La croissance centrafricaine avait rebondi à 4,8 % en 2019 selon la Banque mondiale, une embellie stoppée net par la crise du COVID-19 dans ce pays d’Afrique centrale, où les perspectives devraient chuter en deçà de 1 %, selon Henri-Marie Dondra, le ministre des Finances et du budget de la République centrafricaine (RCA).
La Tribune Afrique – Quelle est la stratégie soutenue par la République centrafricaine pour affronter la pandémie de Covid-19 ?
Henri-Marie Dondra : Depuis le 27 mars 2020, les autorités de la République centrafricaine ont décidé d’interdire l’accès au territoire aux ressortissants étrangers et de suspendre tous les vols à destination et depuis le territoire. Si les déplacements des populations centrafricaines sont restreints, les marchandises circulent encore. C’est un impératif, car notre pays est enclavé et dépend fortement de ses importations, en particulier du Cameroun et de la République du Congo […] Nous avons créé un plan de réponse nationale présidé par le Premier ministre et incluant des professionnels de la Santé qui se réunit chaque semaine, pour mesurer l’avancée de cette pandémie.
Quel est l’impact attendu du Covid-19 sur l’économie centrafricaine ?
Nous partons de loin, car il y a près de 5 ans, notre croissance était négative. Depuis l’arrivée du président Touadéra, la situation s’est redressée et notre taux de croissance a fini par atteindre près de +4 %. Malheureusement, le contexte actuel nous a poussés à revoir nos objectifs de croissance à la baisse. Il devrait passer de 5 % à moins de 1 % cette année. Pourtant, nous sommes en cours d’exécution du second programme signé avec le FMI [la Centrafrique est engagée depuis juillet 2016 dans un programme appuyé par la Facilité élargie de crédit pour un montant initial de 118,1 millions de dollars, porté à 189 millions de dollars au terme de deux augmentations successives. Les négociations pour un nouvel accord ont commencé courant octobre 2019, ndlr] qui se déroulait très bien jusqu’à présent, mais cette crise est venue tout bouleverser […] Afin de soutenir les entrepreneurs centrafricains, nous sommes en train d’étudier plusieurs dispositifs d’allègements fiscaux, tout en négociant des reports de créances possibles avec les banques […] L’apparition du Covid-19 nous a également poussés à augmenter le budget accordé à notre système de santé et nous devrions adopter une loi de Finances rectificative d’ici le mois de juin, afin de faire face à la crise.
Précisément, quels sont les moyens techniques et financiers dont vous disposez pour faire face à la pandémie de Covid-19 ?
Nous faisons face à une maladie «importée» à laquelle nous n’étions pas habitués. Notre plateau médical est loin de répondre aux standards européens et d’après ce que je sais, nous ne disposons que de 3 respirateurs au niveau national […] Pour financer le Plan stratégique, nous avons sollicité l’aide de nos partenaires internationaux. Au niveau de l’Etat, nous avons mobilisé 120 milliards de francs CFA pour lutter contre le Covid-19. Sur un plan multilatéral, nous attendons près de 5 millions de dollars de la Banque mondiale qui devraient nous permettre de prendre les premières mesures d’urgence.
Avez-vous reçu l’aide bilatérale de vos partenaires traditionnels comme la France ou la Russie ?
Des alertes ont été lancées donc, cela ne saurait tarder. J’ai récemment participé à une rencontre entre ministres de l’Economie et des Finances, à Brazzaville [rencontre sur relatives aux incidences économiques et financières du Covid-19 sur la réforme CEMAC, le 28 mars 2020, ndlr]. Il était question de s’accorder sur une stratégie concertée au niveau régional, pour affronter cette crise […] Nous en appelons à nos partenaires traditionnels pour affronter cette pandémie, que ce soit dans un cadre multilatéral à travers les bailleurs internationaux, ou au niveau bilatéral avec des pays comme la France ou les Etats-Unis. A ce jour, la France nous accorde déjà 6 milliards de francs CFA par an. Nous souhaitons que l’aide internationale soit renforcée, compte tenu de la situation. Selon mes informations, Paris a annoncé récemment une aide massive en direction des pays africains, pour lutter contre le Covid-19, de l’ordre de plus de 1 milliard d’euros, via l’Agence française de développement. La Banque mondiale, le FMI et le G20 ont également promis des aides de plusieurs milliards de dollars pour soutenir nos pays…
Simultanément à cette crise sanitaire, la République centrafricaine développe de plus en plus de services digitaux afin d’améliorer le recouvrement de ses recettes budgétaires et de réduire la fraude : quelles sont les dernières initiatives prises en la matière ?
Aujourd’hui, le réseau douanier est presque intégralement connecté et depuis le 2 avril, les DPIV validées par le portail edouanes lancé le 1er mars 2020 [avec le partenaire Webb Fontaine, ndlr], sont obligatoires pour toutes les déclarations dont la valeur FOB est égale ou supérieure à 1 million de francs CFA – hors marchandises exonérées -. Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un projet de réformes engagé par le ministère des Finances et du Budget, pour sécuriser les recettes de l’État et pour réduire les fraudes. Elle facilite et simplifie les procédures d’importation à travers la dématérialisation des formalités. Ce dispositif permet de réduire le temps de dédouanement, mais aussi les coûts et la durée des déplacements. Dans sa globalité, le projet intègre également la création d’un Centre de facilitation edouanes – CFED-. Il permettra aux opérateurs économiques de bénéficier de formations et d’un espace d’accès gratuit à Internet.
Qu’est-ce qui a motivé le lancement du service Patapaye, qui permet la dématérialisation des salaires des fonctionnaires ?
Le m-paiement se développe peu à peu en République centrafricaine. Il a longtemps été difficile de verser le salaire des fonctionnaires basés dans nos provinces. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, grâce à la mise en place fin mars, d’un dispositif digital que nous avons appelé Patapaye. Ce système réalisé en coopération avec Orange et Ecobank rencontre déjà un certain succès. L’argent est viré par voie électronique, ce qui sécurise l’opération […] Actuellement, nous cherchons à développer la fibre optique à travers toute la République centrafricaine où le taux de connectivité ne dépasse pas les 30%, Internet et mobile. Nous avons récemment rédigé un texte relatif à la mise en œuvre du fonds de service universel pour améliorer cette couverture digitale, dans les meilleurs délais […] En matière d’e-governance, nous avons déjà dématérialisé un certain nombre de déclarations sociales et fiscales et ce mouvement devrait s’accélérer progressivement.
D’après la Banque mondiale, le recouvrement des taxes foncières pourrait générer près de 12 milliards de francs CFA, en réduisant les exonérations fiscales qui s’élevaient à 2,4 milliards de francs CFA en 2016. Quelles sont les mesures engagées à ce niveau ?
Le foncier représente une niche fiscale très importante effectivement. Malheureusement, notre culture foncière n’est pas suffisamment développée. Pour l’heure, nous élaborons la cartographie du foncier qui devra être suivi d’un vaste plan de sensibilisation auprès des populations.
L’Etat cherche à réduire les exonérations fiscales. Où en est-on ?
N’oublions pas qu’en République centrafricaine, près de 70% des exonérations sont accordées aux Nations unies et notamment à la MINUSCA [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique, ndlr] […] Cela étant, nous avons élaboré une charte des investissements pour améliorer l’environnement des affaires et désormais, un comité regroupant plusieurs ministères étudie chaque demande d’exonération. Cette initiative devrait nous permettre de réduire significativement leur nombre.
Source: La Tribune Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée