Pour Stéphane Martin, le rapport des universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr est un « cri de haine contre le concept même de musée ».
L’ancien président du Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Stéphane Martin, a regretté mercredi 19 février que le rapport Savoy-Sarr sur les restitutions à l’Afrique soit un « cri de haine contre le concept même de musée », alors que les musées français devraient soutenir les musées africains.
Interrogé par la commission de la culture du Sénat, M. Martin, durant vingt et un ans à la tête de ce musée abritant la plus grande collection française d’arts premiers, a estimé qu’il vaut mieux parler de « circulation » des œuvres et de « partage », « passant par des prêts, des dépôts et un certain nombre de transferts de propriétés », plutôt que de restitutions massives que semblait prôner ce rapport remis fin 2018 au président Macron.
« Aucun musée n’a été construit avec de l’argent français depuis les indépendances », contrairement à la Chine qui a financé le musée de Dakar, a-t-il regretté. « On a investi très peu. Il faut aider à la rénovation d’un certain nombre de musées. Il faut bâtir une politique musées-musées ». Il est aussi « urgent de redonner leur dignité aux conservateurs africains », discriminés par rapport aux universitaires. « Un conservateur a peu de débouchés. Il faut insister diplomatiquement pour que ces personnes soient traitées comme elles doivent l’être », avec des « salaires décents ».
Dans leur rapport demandé par le président de la République, les universitaires Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l’université de Saint-Louis au Sénégal, avaient posé les jalons pour une restitution à l’Afrique subsaharienne d’œuvres d’art transférées pendant la colonisation. Ils avaient recensé des dizaines de milliers d’œuvres potentiellement concernées.
Vingt-six œuvres restituées au Bénin
M. Martin s’est étonné que ce rapport ait été confié à deux universitaires, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, « deux personnes qui ne sont pas des gens de musées ». « Ce rapport est un cri de haine contre le concept même de musée, considéré comme une invention occidentale, comme un lieu quasi criminel dans lequel les objets sont plumés, déshabillés, où on leur retire leur magie », a-t-il dénoncé.
Le Musée du quai Branly a accepté de restituer au Bénin vingt-six œuvres qui avaient été volées lors d’une opération militaire française à la fin du XIXe siècle. Depuis le rapport Savoy-Sarr, plusieurs autres demandes ont été émises par des gouvernements africains pour se voir restituer diverses œuvres se trouvant dans les musées français.
M. Martin a cité l’exemple de la statue du dieu Gou au Louvre : « Les Béninois envisagent de nous la demander ». Or cette statue avait été réalisée par un sculpteur d’un pays voisin du royaume d’Abomey fait prisonnier, abandonnée sur une plage, ramenée par un navigateur français. Elle a passé « 150 ans au Louvre » et est devenue une « icône », dessinée et décrite par Picasso et Apollinaire.
Pour lui, la période de la colonisation envisagée par le rapport, entre 1898 et 1962, ne peut être « comparable » à la période de Vichy en matière de restitutions de biens. « Il y a quelque chose d’assez pervers à prétendre que l’universalité [des œuvres d’art] n’est pas une bonne chose. L’idée est répandue (…) à droite comme à gauche, que le monde serait meilleur si l’objet retournait à sa place dans l’église » ou dans un autre lieu d’origine où il a été pris, a-t-il remarqué.
Source: Le Monde Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée