L’ONU demande aux gouvernements d’accorder aux travailleurs humanitaires le même statut qu’aux personnels de santé afin de faciliter leurs déplacements
Alors que le Soudan du Sud et le Lesotho sont officiellement les deux seuls pays du continent épargnés par l’épidémie due au coronavirus, la crise sanitaire qui s’annonce a déjà des retombées pour les millions de personnes dont les moyens de subsistance dépendent de l’aide humanitaire internationale.
La fermeture des frontières et les restrictions de mouvement plus ou moins sévères imposées par les Etats pour prévenir la propagation du virus, ont commencé à gripper le travail des ONG et des agences onusiennes chargées de déployer cette assistance auprès des populations les plus vulnérables. Le choc qui frappe à son tour le continent contraint au chômage et jette dans une précarité accrue tous ceux – c’est-à-dire la grande majorité- qui vivotent au jour le jour dans l’informel. Mais pour les victimes des conflits, des sécheresses et des inondations à répétition, ces populations souvent déplacées et marginalisées, le Covid-19 est une crise de plus.
« Les humanitaires ne peuvent pas être confinés. Il faut qu’ils puissent circuler pour continuer à faire leur travail, sinon les crises qui préexistaient vont s’aggraver, demande Jean-François Riffaud, directeur général d’Action contre la faim (ACF). Nous intervenons dans l’urgence pour sauver des vies. On ne peut pas tout arrêter du jour au lendemain. »
« Personnels essentiels »
En République démocratique du Congo (RDC) où sévit la plus grave crise humanitaire de la planète après le Yémen, en Ouganda, au Kenya, au Burkina Faso où un million de personnes ont fui les zones de conflit avec les djihadistes, un discret plaidoyer a été engagé auprès des gouvernements pour que les humanitaires obtiennent au même titre que les médecins, le statut de « personnels essentiels ». La démarche est délicate. Il ne s’agit pas de demander « une dérogation » au régime commun qui pourrait laisser penser que ces spécialistes de l’urgence, par leurs déplacements, sont des propagateurs du virus. D’autant que dans quelques pays, des étrangers accusés d’avoir importé la maladie, ont été la cible d’agressions.
« Ce statut doit aussi permettre de reconnaître que nous devons avoir comme le personnel de santé, un accès prioritaire au matériel de protection contre le Covid-19. Pour protéger nos équipes et les populations avec lesquelles elles sont en contact », poursuit M. Riffaud.
L’ONU se montre également préoccupée par ces restrictions imposées aux organisations humanitaires. Dans un communiqué publié vendredi 3 avril, le secrétariat général demande aux gouvernements de prendre des dispositions pour assurer la continuité des opérations d’assistance humanitaire. « Tout comme le personnel de santé est considéré comme essentiel, les travailleurs humanitaires devraient aussi bénéficier de ce statut étant donné le rôle direct et indispensable qu’ils jouent pour sauver des vies » a expliqué le porte-parole du secrétariat général, Stéphane Dujarric, en précisant que cela suppose de leur permettre de circuler entre et à l’intérieur des pays en assurant leur protection.
Début janvier, le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) a lancé un appel de fonds de 30 milliards de dollars (soit près de 28 milliards d’euros) pour couvrir les besoins, en 2020, des quelque 110 millions de personnes ciblées par des opérations de secours humanitaires. Des chiffres sans précédent depuis dix ans.
Sur la liste des 23 pays bénéficiaires, 14 sont en Afrique où il s’agit de continuer à assurer des soins de santé de base, l’accès à l’eau, à l’alimentation ou, dans les cas les plus graves, savoir répondre aux situations de malnutrition sévère qui augmentent par exemple rapidement au Sahel. Au total, 50 millions de personnes sont concernées. Dans presque tous ces pays, l’insécurité et les conflits persistants sont déjà une des difficultés majeures à surmonter. L’accès aux camps de réfugiés, dans lesquels vivent aussi des millions de personnes, demeure une priorité, y compris pour prévenir la propagation de l’épidémie. « Il faut comprendre que ne plus nous laisser assurer la fourniture des services d’hygiène, l’information qui l’accompagne ou la distribution alimentaire dans ces lieux de concentration, c’est créer un terrain où le virus pourra circuler plus facilement » souligne Delphine Pinault, responsable du plaidoyer de l’ONG CARE à l’ONU.
D’ores et déjà, les nouvelles règles visant à réduire les regroupements font tourner certains programmes au ralenti. « Les distributions alimentaires organisées en une seule fois pour un millier de bénéficiaires de plusieurs villages doivent maintenant s’étaler sur plusieurs jours », témoigne Benoît Munsch, directeur de CARE en RDC. « les vols intérieurs ont été supprimés. Nous ne pouvons plus déplacer nos équipes pour renforcer les sites qui en ont besoin ».
Reporter ce qui peut attendre
Si tous affirment faire le maximum pour garder le cap tout en prenant leur part pour éviter une flambée de l’épidémie, la réalité est qu’en quelques semaines, il a fallu revoir les priorités et reporter ce qui peut attendre. Au Cameroun, ACF a fermé un chantier à haute intensité de main-d’œuvre employant 200 personnes pour construire de petits barrages dans la région de Maroua, frontalière du Tchad où persistent les attaques de Boko Haram. En Ouganda, où le président Yoweri Museveni a interdit à tous les véhicules privés de circuler, ACTED a été contraint de suspendre la plupart de ses programmes de développement agricole. « Nous approchons de la saison des pluies. Ce n’est pas trop grave, relativise Laura Simpson, directrice d’ACTED pour la Corne de l’Afrique. Depuis Nairobi, elle ajuste les opérations de transferts monétaires aux ménages en situation d’insécurité alimentaire en Ethiopie et en Somalie.« Heureusement, le paiement par téléphone mobile est très répandu dans la région. Nous allons les augmenter pour limiter les distributions sur le terrain et les contacts avec les communautés ».
La mise à l’arrêt du continent pour prévenir l’épidémie de Covid-19 ne va-t-elle pas faire davantage de victimes que cette menace encore incertaine ? Cette question tourmente tous ceux qui savent dans quelles conditions d’extrême fragilité vivent déjà ces populations qui cumulent les pires indicateurs de développement humain. « Le paludisme a fait 7 000 morts l’an dernier en RDC, et parmi eux, beaucoup d’enfants. Il ne faudrait pas que la réponse au Covid-19 empêche de continuer à traiter des maladies que nous savons soigner », s’inquiète Edouard Beigbeder, représentant de l’UNICEF dans le pays.
Terrible dilemme. « Personne ne sait comment le virus va se comporter ici et nous n’avons d’autre choix que de nous y préparer en se référant aux scénarios chinois ou européens. Mais il serait catastrophique de ne plus être en mesure de répondre à une épidémie de rougeole ou au pic de paludisme qui survient pendant l’été », avoue le Dr Isabelle Forny, directrice des opérations de Médecins sans frontières-France.
Ces missionnaires des urgences humanitaires ont néanmoins l’espoir que le continent mette à profit les quelques semaines de répit qu’il lui reste avant une montée en puissance de l’épidémie pour adapter sa stratégie de réponse aux réalités locales.
Source: Le Monde Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée