Depuis la publication des résultats provisoires de la présidentielle bissau-guinéenne, Domingos Simoes Pereira conteste la victoire annoncée d’Umaru Sissoco Embalo. Dans cette interview exclusive à « La Tribune Afrique », il déroule ses arguments et répond sur les questions d’avenir.
La Tribune Afrique – Avant la publication des résultats, vous assuriez que vous n’accepteriez que les résultats provenant d’instances officielles. Pourtant lorsque la Commission nationale des élections (CNE) a annoncé les résultats provisoires vous les avez récusés. Pourquoi ce changement de posture ?
Domingos Simoes Pereira : Ce n’est nullement un changement de position. Je suis et je demeure dans la même posture de légaliste et de démocrate. Je ne récuse pas les résultats donnés par la commission nationale électorale parce que j’ai perdu, je les récuse parce que ces résultats ne sont pas conformes aux vrais résultats sortis des urnes, ces résultats n’ont rien à voir avec l’expression du vote des citoyens bissau-guinéens. Comme vous l’avez précisé, ci-dessus, les résultats annoncés par la CNE le 1er janvier 2020 étaient provisoires ! La République de la Guinée-Bissau possède une Constitution et des lois qui nous autorisent à nous saisir de la Justice en cas d’irrégularités dans le processus électoral.
Au second tour, Umaro Sissoco Embalo a fédéré autour de sa personne presque la totalité des autres candidats. Est-ce que votre contestation ne va pas à l’encontre de l’arithmétique électorale ?
Je ne vous apprends rien quand je dis qu’une élection présidentielle est la rencontre entre un homme et son peuple. Nous sommes convaincus que les citoyens sont suffisamment matures pour voir clair dans les propositions et les orientations de chacun des candidats. Je tiens tout de même à souligner que cette entente de circonstance entre ces malheureux candidats autour de la candidature d’Umaro Sissoco Embalo n’a pas été approuvée par l’ensemble de chacune de leurs formations politiques : Jomav, Cadogo et Nuno Nabiam. Leurs bases électorales ont rejoint ma candidature alors que certains cadres ont suivi les recommandations de leurs candidats.
Cette arithmétique n’a plus lieu d’être, car elle est faussée par ses mouvements et éparpillement de voix. Le second tour des élections était carrément un autre enjeu. D’ailleurs le fait que les trois candidats malheureux du premier tour ayant obtenu le plus de voix a été un élément motivateur pour les populations qui se sont intéressées davantage au débat politique et aux différents programmes des candidats.
Ce qui résume à dire que la politique n’est finalement pas une science exacte. Donc la victoire revient au candidat qui aura convaincu le plus grand nombre d’électeurs. Ma contestation est basée sur des faits objectifs et frauduleux qui ont été recensés et mis à la disposition de la Cour Suprême pour son appréciation.
Vous avez introduit un recours devant la Cour suprême pour faire annuler des résultats provisoires que vous jugez entachés de fraudes. Quelles preuves constituent les pièces de votre dossier de recours ?
Nous avons constaté de graves anomalies et d’inquiétants éléments dans le processus qui a conduit à ce que nous avons entendu comme chiffres avancés par la Commission nationale des élections. Pour des raisons évidentes de l’enquête en cours suite à notre recours, je ne peux vous donner que de maigres informations notamment celles que j’ai souligné lors de ma conférence de presse, samedi dernier à Bissau : nombre de votants supérieurs au nombre d’inscrits dans plusieurs bureaux de vote – en cumulant le nombre de votes, d’après nos derniers décomptes, il dépasse les 100 000 voix ; liste électorale de la CNE différente de celle fournie par le GETAP, l’organisme qui collecte les données ; plaintes dans les différents bureaux de vote, qui n’ont pas été reçu répondu correctement ; tables de vote où les électeurs étaient au-dessus des inscrits. En dehors de cela nous avons des supports vidéo et audio qui étayent nos dénonciations.
Avec votre recours, ne craignez-vous pas la répétition d’une crise politique en Guinée-Bissau ?
Au contraire c’est pour éviter une crise politique à mon beau pays que nous avons choisi la voie de la légalité de la justice et de la démocratie en déposant un recours devant la juridiction compétente. Je suis convaincu que d’autres adversaires n’auraient pas eu la même attitude démocrate. La vérité, la clarté, la justice et le respect n’ont jamais généré de crise encore faut-il que l’ensemble de la classe politique partage et respecte cet avis. Nous sommes sur la bonne voie. Il faut que les responsables politiques bissau-guinéens commencent par respecter la souveraineté et le choix du peuple. La population est dorénavant éveillée, elle est très attentive aux discours de chacun et ne tolère plus que les Institutions soient bafouées.
Dans l’hypothèse où votre recours serait rejeté, l’accepteriez-vous ? Quelles seront vos actions par la suite ?
J’ai un profond respect pour les Institutions, je suis un légaliste doublé d’un démocrate donc j’estime que l’application de la loi doit prévaloir sur tout, même sur mes ambitions. Lorsque j’ai porté ma candidature, j’ai accepté les règles avant même d’y concourir. Dans chaque élection, les candidats savent, à l’avance, qu’il y aura un gagnant et un perdant, le principal est que tout se fasse dans la transparence, la vérité et selon les règles établies au préalable. Si les éléments de preuves apportées et nos dénonciations ont pu être démontés de façon objective et dans la vérité, je reconnaîtrais et j’accepterais la décision de l’instance. Ce n’est pas la première fois que je le dis. Pour ce qui est de la suite de nos actions à venir, elles seront connues en temps voulu.
Si Umaru Sissoco Embalo est confirmé en tant que président, après épuisement de toutes les voies de recours, vous seriez prêt à travailler avec lui, à devenir son Premier ministre ?
Je voudrais vous dire avec fermeté qu’il ne s’agit pas de ma personne, mais plutôt du pays. La Constitution de notre pays dit clairement comment les choses doivent se dérouler dans le cadre d’un gouvernement bicéphale. Si par voie extraordinaire, mon adversaire qui était en 2e position au premier tour était déclaré gagnant après épuisement des voies de recours, notre parti le PAIGC avisera. Mais sincèrement, je ne suis pas un avide de pouvoir et nous avons, déjà, un gouvernement qui fonctionne et qui est contrôlé par mon parti, le PAIGC. Donc la question ne doit pas concerner ma petite personne.
Source: Afrique La Tribune/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée