Avec 1 914 cas déclarés de coronavirus et 293 morts au 12 avril, l’Algérie est l’un des pays les plus touchés en Afrique. La task force dirigée par le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, multiplie les efforts pour inverser la courbe.
Jusqu’à sa prise de fonctions comme ministre de la Santé, le 4 janvier, Abderrahmane Benbouzid, 69 ans, dirigeait le service orthopédie de l’établissement hospitalier spécialisé de Ben Aknoun, et enseignait en parallèle à la faculté de médecine d’Alger. Trois mois plus tard, le voilà en première ligne pour gérer l’une des pires crises sanitaires de l’histoire du pays. Pour l’aider, une commission scientifique nationale de veille et de suivi de l’épidémie du Covid-19 a été installée le 21 mars, présidée par le ministre en personne.
Le 29 mars, le groupe d’experts suggérait au gouvernement de faire preuve de plus de fermeté, allant jusqu’à évoquer le confinement total de la population « compte tenu de l’augmentation exponentielle du nombre de cas ». « La prérogative d’étendre le confinement à tout le territoire national revient au chef de l’État », précisait aussitôt le Dr Bekkat Berkani, président du Conseil national de l’Ordre des médecins et membre du comité.
Apres quelques jours d’hésitations, la recommandation de la commission est finalement entendue. Les mesures de confinement partiel sont étendues le 4 avril à l’ensemble du territoire, et non plus seulement une poignée de wilayas.
Dans la foulée, les autorités annonçaient l’adoption d’un protocole thérapeutique comprenant la chloroquine pour les personnes touchées par les formes modérées et graves de Covid-19, après avoir reçu le feu vert de ce même comité d’experts. Mais qui sont ces chercheurs et responsables politiques qui conseillent le gouvernement ?
Djamal Fourar, le pilier
Placé sous la direction du ministère de la Santé, le conseil scientifique est réparti en trois cellules : le suivi de la situation épidémiologique, la gestion logistique et la coordination entre établissements hospitaliers pour assurer la prise en charge des malades et gérer les lits disponibles. « Ces trois cellules suivent quotidiennement tout ce qui concerne ce contexte difficile avec les directeurs de la santé publique des 48 wilayas », a expliqué à la télévision algérienne le Dr Djamal Fourar, porte-parole de la task force.
Lunettes sur le nez, l’épidémiologiste est désormais une figure familière. Chaque jour, c’est lui qui annonce le dernier bilan des cas recensés de Covid-19 ainsi que les pertes humaines et les guérisons lors d’un point presse consacré à l’évolution de l’épidémie. Directeur de la prévention et de la lutte contre les maladies transmissibles au ministère de la Santé depuis 2013, diplômé en médecine de l’université d’Alger, ce père de trois filles a longtemps travaillé comme chef du service d’épidémiologie à l’hôpital de Khemis Miliana (120 km au sud-ouest d’Alger). L’ancien sous-directeur de la santé « Mère et enfant » au sein du même ministère a déjà eu à gérer des crises sanitaires, comme la résurgence du choléra, qui, en 2018, avait atteint un peu plus de 80 personnes et provoqué la psychose dans les régions du centre du pays.À
Sous la direction du Dr Fourar, le département de la prévention a aussi préparé l’Algérie à faire face à des épidémies de syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) ou d’Ebola. En outre, son département a ordonné, dès janvier et l’apparition du nouveau coronavirus en Chine, la réactivation du dispositif de surveillance et de contrôle des épidémies. Bien avant la création du comité et dès l’apparition du premier cas de Covid-19 en Algérie, le Dr Fourar était déjà en pleine action. Le 26 février, il animait une conférence de presse pour donner des détails sur le patient zéro, un ressortissant italien travaillant dans le sud de l’Algérie et arrivé une semaine plus tôt depuis Milan.
Scientifiques… et politiques
Outre le Dr Fourar, le comité scientifique compte en son sein le président du Conseil national de l’ordre des médecins, le Dr Mohamed Bekkat Berkani, le président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, le Dr Abdelkrim Touahria, ainsi que le ministre délégué chargé de l’Industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmed. Plusieurs professeurs en médecine les épaulent, comme Ismaïl Mesbah (maladies infectieuses), Nadir Boussouf (épidémiologie), Ryad Mehyaoui (anesthésie-réanimation), Zoubir Fouatih (épidémiologie, médecine préventive) et Lyes Akhamoukh, spécialisé en infectiologie. « Nous nous réunissons actuellement deux fois par jour avec le ministre de la Santé pour évaluer la situation et contrer cette pandémie », précise le Dr Fourar.
Autre figure du comité, Ammar Belhimer, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, n’a, lui, pas de lien avec le domaine médical. Dès que la crise sanitaire a éclaté, cet ancien journaliste et professeur de droit a fait de la lutte contre les « fake news » son cheval de bataille, ordonnant aux médias de ne diffuser que les informations émanant du ministère de la Santé et du comité scientifique. « Tout ce qui sera diffusé en dehors de ce cadre sera considéré comme un acte alarmiste et une information tendancieuse délibérée attentant aux citoyens et à l’opinion publique, dont l’auteur assumera toute la responsabilité juridique », avertissait alors Belhimer.
S’il ne fait pas officiellement partie de la task force, le Dr Fawzi Derrar, directeur de l’institut Pasteur, est lui aussi un élément clé de la réponse. Il y a quelques semaines encore, seule l’antenne d’Alger de l’institut était capable d’effectuer les tests, et 6 000 kits de dépistage étaient disponibles. Le Dr Derrar a dépêché des professeurs dans les nouvelles annexes ouvertes à Oran, Constantine et Ouargla pour former les professionnels de la santé à conduire ces tests. Avec l’arrivée de 100 000 kits en provenance de Chine le 5 avril, le ministre de la Santé promet que des tests pourront être effectués dans une quinzaine de villes dès la semaine prochaine.
Deux années de polémiques sanitaires
Critiquées lors de la résurgence du choléra, il y a deux ans, en raison de la centralisation des tests, les autorités ont, cette fois, su prendre des mesures rapides pour déployer une réponse régionalisée et doter plusieurs wilayas du matériel nécessaire. L’Algérie aurait-elle pleinement tiré les conséquences de 2018 ? Rien n’est moins certain, si l’on se penche en détail sur le fonctionnement des structures qui accueillent les patients atteints du Covid-19.
L’hôpital de Boufarik, situé dans la wilaya de Blida – épicentre de l’épidémie –, dispose toujours du même service de maladies infectieuses. À l’époque du choléra, le personnel soignant dénonçait un manque d’effectifs et de moyens. Deux ans après, les mêmes plaintes sont à nouveau formulées. Après le décès d’un ambulancier contaminé, le personnel s’est rassemblé plusieurs heures devant l’hôpital pour contester les conditions de travail. Pour le Pr Kamel Bouzid, chef de service et président de la Société algérienne d’oncologie médicale, cité par TSA-Algérie, « la crise sanitaire a mis à nu les défaillances du système de santé ».
En 2018, le Dr Bekkat Berkani, aujourd’hui membre du comité scientifique, plaidait déjà pour la création d’une agence nationale de veille sanitaire « chargée de prévenir et de contrôler les éventuelles épidémies ». Mais il faut croire que rien n’a été fait en la matière puisque, le 11 mars, le président du Conseil national de l’Ordre des médecins lançait de nouveau un appel en ce sens : « Il est nécessaire de créer une agence nationale de veille sanitaire et un observatoire national de la santé, à l’instar de ce qui se passe dans les pays développés, afin d’alerter quant aux urgences sanitaires et d’orienter les pouvoirs publics et les employés de la santé en cas de besoin. » Il juge même qu’il faut décentraliser la gestion du secteur de la santé à « travers la création d’agences régionales pour réduire les contraintes qui entravent la prise de décision et la prise en charge du citoyen ».
Source: Jeune Afrique /Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée