En février, au moins 23 civils, dont 15 enfants, avaient été tués à Ntumbo, dans la région du Nord-Ouest. Massacre qui avait déclenché un tollé international.
Yaoundé a envoyé un signal positif. Le Cameroun vient en effet d’admettre – laborieusement et sous la pression internationale – que des militaires avaient tué des civils dont 15 enfants, en février dans un village du Cameroun anglophone séparatiste, révèlent l’Organisation des nations unies (ONU) et des associations, même si des zones d’ombre demeurent.
Le 14 février, au moins 23 civils, dont 15 enfants, avaient été tués à Ngarbuh, un quartier du village de Ntumbo (ou Ntumbaw), dans la région du Nord-Ouest, selon l’ONU. Ce massacre avait déclenché un tollé dans le pays et dans nombre de capitales occidentales.
Deux mois après le massacre
Depuis trois ans, l’armée et des rebelles séparatistes anglophones s’affrontent quasi quotidiennement dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où vit l’immense majorité de la minorité anglophone du pays. Les deux camps sont régulièrement accusés de perpétrer des crimes et des exactions contre des civils. Mais pour le massacre de Ngarbuh, Yaoundé niait jusqu’alors farouchement l’implication de son armée. Le gouvernement camerounais invoquait un « malheureux accident » de civils pris sous le feu de « terroristes » ; ses soldats auraient répliqué, un conteneur de carburant explosant dans les échanges de tirs et l’incendie tuant cinq civils.
Ce scénario restait pour l’heure de mise, même s’il était vivement contesté par l’ONU et les organisations non gouvernementales (ONG), et qu’il était mis en doute par certains partenaires occidentaux du Cameroun, France et Etats-Unis en tête. Mais lundi, plus de deux mois après l’événement, les services de l’inamovible président, Paul Biya, ont finalement admis, au terme d’une enquête, que deux militaires et un gendarme – en détention aujourd’hui –, épaulés par une milice locale, avaient effectivement tué « 10 enfants et trois femmes » en donnant l’assaut à ce qu’ils assuraient être un « repaire de terroristes ». Ils avaient ensuite maquillé leur crime en incendiant les maisons et en falsifiant leurs rapports.
Mardi, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a salué une « étape positive » dans la lutte contre l’impunité, exigeant que « tous les responsables » de cette tuerie soient jugés dans un procès « équitable et transparent ». L’enquête de Yaoundé semble en effet épargner l’institution militaire, en attribuant ces « événements tragiques » à trois militaires incontrôlés qui n’avaient pas reçu d’ordre.
La France « se félicite de l’ouverture de procédures judiciaires », déclarait jeudi la porte-parole du ministère des affaires étrangères français, Agnès von der Mühll. Interpellé par un activiste camerounais à Paris, le président français, Emmanuel Macron, avait dénoncé « des violences intolérables » après la tuerie et avait promis « de mettre le maximum de pression » sur le président Biya, déclenchant de vives réactions à Yaoundé.
Pour l’ancienne puissance coloniale et indéfectible alliée du régime de Paul Biya, « l’engagement des autorités camerounaises à lutter contre l’impunité constitue une priorité pour permettre une résolution durable de la crise », selon les termes ajoutés jeudi par la porte-parole française.
Rapport accablant d’ONG
« C’est un premier pas qu’il faut souligner », affirme de son côté l’ONG Human Rights Watch (HRW) qui avait publié, le 28 février, un rapport accablant sur l’armée et une milice alliée. « Qu’une enquête ait été lancée, et plus encore que les résultats de cette enquête, qui reconnaissent l’implication de certains militaires, aient ensuite été publiés nous semble être un vrai effort du gouvernement », déclare à l’Agence France-Presse (AFP) Lewis Mudge, directeur de HRW pour l’Afrique centrale, joint au téléphone depuis Libreville. Enquête et conclusions « sans précédent dans cette crise », abonde l’ONG camerounaise Centre for Human Rights and Democracy in Africa (Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique) sur Facebook, en espérant que d’autres suivront. « Une multitude de massacres auraient été commis par des troupes gouvernementales » en toute impunité depuis 2016, selon elle.
C’est cependant une victoire en demi-teinte pour les acteurs de la société civile, puisque l’enquête ne reconnaît le meurtre que de 13 civils, assurant que l’assaut a aussi tué « cinq terroristes ». Outre le bilan de 23 civils de l’ONU, une coalition de 26 ONG locales assure que « 31 corps » ont été découverts, dont ceux de 14 enfants et sept femmes.
« Toute la vérité n’a pas été dite car nos chiffres sont différents », plaide donc Blaise Chamango, un responsable de cette coalition. HRW qui avait dénombré au moins 21 civils tués, dont 13 enfants, fait le même constat d’une lacune… Le nombre d’assaillants est aussi sujet à caution, puisque selon les témoins interrogés par HRW, 10 à 15 « militaires » et au moins 30 supplétifs ont attaqué le village alors que le communiqué de la présidence parle de trois militaires, deux gendarmes et 17 civils membres d’un comité de vigilance local.
M. Chamango et d’autres membres de la société civile camerounaise ont donc demandé aux autorités des « excuses publiques » aux ONG locales et internationales qui avaient été menacées après la publication de leurs propres conclusions. « Jusqu’ici, le gouvernement niait les conclusions de nos rapports, parlant de mensonges visant à déstabiliser le pays et ses institutions », explique M. Mudge, de HRW. « Nous espérons que ce rapport d’enquête marquera un tournant, un changement dans nos relations. »
Depuis plus de trois ans, les combats, mais aussi les exactions et les crimes commis par les deux camps, ont fait plus de 3 000 morts et 700 000 déplacés dans les deux régions anglophones.
Source : Le Monde Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée