Serge Ekué, banquier et financier de haut niveau vient d’être nommé à la tête de la Banque ouest africaine de développement (Boad). Depuis sa création en 1973, cette institution communautaire n’a été dirigée presqu’exclusivement que par des présidents de nationalité béninoise. Pourquoi et comment un tel accord tacite est-il devenu la règle incontestée par les sept autres pays membres ?
Un communiqué rendu officiel, ce mardi, par le président du Conseil des ministres de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) désigne le nouveau président de la Boad. Il s’agit bien évidemment du béninois Serge Ekué. Un homme au parcours exceptionnel, très proche de Patrice Talon qu’il conseille depuis de nombreuses années. Discret et efficace, Ekué dirigeait plusieurs structures à la fois et était, à sa nomination responsable Afrique et Russie du géant français des finances Natixis. Depuis mai dernier, à l’initiative du président béninois, le haut cadre de Natixis avait été nommé conseiller de Christian Adovèlandé, à qui il succèdera dans les prochains jours. Si l’éternelle occupation du poste par le Bénin n’est pas une règle écrite, elle résulte d’un habille accord tacite entre les anciens présidents Mathieu Kérékou (Bénin) et Eyadema Gnassingbé (Togo) qui ont réussi à convaincre leurs pairs.
Une discorde qui aboutit à un accord
A la création de la Banque ouest africaine de développement en 1973, deux pays se discutaient le siège. Le Bénin, qui estime n’abriter aucune institution régionale alors que la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) siège à Dakar, exige que la Boad s’implante à Cotonou. Le Togo aussi y tenait pour Lomé. Finalement, les autres chefs d’Etat ont convié Kérékou, arrivé au pouvoir un an plus tôt, et Gnassingbé qui régnait depuis 1967 sur le Togo à se concerter et à désigner un de leurs deux pays pour accueillir l’organisme financier. Lomé l’emportera. En contrepartie, le Bénin obtient de décider indéfiniment de qui présidera la nouvelle institution. Cette règle non écrite a fonctionné jusque-là tout comme celle qui concerne la Bceao dont le siège dakarois est toujours dirigé par un ivoirien. Ce qui, dans ce cas, peut s’expliquer par le fait que la Côte d’Ivoire soit le principal contributeur de la banque centrale. Yayi Boni, prédécesseur de l’actuel président béninois avait dirigé la Boad avant d’être élu, en 2006, président de la République. Il y enverra Abdoulaye Bio Tchané, un ancien ministre des finances du Bénin. Depuis 2011, ce dernier a abandonné son poste pour briguer, en candidat malheureux, la magistrature suprême avant de retrouver un poste de ministre d’Etat auprès de Patrice Talon. Christian Adovèlandé lui a succédé depuis et est resté 9 ans en poste.
Actionnariat et désignation du président
Contrairement à ce qu’on pouvait penser, le Bénin n’a pas une contribution d’actions plus importante que les autres pays membres. La Boad dispose de deux types d’actionnaires, ceux de série A qui sont les Etats membres, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et le Togo. A eux, s’ajoute la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest qui est de fait membre de la plupart des institutions financières régionales. Puis les actionnaires de série B au nombre desquels le Maroc, la Belgique, la France ou encore la Banque africaine de développement mais aussi l’Allemagne à travers la Kfw. La Chine, l’Inde sont actionnaires à travers des banques et l’Union européenne par le biais de la Banque européenne d’investissement. C’est après leurs avis séparés que le Bénin soumet un postulant pour le poste de président. Les chefs d’Etat des autres pays membres approuvent puis le conseil des ministres rend officielle la désignation. C’est ce que vient de faire Sani Yaya, ministre togolais de l’économie et des finances qui préside ledit conseil.
La Boad en chiffres
La principale mission de la Boad est de mobiliser des fonds pour financer des projets tant du secteur public que du secteur privé. En presque cinq décennies, elle est devenue l’émetteur non souverain de référence du marché régional des capitaux. Le bilan de l’institution au départ de son président est plutôt excellent. Au cours des cinq dernières années, la Boad a atteint 433,5 milliards FCA (plus de 750 millions €) de mobilisation de financements et et 333,8 milliards CFA de décaissements.
Le premier défi du nouveau président nommé pour six ans sera de minimiser les effets du Covid-19 sur les entreprises locales et surtout d’aider les Etats à faire face à la baisse drastique de la croissance que la pandémie a engendrée.
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