Pertinent et ferme, ce quinquagénaire qui a fait des études en Allemagne a tout d’un germanique. Cohérent et structuré. Dans son bureau dans les locaux de Deux Plateaux Les Perles qui lui servent de siège, un impressionnant éléphant, symbole du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Pdci. D’entrée de jeu et faisant allusion à l’alliance qui a, pendant huit années, uni son parti au Rassemblement des républicains (Rdr), il lance une blague « un éléphant ne rentre jamais dans une case, il peut seulement y introduire la tête ». De sa candidature passée (en 2015), il ne regrette rien, « puisque la suite a fini par me donner raison » ironise celui qui est arrivé en troisième position. Mais ce très proche de l’ancien président dont on dit « un radical du bédiéisme » aurait voulu épargner à Henri Konan Bédié cet épisode. « Il est mon père » insiste-t-il, avec un brin de remord. Mobilisateur et combatif, Konan Kouadio Bertin (KKB) aura dirigé la jeunesse du parti pendant treize années. Au fil des années, celui qui a réussi à faire revenir au pays en une année l’ancien président ivoirien victime d’un coup d’état en 1999 a construit des relations très affectives avec le Sphinx de Daoukro. Bédié a d’ailleurs été son parrain de mariage et il lui est reconnaissant de lui avoir donné des occasions de servir son pays. Il a déjà annoncé ne pas être candidat en 2020 contre son « père » mais compte tenu de son expérience de la campagne électorale, il espère être l’oiseau rare qui ramènera le Pdci au pouvoir. Mais on en est encore loin. En attendant, ce député futé et intelligent fait discrètement du lobbying, insiste sur l’union de l’opposition, ressoude les liens avec Nzueba, affectueux pseudonyme de Bédié et travaille à une nouvelle Côte d’Ivoire. Homme de réseaux, amusant et accessible, il a, en 2015, incarné une certaine jeunesse ivoirienne. Prolifique, ce fils de paysan qui l’assume en bon baoulé, ethnie du centre de la Côte d’Ivoire (25% de la population) se livre à Afrika Stratégies France. Percutant et éloquent, sans rien perdre de son sens de critique. Lecture !
Lors de la présidentielle de 2015, vous étiez 3e. Pourquoi avoir renoncé cette fois-ci ?
Moi je suis baoulé, je ne m’en cache point. Je suis fils de paysan. Quand comme moi, on a été baoulé et fils de planteur, on a une culture forte de loyauté. Je ne dis pas que je suis venu au Pdci-Rda parce que je suis baoulé, j’y suis venu par fortes convictions. Etant républicain, j’ai été donc choqué par le coup d’Etat de 1999 qui a renversé un président élu. Dès lors, je me suis promis trois choses. Disons trois engagements. Ramener le président Henri Konan Bédié au pays, je l’ai fait en une année. Je mets au défi quiconque pour m’en dire le contraire. Ensuite, je devais le réinstaller à la tête du parti, je l’ai réussi en 2002. Une tâche d’autant plus délicate que des cadres du Parti ont fait une réunion pour l’écarter de la présidence comme s’ils cautionnaient ce coup d’état. Mon troisième engagement est de le réhabiliter et de le faire président de la République, je n’y suis pas encore parvenu, mais je le ferai. Je suis animé par la ferme conviction que notre parti ne doit pas disparaître avec la mort de Félix Houphouët-Boigny. C’est pour cela qu’en 2015, alors que le parti a décidé d’avoir un candidat, naturellement en la personne de Bédié, ce dernier s’est retrouvé à Daoukro et a changé ces bases décidées de commun accord pour ne pas être candidat. J’étais contre, tout comme j’étais contre le ralliement ou l’alliance avec le Rdr. J’ai dû donc, contre l’avis de mon « papa » Bédié, me retrouver candidat. Cette décision a été plus que douloureuse mais je n’avais pas le choix. Mais je l’ai déjà dit, je le répète, si Bédié est candidat en 2020, je ne serai pas candidat contre lui. Et bien naturellement, s’il m’appelle à ses côtés, et je l’espère, je travaillerai à sa victoire.
Si à défaut du président du parti, quelqu’un d’autre est choisi, autre que Henri Konan Bédié, le soutiendrez-vous ?
Si quelqu’un d’autre est choisi, dans les conditions que je vous indique, alors, par loyauté, par discipline, ce qui est valable pour Bédié, doit l’être pour n’importe lequel d’entre nous. Si moi je suis le premier à dire que je ne veux pas m’aligner et si on me choisissait, que feront les autres ?
Pour une élection, l’instrument le plus important, c’est la Commission électorale, la Cei. Après sa récente installation, elle a été contestée par certains partis politiques dont le vôtre. Iriez-vous tout de même à la présidentielle avec cette commission électorale?
Je vous renvoie encore quelques années en arrière, j’étais déjà député et je me suis opposé à cette Cei déjà en 2012, 2013, 2014. Je dis les mêmes causes produisant les mêmes effets, si on n’y prend garde, de la même façon que cette Cei, pendant qu’elle n’a pas changé, nous a conduit à la guerre en 2011, elle peut encore nous attirer des ennuis. C’est pourquoi je dis, nous sommes dans le pays d’Houphouët-Boigny et ceux qui sont au pouvoir se réclament d’Houphouët. Si on n’y prend garde, les ingrédients sont en train d’être mis en place encore, pour un blocage. Nous serons face à une situation où, soit on va à une insurrection, soit on va au dialogue. Qu’est-ce qu’on doit choisir ? Le dialogue.
Mais qu’est-ce que vous reprochez concrètement à la Cei?
Elle est anticonstitutionnelle. Il faut qu’elle soit une Cei qui soit conforme aux prescriptions de notre constitution. Celle qui existe en ce moment est loin d’être conforme aux prescriptions de la constitution, rien que pour ça, je ne peux pas donc accepter…
De façon concrète, qu’est-ce qu’il faut changer pour que cette Cei soit viable ?
D’abord, son indépendance. Actuellement, elle ne rassemble que des membres de la même couleur politique. Il faut une Cei qui rassemble les grandes tendances du pays et qui fasse assidûment l’objet d’un consensus, sinon nous irons au chaos. La question de la carte d’identité doit être prioritaire. N’oubliez pas qu’il y a eu la guerre parce que trois millions d’ivoiriens avaient été exclus. L’Etat s’est engagé à Marcoussis (localité de la banlieue parisienne où se sont déroulés des pourparlers entre ivoiriens, Ndlr). Aujourd’hui, ils sont encore plus nombreux à ne pas avoir de pièces d’identité. Le gouvernement leur demande de payer cinq mille, ce qui est colossale. Il faut faciliter l’accès aux pièces d’identité pour permettre à un plus grand nombre de voter.
Puisque vous parlez de l’identité, on a eu l’impression ces derniers mois, que le relent identitaire revient dans le discours du président de votre parti avec la question d’orpailleurs étrangers. Est-ce que vous n’avez pas peur que ces relents identitaires ne produisent de la violence ?
Pas d’amalgame là-dessus. Le président Bédié évoquait un problème réel. C’est vrai que l’ivoirité a posé beaucoup de problèmes à notre pays, mais dénoncer l’orpaillage clandestin, cela n’a rien d’ivoiritaire.
Un autre problème de l’opposition ivoirienne, le principal, c’est l’union. Les égos ont entretenu trop de grands candidats. Bédié, Soro, Affi Nguessan, Mamadou Koulibaly… Est-ce que cela ne vous empêche pas de faire efficacement face à la machine d’Etat qu’est le Rhdp ?
C’est la preuve qu’il nous manque (et je pèse bien mes mots), une maturité politique. Regardez en France, en 2002, Jacques Chirac s’est retrouvé face à Jean-Marie Lepen. Les socialistes en France sont reconnus pour être les rivaux traditionnels de la droite. Mais ils viennent tous sans conditions, se mettre autour de Chirac, pour freiner Jean-Marie Lepen. Parce que tous les Français sont unanimes pour dire qu’ils ne veulent pas que la France soit gouvernée par les idées de Jean-Marie Lepen. Hier, sous nos yeux, le président Macron s’est retrouvé avec la fille de Jean-Marie Lepen, même scénario. Le rassemblement s’impose donc à nous pour l’intérêt des ivoiriens. Nous devons nous mettre ensemble. Mais pour l’instant, nous n’en sommes pas là. C’est d’ailleurs pour cela que les gens croient que Blé Goudé et moi sommes en train de construire la classe politique de demain. Blé Goudé est connu comme de la gauche, moi de la droite, nous en sommes conscients, mais nous sommes Ivoiriens. Nous prenons l’engagement de dire que nos ambitions ne peuvent pas nous conduire demain à mettre la vie des Ivoiriens en péril. L’union s’impose à nous.
Alassane Ouattara entretient un certain flou sur sa candidature éventuelle, il l’a dit récemment, si des gens de sa génération, notamment votre président, Bédié, et Gbagbo sont candidats, il le serait…
Monsieur Alassane Ouattara, je l’ai entendu souvent dire qu’il veut bâtir un grand pays. Les ponts et les échangeurs ne suffisent pas pour dire qu’un pays est grand. La grandeur d’un pays se mesure aussi dans la stabilité de sa constitution. La Côte d’Ivoire, mon pays, ne peut pas injustement se mettre sur la liste de ces Etats qui sont abonnés au tripatouillage des constitutions, ce n’est pas bien. Cela n’honore personne, mais au-delà de ça, la politique est avant tout éthique et elle est morale. Alassane Ouattara a dit récemment, il n’y a pas si longtemps que quand un Ouattara dit, il le fait. Mais Alassane ne peut pas faire mentir un Ouattara. Puisque Alassane lui-même a dit vouloir passer le pouvoir à une nouvelle génération. En Côte d’Ivoire on dit « ce qui est dit est dit ». Le problème n’est plus de savoir, si Bédié est candidat ou pas. C’est Alassane lui-même qui le premier, a suscité la candidature de Konan Bédié, par la modification de notre constitution. L’ancienne constitution fixait la limite de la candidature à 75ans. Si on n’avait pas modifié cette constitution, Bédié ne serait pas aujourd’hui dans le débat. Ce que je retiens, Alassane Ouattara a dit que quand un Ouattara dit, il le fait et le Ouattara a dit qu’il passera le témoin, je lui fais confiance pour tenir parole.
La Côte d’Ivoire, un magnifique pays. Et économiquement en forme depuis que Ouattara est là, la croissance est à 8%, le budget en augmentation l’année prochaine de 10%, l’inflation annuelle est maîtrisée à 0,4%, le minimum c’est que économiquement le pays est au vert.
Ces dernières années, je vous informe au passage, qu’il semble que tous les Africains qui meurent en mer sont majoritairement des Ivoiriens, alors comment vous l’expliquez? Quel El Dorado vous décrivez de cette façon là et qui pousse les Ivoiriens en mer ? Si tout allait aussi bien que vous le dites, la jeunesse restera pour développer le pays.
Quand vous jetez un coup d’œil sur les 10ans que Ouattara est en train de faire au pouvoir, votre parti a d’ailleurs fait 8ans avec lui, quels sont les domaines dans lesquels vous estimez que la majorité présidentielle a réussi ?
La seule chose que je retiens de positif, depuis que Ouattara est au pouvoir, c’est la naissance du Rhdp. Quand Ouattara arrivait au pouvoir avec le Rdr, sur 6 députés que compte la circonscription électorale d’Abobo, vous avez 6 Dioula, à Yopougon, sur 6 sièges, vous aviez 6 Dioula. Au gouvernement, si vous avez 37 membres, vous avez 32 Dioula. Avec la naissance du Rhdp, de plus en plus, on a commencé à se rendre compte que le Rdr fait de son mieux pour étendre son action au profit de l’ensemble des Ivoiriens.
Propos recueillis à Abidjan par MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France