Elu à plus de 70% sur fond de massives irrégularités et d’abondantes fraudes, Faure Gnassingbé rechigne face à la lenteur avec laquelle pleuvent les félicitations traditionnelles. Les dénonciations américaines, la méfiance française, la réserve allemande, la pudique prudence de ses pairs de la sous-région et les remontrances de l’Eglise catholique agacent le président sortant. A 53 ans, celui qui brigue un 4e mandant a été lui-même surpris par son score soviétique qui vient émousser les bulles d’une victoire qui peine à passer. Faits et décryptage !
« Enfin ! » aurait clamé Faure Gnassingbé dans la matinée du 5 mars. Alassane Dramane Ouattara, considéré comme son principal parrain a envoyé son télégramme de félicitations. Un bref message dont le contenu a été vite amplifié par les médias d’Etat. Cela fait dix jours que le président togolais attend des réactions de ses pairs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) qui ont toujours su le bombarder de félicitations dans la foulée des premiers résultats de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Cette fois, il leur a fallu digérer un score que toute décence gardée, aucun d’entre eux ne voudrait avoir. « Ça a fait sourire, on a cru à une blague » rigole un diplomate ouest africain en poste à Lomé. Mais un glaçant désaveu, quelques heures après le message du président ivoirien, Ouattara annonce qu’il ne sera pas candidat pour un troisième mandat, alors qu’entamant, éhonté et fourbu, son 4e mandat, Faure Gnassingbé entend aller jusqu’en 2030. Mais an attendant et malgré les confirmations de la cour constitutionnelle dont il a nommé avec Union pour la République (Unir), son parti, les sept membres, le président togolais devrait patienter pour lire, dans le silence d’un palais où le téléphone ne crépite pas, les rares messages qui lui viennent… de Rabat, Caire, Johannesburg, Yaoundé car dans les capitales occidentales, on oscille bien volontiers entre silence, désintérêt, ou encore, on « prend note » comme Paris.
Récriminations américaine, remontrances « vaticanes » et prudence sous-régionale
Les Américains ont été les premiers à mettre les pieds dans la fourmilière. Dans un communiqué, l’ambassadeur des Etats-Unis est allé sans gang. Il met en doute «la sincérité du scrutin, demande un décompte « bureau de vote par bureau de vote » et dénonce une volonté de limiter l’observation électorale par une mise à l’écart de la société civile. Aucun diplomate occidental n’est jamais allé aussi loin dans des exigences post électorales dans l’histoire du Togo. Les incessants appels téléphoniques et maladroites pressions de membres du gouvernement ne feront pas changer d’avis à Eric Stromayer. Il est resté cramper sur sa position. Cet ancien haut fonctionnaire du service Afrique du Secrétariat d’Etat a une expérience des dictatures et des situations de crise grâce à son poste au Burkina Faso mais aussi à son expérience au Madagascar. Dans le même sens, le Pape François qui a pris l’habitude de féliciter Faure Gnassingbé à chacune de ses élections tout comme son prédécesseur, n’a rien dit. Silence jusqu’à ce que la conférence épiscopale n’exprime dans une série de récrimination la position claire du Saint Siège. Ce souverain pontife de gauche avait, lors d’une visite de Faure Gnassingbé à la Cité sainte en avril 2019, confié Mgr Kpodzro « aux soins du président« . Dans le message des évêques, ils apportent un soutien sans faille à l’insaisissable prélat. Dans la sous-région, silence là encore. Au sein de la Cedeao, à l’exception du laconique message de Alassane Ouattara, aucun autre chef d’Etat n’a daigné féliciter le très victorieux de la présidentielle togolaise. Ni de Berlin, ni du secrétaire général des Nations Unies, ni même de l’Union européenne, aucune félicitations. Mais le président togolais peut se consoler avec un message venant de… Johannesburg. Même si à Lomé, tous les regards sont tournés vers Paris. Malgré les nombreuses missions de conseillers et ministres plus arnaqueurs que lobbyistes, Faure Gnassingbé comptera ses messages post électoraux au bout des doigts.
La courtoisie gauloise fait service minimum
A Paris, Emmanuel Macron qui a déjà crié haut et fort « Est-ce que vous m’avez vu le recevoir ? », parlant de Faure Gnassingbé a fait du scrutin un non-événement. Pas de lettre de félicitations, pas d’appel comme il a l’habitude de faire, pas même un message quelconque. A peine que lors d’une rencontre de routine d’un fonctionnaire du Quai d’Orsay ce jeudi, ce dernier évoque le Togo et la France qui « prend note ». Une formule moins que le service minimum protocolaire qui se réduirait à « prendre acte ». Prendre acte, c’est constater de facto, « prendre note » c’est avoir évasivement entendu parler… Pourtant, l’été dernier, lors d’un show diplomatique, Robert Dussey faisait état de « très bonnes relations entre Paris à Lomé ». Profitant de ce séjour parisien, le ministre togolais des affaires étrangères avait même annoncé la candidature de Faure Gnassingbé. La réaction de Paris ne dénote pas seulement d’un agacement face à « un score qui n’existe plus » pour citer un diplomate occidental à Lomé mais aussi, pour ce scrutin, la fraude a été sans limite et en plein air. Il était devenu impossible pour le jeune président français qui prônait une rupture de s’accommoder de pareilles élections. Si prétextant de la « non ingérence », il est peu probable que la France ne mette une quelconque pression sur le pouvoir de Lomé, il est certain que ce scrutin éloigne de Faure Gnassingbé un rêve d’enfant qu’il rumine pendant ses rares moments de lucidité, « être reçu à l’Elysée ».
A Lomé II, les remords du diablotin
« Faure ne voulait pas de ce score » insiste l’un des visiteurs du soir. Pour cet homme d’affaires qui a financé une partie de la campagne du président togolais, « il a été pris de court » par ces chiffres avancés dans la précipitation. « Il était devenu impossible pour la Ceni de revenir en arrière » regrette-t-il. Résultats, les 72% que la cour constitutionnelle a vainement tenté de ramener sous la barre de 70% n’ont pas plu à Gnassingbé, mais c’était tard. Les premières tendances des résultats arrivées à la Ceni ont donné une nette avance pour Agbéyomé Kodjo, arrivé en deuxième position avec un peu plus de 19% selon les résultats officiels qu’il rejette à raison. Alors, pour éviter un second tour ou une victoire de l’opposant dès le premier tour, l’industrie de la fraude a été déclenchée dans le nord du pays, visant prioritairement les préfectures dirigées par des militaires. Sur une quarantaine de départements au Togo, une dizaine est aux mains de préfets militaires. « Ce sont ces préfectures qui ont été les plus mises à contribution pour la fraude » confie un cadre du parti au pouvoir. Espérant, à bout de ces nombreuses irrégularités, tourner autour des 60% habituel, la Ceni se retrouve à 72%. C’est ce qui justifie ce score pléthorique qui a dérangé dans un premier temps le président sortant qui n’avait plus le choix. Depuis, sur les réseaux sociaux, dans les médias traditionnels et les rues de Lomé, les populations tournent en dérision un score qui est devenu vite amusant pour l’humour. Un buzz qui fait moins sourire Faure Gnassingbé qui a toujours savouré avec la délectation du diablotin les nombreux messages de félicitations qui lui parviennent habituellement. A défaut de ces télégrammes diplomatiques, le très catholique président devrait se contenter de quelques pages du psalmiste. Peut-être un début de conversion pour cet obsédé qui se voit volontiers président du Togo jusqu’en 2030.
Issues et perspectives
Agbéyomé Kodjo a nommé, dans la foulée, un Premier ministre. Un acte plus symbolique que pratique d’autant que Antoine Nadjombé vit au Canada et ne pourra probablement jamais prendre service à Lomé. D’autres nominations devront suivre, pour un chef de la diplomatie ou encore, un ministre de la défense. Mais il s’agit plus d’un gouvernement de com que d’une vraie équipe de travail d’autant que, même si sa victoire en fait l’ombre d’aucun doute, l’ancien Premier ministre a très peu de chance d’accéder au Palais de Lomé II. Il peut, non seulement, à l’exemple de Jean Ping au Gabon et de Maurice Kamto au Cameroun, pourrir le 4e mandat tant décrié de Faure Gnassingbé mais aussi exposer aux yeux du monde les ratés d’un scrutin qui fera date en matière de fraudes. Si pour une fois, la victoire de l’opposition ne fait aucun doute à une présidentielle, cela changera peu dans l’obsession de Faure Gnassingbé à se maintenir, contre tous, au pouvoir. Ses principaux lieutenants évoquent déjà la présidentielle de 2025. Mais dans l’ombre de sa conscience ou ce qui en reste, le président togolais digère, très lentement ses remords avec un goût de pilule amère d’autant que pour une fois, sa victoire souvent frauduleuse, manque d’éclat et de classe.
Dans une telle situation, la voie reste grandement ouverte à toutes issues. Même si la semaine prochaine, le président réélu prêtera serment, il sera, pendant les cinq prochaines années, moins président que d’habitude.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France