En août 2019, une amende de 9 milliards de dollars infligée au Nigéria par la cour arbitrale de Londres, dans le litige qui l’oppose à P&ID une petite firme pétrolière, a mis en évidence la vulnérabilité et l’impuissance des Etats africains face aux cours arbitrales internationales. Depuis des voix s’élèvent de plus en plus pour réclamer l’arbitrage de cours africaines sur les opérations et les contrats signés en Afrique. Le Dr Pierre Alaka Alaka, économiste et fiscaliste camerounais décrypte les raisons pour lesquelles le continent doit avoir l’indépendance juridique et solder par ses propres instances, les conflits économiques et financiers en Afrique.
La Tribune Afrique : Nigéria, Gabon, Djibouti, Guinée, Mali, Algérie… plusieurs pays africains ont au cours de ces dernières années eu des litiges avec des entreprises internationales liés à l’exécution des contrats notamment dans le secteur des industries extractives. Les verdicts en défaveur des Etats, rendus par des cours arbitrales internationales, posent la question de la création de tribunaux africains pour régler ces conflits. Cela peut-il faire la différence ?
Pierre Alaka Alaka : Dans ce genre de situation, il faut toujours suivre la réaction des autres, qui, en concluant des contrats prévoient le contentieux. Si vous faites un contrat sans prévoir le contentieux, c’est que vous n’êtes pas fait pour les affaires. Et dans le cas d’espèces, la juridiction est très importante. Le plus souvent, les contrats sont conclus en désignant la juridiction compétente pour trancher en cas de litiges. Mais les Etats africains signent parfois ces contrats, sans savoir et prévoir ce qui les attend en cas de conflits. Aujourd’hui, l’Afrique doit savoir qu’elle a des cours arbitrales. La cour arbitrale de la CEMAC est à N’Djamena au Chad alors que la cour arbitrale de l’OHADA est à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Je crois qu’au niveau de l’Union africaine, on doit également créer des cours arbitrales en matière économique. Des cours à saisir par les Africains en cas de différents lors de l’exécution des contrats. Pour les contrats signés en Afrique, ce sont ces cours qui doivent être valables et compétents.
Quelqu’un ne peux pas venir chercher du travail et de l’argent en Afrique et imposer sa cour arbitrale en cas de litiges. Ceci n’est pas indépendant et souverain, alors que nos Etats ne cessent de mettre en avant leur indépendance et souveraineté.
Il faut mettre en avant nos cours arbitrales pour régler des conflits liés à l’exécution des contrats. Ce sont les premiers pas vers l’indépendance économique des africains. Dans le cadre de ce type de contrats, les Etats africains doivent aussi absolument exiger le transfert de technologies pour trouver leur compte. On ne peut pas toujours signer des contrats au profit du contractant.
Vous avez évoqué les cours arbitrales de la CEMAC et de l’OHADA, déjà en place. Ont-elles les compétences pour arbitrer les litiges nés de l’exécution des contrats entre les Etats africains et les entreprises étrangères ?
Il faut leur donner cette compétence où alors créer des cours arbitrales en matière économique et des affaires, pour régler ce genre de questions liées à l’exécution des contrats notamment dans les secteurs des industries extractives des mines, du pétrole et du gaz. Pour le cas du Nigéria, dans le conflit l’opposant à la société P&ID, la cour arbitrale en question, celle de Londres, est pour les Anglais. Au nom de quoi cette cour devrait être compétente pour des opérations qui se sont déroulées en Afrique. Le cas du Nigéria montre à quel point nous vulnérables et exposés aux verdicts des cours arbitrales étrangères. Nous devons réagir par rapport à cela et nous mettre à l’abri. Parce que c’est le droit qui met à l’abri. C’est lui qui règle les litiges nés du droit et de la non application du droit. C’est de cela qu’il s’agit. Les Etats africains doivent comprendre que la souveraineté est d’abord juridique.
Comment ces futures cours arbitrales africaines en charge de la réglementation des affaires devraient-elles être organisées, articulées ?
On peut donner les cours existantes cette compétence. A défaut, l’Afrique peut s’asseoir au niveau de l’UA où des blocs régionaux et économiques pour créer des cours arbitrales. Et de décider qu’en cas de litiges avec des partenaires sur des opérations en Afrique, ce sont ces cours qui seront compétentes. Les pays vont s’associer à des entreprises qui acceptent ces conditions.
La question est-t-elle abordée actuellement par les instances de l’Union africaine ?
Le problème de l’UA, c’est qu’elle est financée par des instances internationales. Ces bailleurs peuvent agir, même en coulisses, pour bénéficier de droit de veto informel et empêcher la création d’une telle initiative. Il faudrait ainsi que les Africains se prennent en charge pour financer leurs cours et que l’UA puisse supporter ces cours. Or le problème est que l’Union africaine est elle-même financée en grande partie par l’UE. Tout se résume à la volonté politique et au patriotisme des Etats et de leur volonté d’asseoir la maîtrise économique de ce qui leur revient de droit.
L’autre point est qu’en cas de litiges, notamment dans les industries extractives, les projets souvent stratégiques se retrouvent à l’arrêt pendant des années, voire des décennies. Comment les Etats africains peuvent-ils faire à face ce type de blocage ?
Le problème est que les Etats africains se sont résiliés par principe. Mais, nous avons un proverbe qui dit au Cameroun, qu’à un moment donné, un enfant doit grandir. Pour grandir, l’Etat doit agir. On ne peut pas continuer dans cette voie, où des Etats parfois de bonne foi sont victimes de ce type de contraintes pouvant engendrer d’important manque à gagner. Si l’on prend le cas du Nigéria, l’amende de 9 milliards de dollars devrait être tirée des réserves de changes nigérianes, ce qui représente 20% des réserves du pays. C’est beaucoup d’argent pour un contrat qui n’a pas été exécuté.
L’entreprise en question avait consenti à un investissement de 40 millions de dollars…
C’est exagéré et inacceptable. En signant un mauvais contrat, on n’est pris dans son propre piège. C’est la raison pour laquelle, les administrateurs de nos Etats doivent comprendre qu’ils ne doivent jamais signer un contrat sans les techniciens. Ces derniers sont en mesure de déterminer la faisabilité du contrat. Ce qui permet de prévoir les difficultés à venir et de choisir le meilleur arbitre, selon les difficultés identifiées. C’est un problème managérial. Nous avons en Afrique des écoles de formations, et les administrateurs issus de ces écoles se voient souvent en mesure de représenter les Etats à tout point de vue. Mais l’Etat devrait aussi être en mesure de faire appel à des experts qui ne sont pas sous sa dépendance, pour étudier les contrats et signaler les faiblesses en toute indépendance. C’est vers cette voie que nous devons aller.
Dans beaucoup de pays africains – Nigéria, Djibouti – les litiges proviennent du fait que le nouveau gouvernement dénonce les conditions de signature du contrat par son prédécesseur, ou la corruption autour du projet, pour ne pas exécuter le contrat. Or l’Etat c’est la continuité, comment prévenir ces scénarios ?
C’est pour cette raison qu’il faut toujours l’apport des techniciens indépendants. Les passations de pouvoir dans nos Etats ne se passent pas toujours de la meilleure façon. Et le principe de continuité de l’Etat n’est pas toujours clarifié. Il n’y a pas eu au départ la création d’un Etat pérenne, mais plus tard à travers celui qui le dirige à l’instant, faisant que lorsqu’un président s’en va, l’Etat s’arrête et il faut en créer un nouveau. Or les pays développés ont créé un Etat avec le principe de continuité politique et économique. A cela, il faudra aussi ajouter les coups d’Etat où les nouveaux venus rejettent les actions des prédécesseurs. Le principe de continuité de l’Etat obéit à la reconnaissance des actes posés par les précédents gouvernements. Par les phénomènes des coups d’Etats politiques et militaires, les Etats africains se désarment eux-mêmes et se retrouvent complètement affaiblis face à l’étranger. Les nouveaux gouvernements ne prennent généralement pas en compte les engagements internationaux ou nationaux pris par les précédents et sont pris de cours en cas d’action en justice. D’où la nécessité que le principe de continuité de l’Etat se fait par la création d’Etats africains. C’est-à-dire qu’il y ai un consensus au départ désignant le type d’Etat que nous voulons, l’orientation que nous souhaitons lui donner, et la méthode de gouvernance que nous voulons, de sorte que toutes les décisions soient prises dans l’intérêt général et non particulier. Le cas échéant, il peut y avoir de la corruption. Il est de ce fait tout à fait compréhensible que celui qui arrive remet tout en cause.
Source: Afrique La Tribune/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée