Dans un nouvel ouvrage, l’Agence française de développement détaille les conséquences d’une crise sanitaire qui n’a pas touché le continent de façon uniforme.
Une Afrique résiliente face à la pandémie de Covid-19. C’est l’image que défendent les auteurs de l’ouvrage L’Economie africaine en 2021 (ed. La Découverte), tout juste publié par l’Agence française de développement (AFD). Le continent, soulignent les auteurs, a plutôt bien résisté sur le plan sanitaire : il représente 17 % de la population planétaire et comptabilisait officiellement, en octobre 2020, 4,7 % des cas de contaminations dans le monde et moins de 87 000 morts au 27 janvier. Sur le front économique, l’activité a également moins reculé en Afrique (-2,6 %) qu’à l’échelle mondiale (-4,4 %).
« Frappé d’une présomption de fragilité, le continent a pourtant fait la preuve de sa résilience, fort de la jeunesse de sa population, de la réactivité de ses dirigeants et de son expérience des pandémies », estime Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, l’opérateur qui orchestre le déploiement de l’aide publique au développement.
Mais, si la récession a été moins marquée en Afrique que dans les autres régions du monde – à l’exception de l’Asie –, la déflagration économique provoquée par la pandémie n’en est pas moins exceptionnelle. Comme le rappelle Yasmine Osman, économiste au sein du département Afrique de l’AFD, aucun des chocs de ces trente dernières années, y compris la crise financière mondiale de 2008 et l’effondrement des cours du pétrole en 2015-2016, n’avait à ce point impacté le produit intérieur brut (PIB) régional. Au total, plus de quarante pays sont en récession simultanément sur le continent, du jamais-vu.
Sévérité de la crise
La sévérité de la crise s’explique par une série de facteurs désormais bien connus. Il y a d’abord eu la chute des prix des matières premières dont de nombreux pays africains demeurent tributaires pour leur croissance et leurs recettes. Pétrole, charbon, zinc, plomb… Les cours comme les volumes exportés se sont brutalement contractés, affectant les grands producteurs. La fermeture des frontières a également affecté en profondeur les économies africaines en pénalisant notamment le tourisme, un secteur clé dans près d’une quinzaine de pays du continent. Le recul des transferts de fonds opérés par les migrants (-20 %, selon le Fonds monétaire international), les mesures de confinement, le manque de marge de manœuvre budgétaire des Etats pour élaborer une riposte, l’absence de filets sociaux, ont contribué à cette récession d’une ampleur inédite.
La pandémie a ainsi déclenché une « crise en poupées russes », le fléau sanitaire entraînant une dégradation économique et sociale. D’après le FMI, la baisse du revenu par tête pourrait effacer dix ans de progrès sur le front du développement. Au total, près de 43 millions de personnes sont menacées de retomber dans l’extrême pauvreté. L’éducation, la santé, la sécurité alimentaire risquent d’être durablement affectées dans les pays les plus pauvres.
L’ouvrage de l’AFD rappelle toutefois que le continent n’a pas été touché de façon uniforme. Le choc a été violent pour les principales économies africaines, souvent très dépendantes de l’exportation des matières premières, comme le Nigeria, l’Angola ou l’Afrique du Sud. Cette dernière cumulait déjà plusieurs années de croissance faible et, très touchée par l’épidémie, a décrété un confinement strict, qui a ravagé l’activité. La violence de sa récession (-8 %) a pénalisé les performances de toute la région. En Afrique du Nord, dont la croissance est liée à la demande européenne en tourisme ou en pétrole, la décélération a aussi été notable, contribuant à la hausse des taux d’endettement. En Tunisie, la dette représente désormais 85 % du PIB.
Pourtant, certains pays ont mieux résisté économiquement. C’est le cas par exemple de l’Egypte, l’une des rares nations du continent à avoir su maintenir une croissance positive (3,5 %) grâce à la taille de son marché intérieur et à la réponse – monétaire et budgétaire – des autorités. Les Etats peu tributaires des matières premières extractives, comme en Afrique de l’Est ou dans le golfe de Guinée, ont aussi réussi à déjouer les pronostics les plus sombres. Quant au Sahel, la récession y a été deux fois moindre que dans le reste de l’Afrique. En proie à des difficultés sécuritaires, climatiques et alimentaires persistantes, cette région est peu dépendante du tourisme ou des capitaux étrangers, et a pu bénéficier de la remontée des cours de l’or.
Reprise rapide
« Résiliente » donc, mais très fragilisée, l’Afrique aurait besoin de voir l’économie redémarrer vite et fort pour pouvoir se remettre sur le chemin de l’émergence. Pour l’heure, le FMI prédit une reprise rapide, dite en « V », avec une croissance qui pourrait atteindre +3,7 % en 2021. Mais comme le rappelle la publication de l’AFD, ce scénario reste soumis à de multiples inconnues, à commencer par l’évolution de la pandémie qui semble rattraper le continent avec plus de vigueur depuis quelques semaines.
Au-delà de ces incertitudes, la crise a remis en perspective des enjeux de long terme dont les pays africains sont invités à se saisir. La nécessité d’une intégration régionale par exemple, pour se prémunir des risques de rupture d’approvisionnement ou de la montée du protectionnisme. Cela tombe bien, souligne l’AFD, car l’Afrique « dispose d’un atout important », avec un marché intérieur de 1,2 milliard de personnes, et s’est déjà lancée dans la mise en place d’une zone de libre-échange continentale, la Zlecaf.
Une autre priorité est celle de la diversification des économies, un chantier sans cesse invoqué mais toujours remis à plus tard. Pour Thomas Mélonio, directeur exécutif chargé de la recherche et de l’innovation à l’AFD, « le développement africain ne se fera pas par pure extraction des ressources, ce serait un modèle non durable ». Les experts de l’Agence appellent à mettre l’accent sur l’agriculture et le développement du secteur privé pour favoriser encore davantage la « résilience économique » du continent.