Après une brève accalmie, le gouvernement en exil de Kodjo refait surface avec des activités récurrentes. Après une démission démentie du nouveau Premier ministre, des conseils de ministres se sont succédé et récemment, un ministre de la défense a été nommé. Objectif, maintenir le cap de combat et avec le concours d’ambassadeurs nommés ici et là, « arracher le pouvoir injustement confisqué » selon Agbéyomé Kodjo, qui, depuis son maquis, ne baisse pas les bras. Autopsie d’un gouvernement d’exception.
Octobre 2020. Alors qu’on s’y attend le moins, le président en salle d’attente depuis son maquis publie un nouveau gouvernement. Cette fois-ci, tous les portefeuilles sont pourvus. Entre temps, les titulaires des deux seuls postes gouvernementaux initiaux ont disparu. Le ministre des affaires étrangères ne donne plus de nouvelle alors que le Premier ministre, Antoine Koffi Nadjombé est sorti du jeu. Après huit mois et de concert avec le président démocratiquement élu, le togolo-canadien a passé la main à une équipe plus dynamique mais aussi plus active et surtout plus complète. Mais pourquoi un gouvernement en exil qui n’a de pouvoir que trop virtuellement ? Quelle est la stratégie derrière une telle initiative ? Les Togolais le comprennent-ils ? Quel avenir pour ce gouvernement dont la principale mission semble d’arracher le pouvoir face à Faure Gnassingbé neuf mois après ce que Régis Marzin, spécialiste des élections appelle « l’inversion des résultats » ? Des questions qui se posent alors que l’administration américaine, principal soutien de Agbéyomé Kodjo est en train de changer depuis que Joe Biden a remporté la présidentielle face à Donald Trump qui doit passer la main le 20 janvier 2021 ?
La configuration du gouvernement Kodjo
Quoiqu’on dise, l’équipe a le mérite de la diversité et de la jeunesse. Les femmes, près du tiers de l’effectif dont la plus jeune a 21 ans en charge des finances et des mutations économiques et structurelles. Les femmes auraient pu avoir une place plus prépondérante, ce qui n’est pas encore le cas dans un pays où le tribalisme influe sur la politique, mais toutes les ethnies y sont bien représentées. En tête, juste après le Premier ministre, Ben Koffi Djagba, un togolo-américain ; Dr Edem Atsou Kwasi, un des bras droits et fidèles autour du président Kodjo, est Ministre d’État à la tête des affaires étrangères, de l’intégration africaine. Médecin psychiatre, ce helvético-togolais est l’une des têtes pensantes de son maître. La première femme sur la liste, Emmanuella Essivi Kpetsu, une germano-togolaise, tient la famille la santé, et les solidarités. Sociologue de formation, elle vit en Allemagne. A la justice, le garde des sceaux, un franco-togolais, remarquable avocat et professeur de droit à l’université de Lille et ancien élu local français, originaire de la région des Plateaux. Les mines et l’énergie reviennent à un Tem, peuple guerrier de la partie septentrionale du pays, Ama-Awali Zakari, un germano-togolais. Mais dans le fond, peu importe les origines, la vision de ce gouvernement est avant tout le combat. Une autre chose qui impressionne, c’est la dénomination des ministères. Elle a l’avantage de prendre en compte l’harmonie et l’hémogénie entre les secteurs mais aussi sort des thèmes tout plaqués auxquels nous sommes habitués en Afrique. On y retrouve par exemple un ministère de la Révolution numérique et des Mutations scientifiques et techniques, un ministère en charge de la redynamisation des compétences nationales ou encore, celui de la défense qui a en charge l’employabilité des anciens combattants comme pour dire que le préjudice du départ précoce à la retraite des militaires est pensé pour leur offrir après avoir rendu service à la République une nouvelle carrière professionnelle et une vie plus décente en dehors de leur mise à la disposition permanente de l’intégrité territoriale avec redéploiement à tout moment. Cela d’autant plus que Agbéyomé Kodjo est très attaché à la grande muette et c’est d’ailleurs un de ses discours à l’endroit des corps habillés qui a déclenché, en pleine campagne, le courroux de l’adversaire et une réplique du président sortant, Faure Gnassingbé.
Pourquoi un exécutif en exil
L’idée n’est pas celui d’un gouvernement normal. Contrairement au Gabon avec Jean Ping, qui s’est, dans des conditions similaires de fraudes massives à la suite d’une présidentielle, autoproclamé « président élu », tous les ministres de Kodjo sont hors du pays. Cela leur évite déjà la répression impitoyable qu’on connait à ce régime. Mais en même temps, fait de chaque membre un combattant qui, hors du pays, porte la voix de la réclamation de la vérité des urnes. Ce gouvernement n’aura donc pas à exécuter, dans la pratique l’essentiel du programme ou projet de société en bonne et due forme. Il s’agira d’une équipe de travail combative, à faire une diplomatie de proximité sur les revendications liées à la crise électorale, à dénoncer les fraudes et créer des synergies dynamiques à l’international et sur le plan national en vue de la prise de pouvoir effective du Président démocratiquement élu. C’est aussi une équipe qui, part ses sorties et activités, rappelle à la l’opinion nationale et internationale qu’une crise est latente et qu’un président qui « est élu est obligé de quitter le pays » pendant que son adversaire, usant de la « force et de la corruption » selon Agbéyomé Kodjo lui-même, se maintient, « illégalement au pouvoir ». Il est donc compréhensible que certaines togolais s’interrogent sur le bien fondé de cette initiative plus symbolique que pratique. Dans les semaines à venir, alors que Lekade-Kama Marogneni vient d’être nommé à la défense, d’autres nominations pourraient intervenir ici et là, d’autant que des contacts se multiplient entre des pays qui ont des crises similaires. Il s’agit de la Guinée, dont l’opposant autoproclamé, Cellou Dallein Diallo s’est entretenu avec Kodjo, tout comme le charismatique et célèbre prisonnier Charles Blé Goudé de la Côte d’Ivoire. Dans cette perspective, le gouvernement de combat travaille résolument à la mise en place d’un Triumvirat de l’Alternance politique en Afrique subsaharienne constitué du Togo, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. Un colloque international en ce sens se tiendra d’ailleurs le 28 novembre prochain et verra la participation des états majors des principales forces de l’opposition de ces trois pays. Il n’est pas aussi écarté que la régionalisation de la lutte s’étende à d’autres pays d’Afrique dans les mois à venir
Jusqu’où ira Kodjo et son gouvernement
« Jusqu’au bout ! » jure Kodjo qui dit être prêt « à verser » son sang pour que cette injustice soit réparée. Il se bat, avant tout, pour que, dans la situation du Togo, la victoire revienne « au vrai gagnant », dénonçant l’attribution de son score, 72%, à Faure Gnassingbé. Une inversion remarquée par Régis Marzin. Journaliste et chercheur indépendant, ce dernier consacre de longues recherches aux processus électoraux dans la vingtaine d’anciennes colonies françaises en Afrique. Agbéyomé Kodjo espère aussi, par ses actions, secouer le système au pouvoir de l’intérieur et créer un choc autour du président sortant à qui, il vient d’adresser une lettre ouverte.
Une chose est certaine, aucune élection présidentielle n’a fait autant de vagues au Togo, aucun scrutin n’a donné autant d’insomnies au régime qui règne sur le pays d’une main de fer depuis plus d’un demi siècle. Le bras de fer a été rude, obligeant Faure Gnassingbé à recourir régulièrement à l’armée et aux forces de sécurité pour régler un différend plutôt politique. Alors que la Maison Blanche s’apprête à changer de locataire, Agbéyomé Kodjo qui dit « avoir le soutien total des démocrates » compte sur le nouveau président américain pour continuer son combat. Joe Biden prendra service le 20 janvier prochain. D’ici là, un prophète, Esaïe, a annoncé que Faure Gnassingbé et son régime ne verront pas la fin de cette année au pouvoir avant d’être cueilli par la gendarmerie et déposé à la prison civile de Lomé où, sans jugement, il croupit depuis plusieurs semaines. Si tout semble calme en apparence, la crise post électorale est loin d’être réglée au Togo où la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) et ses partisans sont annoncés dans les rues de la capitale Lomé le 28 novembre prochain. Les prochaines semaines pourraient être assez mouvementées.
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