L’implosion de la coalition formée par le Cap pour le changement (CACH) et le Front commun pour le Congo (FCC) impose de s’interroger.
Les élections présidentielle et législatives de décembre 2018, en République démocratique du Congo, ont donné des résultats pour le moins étranges. D’un côté, il y a eu un président élu, Felix Tshisekedi, issu de la plus vieille mouvance de l’opposition congolaise, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). D’un autre côté, une majorité écrasante des parlementaires élus représentaient la plateforme politique du président sortant, Joseph Kabila, le Front commun pour le Congo (FCC). Un paradoxe électoral qui, malgré les irrégularités dénoncées par les uns et les autres, fut présenté comme étant l’expression de la volonté souveraine du peuple congolais. Il s’agissait de la première passation pacifique de pouvoir en RDC, acquise au prix d’énormes sacrifices, notamment de la part des partis d’opposition, victimes de répression brutale, d’emprisonnement, voire de pertes en vies humaines, par exemple le cas du jeune Rossy Mukendi.
Une transmission pacifique du pouvoir, mais…
Cette issue paradoxale des élections présidentielle et législatives a-t-elle été le fruit d’un calcul politique savamment orchestré en vue de départager deux forces politiques contraires en mettant sous une tutelle à peine voilée l’une d’entre elles, à savoir le nouveau président de la République ?
Ce qui est sûr, c’est que, faute de majorité parlementaire pour gouverner, le président Felix Tshisekedi a accepté, bon gré mal gré, de coaliser avec ses adversaires d’hier afin de redresser le pays. Deux ans ont suffi pour que cette coalition (FCC-CACH) implose. Les causes de cette implosion résident, d’une part, dans l’intransigeance du FCC qui, au nom de sa majorité numérique, voulait s’approprier et contrôler tous les leviers du pouvoir, y compris les domaines dits régaliens. Selon les caciques du FCC, pour toute décision importante, le président Tshisekedi était supposé obtenir l’aval de leur autorité morale, Joseph Kabila. D’autre part, Tshisekedi, conscient de l’étroitesse de sa marge de manœuvre, guettait le moindre faux pas de son partenaire de coalition pour desserrer l’étau autour de lui et renverser le rapport de force.
Hormis leurs exigences en matière d’obtention de portefeuilles ministériels et de postes de direction au sein des entreprises publiques (où le FCC s’est taillé la part du lion), les partisans de l’ex-président Kabila ont également empêché l’exécution des ordonnances présidentielles et défié publiquement l’autorité du chef de l’État. Par exemple, le 20 octobre dernier, les présidents de l’Assemblée nationale (Jeanine Mabunda) et du Sénat (Alexis Tambwe Mwamba), ainsi que le Premier ministre (Sylvestre Ilunga Ilunkamba) et certains membres du gouvernement issus du FCC ont refusé d’assister à la prestation de serment de trois juges de la Cour constitutionnelle nommés par le président Tshisekedi. Cette décision peut être considérée comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Tshisekedi décide de prendre les choses en main
Dans une brève allocution à la nation, le 23 octobre dernier, le président Tshisekedi s’est montré déterminé à ne plus subir le diktat de la majorité parlementaire FCC-CACH. Il a désavoué cette coalition, dont il a reconnu les limites, et s’est engagé à consulter les leaders les plus représentatifs du pays afin de créer une « union sacrée pour la nation ». En d’autres termes, il a annoncé la fin de la coalition FCC-CACH au profit d’une nouvelle majorité parlementaire qui le soutiendrait dans la réalisation de son projet de société.
Pour ce faire, deux stratégies semblent être à sa portée. D’un côté, dissoudre le Parlement et organiser des élections législatives anticipées, d’un autre côté, forger une nouvelle majorité parlementaire, sur la base d’un double constat : aucun parti politique, y compris le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ex-président Kabila, n’a obtenu la majorité absolue aux élections de décembre 2018 ; et la coalition FCC-CACH n’est qu’un arrangement politique jamais couvert par le prescrit constitutionnel, c’est-à-dire acté par l’intervention d’un informateur nommé sur ordonnance présidentielle. La population et bon nombre de leaders politiques ont accueilli cette annonce avec enthousiasme.
Pendant ce temps, le FCC semble avoir été pris au dépourvu et tétanisé par le passage à l’acte et la fermeté de celui qu’il croyait avoir sous tutelle. La plateforme politique de Joseph Kabila s’est raidie, estimant détenir toujours une large et inamovible majorité parlementaire. Un discours qui tente de sauver la face en omettant le fait que nombre de mécontents au sein du FCC pourraient devenir des transfuges vers la nouvelle coalition voulue par le chef de l’État. Le cas du groupement politique du Pr Modeste Bahati Lukwebo, l’Alliance démocratique du Congo et Alliés (AFDC-A), qui compte plus de 40 députés au sein du FCC, est une claire illustration de cette dissidence.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée