek Observer. Il y a un an, lors d’une réunion sur le sujet, le président avait déclaré qu’il y aurait bien des expropriations pour les fermiers blancs, mais qu’elles s’accompagneraient d’une compensation financière. « Ce pays est aussi le vôtre », avait-il dit à la minorité blanche. Mais la question, débattue dans un nouveau programme de 40 résolutions, le « Revised National Resettlement Policy 2018-2027 », est encore loin d’être résolue. À l’heure actuelle, « seulement 2,2 % des 243 000 Namibiens estimés avoir besoin de terres en ont bénéficié, même si plus de 62,81 % des terres ciblées ont été acquises pour la réinstallation », souligne le journal.
Même si le parti gardera certainement la majorité des votes, cette fois, « les électeurs pourraient être moins nombreux », assure Henning Melber et les couleurs bleu, rouge et vert de la Swapo de Sam Nujoma, moins visibles dans les rues de Windhoek. Pour l’hebdomadaire local, « le parti prend le même chemin que le Zanu-PF du Zimbabwe ». « Il disposera certes d’une base de vote solide et inattaquable dans les zones rurales », mais « son soutien dans les villes et villages et dans les régions à faible densité de population continuera à dépérir. Et la classe moyenne urbaine demandera des comptes au gouvernement ».
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée