L’opposant a contribué à la prise du pouvoir par Idriss Déby il y a 30 ans. Il se dit déçu par la gestion des affaires durant les trois décennies.
Au Tchad, c’est dans la tension que le pays se souvient, ce 1er décembre, de la prise du pouvoir il y a 30 ans par Idriss Déby Itno. Dans un discours prononcé après la chute d’Hissène Habré, le colonel Idriss Déby annonçait alors qu’il n’apporterait ni or ni argent, mais la liberté.
Le président Idriss Deby est promu maréchal, le 11 août, quelques mois avant ses 30 ans au pouvoir. En 1990, celui qui était encore chef d’Etat-major de l’armée tchadienne menait une offensive contre le président Hissène Habré, avec le concours de la France.
C’est après une formation à l’école supérieure de guerre en France qu’Idriss Deby prend le pouvoir. Le diplômé en aéronautique est réputé célèbre au Tchad pour avoir conduit la guerre contre la Libye.
Libéralisation de la société tchadienne
Lorsqu’ils prennent le pouvoir en décembre 1990, après une entrée dans le pays par le Soudan, les groupes rebelles, avec à leur tête Idriss Deby, sont donc bien accueillis. L’arrivée au pouvoir du MPS (parti d’Idriss Deby) s’accompagne d’une forme de libéralisation au sein de la société tchadienne. Beaucoup de partis politiques, de médias et d’associations de la société civile voient le jour.
Mais le pouvoir Deby manie le bâton et la carotte. Au début du régime Deby, le tout premier responsable de la ligue tchadienne des droits de l’Homme, Joseph Behidi, est assassiné à N’Djamena en 1992. L’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh est enlevé en février 2008, après une attaque rebelle dans la capitale tchadienne. Depuis 12 ans, sa famille et ses proches sont sans nouvelles de lui.
Le pouvoir Deby arrive tout de même à asseoir son image de chef de guerre auprès des Tchadiens et de ses partenaires internationaux. L’armée tchadienne est présente aux côtés du Nigeria, du Niger et du Cameroun pour combattre le groupe djihadiste Boko Haram dans la zone du lac Tchad.
Espoir transformé en déception
Député à l’Assemblée nationale tchadienne, Ngarlejy Yorongar dirige le parti FAR, la Fédération action pour le renouveau. Il se présente comme étant un de ceux qui ont préparé le putsch contre Hissène Habré. Aujourd’hui, affaibli par des années d’une opposition marquée par de nombreuses arrestations, il revient sur le coup d’Etat du 1er décembre 1990 et les trois décennies qui ont suivi. Il affirme avoir été torturé par Idriss Déby lui-même et estime que 30 ans de pouvoir c’est beaucoup trop.
Ci-dessous, l’interview de Ngarlejy Yorongar !
DW : Bonjour Monsieur Ngarlejy Yorongar, vous étiez où lorsque Idriss Déby prononçait le discours de la victoire sur le régime d’Hissène Habré ?
Ngarlejy Yorongar : Quans il faisait ce discours, moi j’étais à Ouagadougou sous la protection du président Blaise Compaoré parce que Hissène Habré cherchait à me kidnapper.
DW : Et depuis là-bas, vous souteniez la prise du pouvoir par Idriss Déby ?
Ngarlejy Yorongar : D’abord c’est avec Hassan Djamous, chef d’état-major général de l’époque, qu’on a commencé à concocter ce fameux coup d’Etat et Idriss Déby est revenu de France pour nous rejoindre.
DW : Donc il y a eu cette prise du pouvoir en 1990. Mais, cela n’a pas duré longtemps avant que vous ne preniez vos distances vis-à-vis de Idriss Déby ?
Ngarlejy Yorongar : Nous nous sommes vus plusieurs fois avec Idriss Déby pour continuer la lutte et une fois que celle-ci a abouti à la victoire, il répète les mêmes choses ! J’y ai attiré son attention plusieurs fois mais il ne voulait pas entendre raison. Alors j’ai pris mes distances.
DW : Vous avez claqué la porte et cela vous coûtera cher ?
Ngarlejy Yorongar : Mais j’ai payé trop cher ! J’ai été arrêté et torturé. Des fois, par les propres mains d’Idriss Déby ! J’ai payé cher. Trop, trop cher.
DW : Et vous avez souvent raconté l’histoire aussi de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui a disparu en 2008 et qu’on n’a plus jamais revu.
Ngarlejy Yorongar : Il n’a pas réapparu ! Au début, on disait qu’il était tantôt à Bangui, tantôt au Japon, tantôt en France, tantôt en Allemagne, tantôt aux Etats-Unis. Mais où est-ce qu’il est ? Ils n’ont qu’à le sortir ! Et même ses enfants m’ont accusé de dire des balivernes parce que leur père est vivant et on les a rassurés. Aujourd’hui, on leur donne des milliards pour pouvoir se taire.
DW : Donc aujourd’hui, ils occupent des fonctions au sein de l’administration, au sein de l’Etat tchadien. Quel est le reproche fondamental que vous faites à Idriss Déby ?
Ngarlejy Yorongar : Sa manière de tuer ! Le vol, le pillage au profit de ses parents qui l’entourent.
DW : Mais on a entendu le président Déby plusieurs fois prendre la parole et dénoncer lui-même la corruption. « Arrêtez de voler » disait-il par exemple à l’adresse des fonctionnaires qui s’en mettaient plein la poche. Ce ne sont pas des signes quand-même, d’une volonté de changer les choses ?
Ngarlejy Yorongar : Ca c’est le discours du politique qui n’a rien à voir avec la réalité. Vous vous imaginez qu’il y a des Tchadiens qui sont plus riches que l’Etat tchadien ? Des gens de son ethnie qui sont très, très riches ?
DW : Vous soulignez que les Zaghawa, l’ethnie du président, sont au pouvoir et s’enrichissent. Est-ce qu’au bout de trente ans, vous avez envie que le pouvoir revienne au Sud ?
Ngarlejy Yorongar : Non, le pouvoir ne vient pas au Sud comme ça ! Il faut que le pouvoir revienne à celui qui est élu démocratiquement, c’est tout. L’imagination Sud, c’est une caricature ! Mais c’est la France qui maintient Idriss Déby au pouvoir. Les rebelles étaient aux portes du palais présidentiel ! Ils étaient à 200, 300 mètres. Il faut que les gens qui soutiennent Idriss Déby, en l’occurrence la France, lèvent le pieds sur la pédale pour que Déby s’en aille. Trop, c’est trop ! 30 ans, c’en est trop !
Source: Deutsche Welle Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée