Le pays, poids lourd démographique, est entièrement dépendant de sa rente pétrolière dont les revenus se sont effondrés avec la chute des cours du brut.
La pandémie de Covid-19 a fait entrer le Nigeria en récession pour la deuxième fois depuis 2016, menaçant de faire basculer un peu plus dans la pauvreté les 200 millions d’habitants de la première économie d’Afrique.
Le PIB du premier producteur africain de pétrole s’est contracté de 3,62 % au troisième trimestre, après avoir déjà reculé de 6 % au trimestre précédent.
« Avant la pandémie, le gouvernement n’arrivait déjà pas à maintenir le pouvoir d’achat des Nigérians », explique à l’AFP Dominique Fruchter, économiste à la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface).
Le pays se remet à peine du choc pétrolier qui l’a très durement touché en 2016. Et si la croissance est repartie l’année suivante, elle était restée trop faible pour combler les besoins d’une population toujours plus nombreuse. Le taux de chômage des jeunes atteint les 40 %.
Ainsi « la pandémie a accentué les difficultés antérieures et le Nigeria doit désormais faire face à la plus sévère récession enregistrée depuis des décennies », note également Aurélien Mali, analyste pour l’Afrique à Moody’s.
Forte inflation
Fin mars, les autorités ont décrété un confinement de cinq semaines, une catastrophe pour la majorité de la population qui dépend de l’économie informelle pour survivre, mais aussi pour la classe moyenne.
« J’avais à peine de quoi payer ma nourriture et l’électricité », témoigne Joseph Olaniyan, professeur de français à Abuja, dont l’activité a repris en octobre mais tourne au ralenti. Au confinement, « s’est ajoutée la chute des prix du pétrole », souligne M. Mali.
En avril, les cours du brut ont chuté en dessous des 20 dollars, et ils ont beau être remontés autour des 40 dollars depuis, l’avenir reste sombre pour un pays qui tire plus de la moitié de ses revenus et 90 % de ses recettes d’exportation du pétrole.
Outre la baisse des cours, « la production nigériane de pétrole diminue », relève Benjamin Augé, spécialiste du Nigeria à Institut français des relations internationales (Ifri). « Une partie des gisements est arrivée à maturité et ces derniers ne sont pas compensés par suffisamment de grands projets ». Ainsi, « au moment où le gouvernement devrait soutenir l’économie, ses revenus ont drastiquement baissé », souligne M. Mali.
Pour faire face, l’Etat a immédiatement réagi en dévaluant la monnaie. Mais « cette dépréciation a encore appauvri les populations, les prix des biens de première nécessité souvent importés ont augmenté, créant une forte inflation », ajoute l’économiste. « Avec l’inflation, nous avons été doublement frappés », confirme le professeur Olaniyan, qui affirme que les prix des transports ont presque doublé.
Plus encore, l’inflation a été portée par une hausse des prix de l’alimentation qui ont augmenté de 17,3 % en octobre.
« Le sac de riz que nous achetions 100 nairas coûte désormais 200 nairas », témoigne Edna Anidi, une mère de six enfants qui a récemment perdu son emploi dans le secteur pétrolier dans le sud-est.
La hausse des prix n’est toutefois pas nouvelle, et s’observe depuis plus d’un an. En cause notamment, la fermeture des frontières avec les pays voisins, décidée en août 2019 par les autorités pour stimuler la production agricole locale.
Car depuis 2016, Abuja tente de diversifier son économie, en imposant des mesures protectionnistes pour développer des secteurs d’activités plus inclusifs.
7 millions de pauvres en plus
Mais d’ici là, « le pays va rester extrêmement dépendant de sa rente pétrolière », ajoute M. Mali. Et à moins d’observer « une envolée des cours, le pays va mettre plusieurs années à sortir de cette récession ».
Le gouvernement table sur un retour à la croissance d’ici à, la fin de l’année ou début 2021, selon la ministre des finances Zainab Ahmed lundi.
Pour les analystes, cette récession est un fléau : le pays détient déjà le triste record mondial du plus grand nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté.
La crise « devrait faire basculer 5 millions de Nigérians supplémentaires dans la pauvreté en 2020 », prévoit la Banque mondiale. Un chiffre qui s’ajoute aux deux millions de nouveaux pauvres déjà prévus cette année.
La récession « va accentuer un peu plus les frustrations de la jeunesse », prévient M. Mali. En octobre, plusieurs milliers de Nigérians ont manifesté contre les violences policières. La contestation, qui a fait une soixantaine de morts selon Amnesty International, s’était rapidement transformée en mouvement plus large contre le pouvoir.
Le manque d’opportunité économique à venir pour ces jeunes, aggravé par la récession, risque de déboucher sur de nouvelles manifestations, préviennent les analystes.
Source : Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée