Le député islamiste radical Rached Khiari a diffusé lundi dernier une vidéo, sur sa page Facebook, accusant le Président tunisien d’avoir reçu des financements américains, de l’ordre de plusieurs millions de dollars, à travers un attaché à l’ambassade US à Paris, pour financer sa campagne électorale.
Khiari a dit que l’argent passait par Faouzi Daas, le président de la campagne électorale du candidat Saïed. Le député avait promis que c’était la première d’une série de vidéos et qu’il disposait de toutes les preuves, qu’il allait diffuser dans les vidéos suivantes promises en série, avant de retirer sa vidéo et de disparaître.
Le parquet militaire s’est automatiquement saisi de l’affaire dès le lendemain de la diffusion de la vidéo ; le président de la République étant le chef d’état-major de l’armée. Des convocations ont été adressées à Rached Khiari et Faouzi Daas. Ce dernier s’est présenté le mardi 20 avril devant le parquet militaire. Il a déclaré avoir été auditionné en tant que témoin.
Le député Rached Khiari ne s’est pas présenté à la justice militaire ; il a diffusé une vidéo, sur sa page Facebook, disant qu’une décision a été prise de le mettre en prison, en appelant les médias étrangers à se saisir de l’affaire parce que les médias locaux sont «vendus». Le député n’a pas diffusé ses preuves, se limitant à dire qu’il les avait présentées à la Cour des comptes qui ne les a pas prises en considération.
Rached Khiari a juste présenté la photo de la devanture d’un café, celle d’une personne disant qu’il s’agit de l’émissaire des Américains ! Pareilles diffusions personnelles portant atteinte au chef de l’état-major des armées ont été qualifiées de flagrant délit par le parquet militaire, qui a émis jeudi un mandat d’amener contre le député Khiari, qui a été accusé, entre autres, d’«atteinte au moral de l’armée», «atteinte à l’essence du système militaire», «complot contre la sûreté intérieure de l’Etat» et de «contacts avec des représentants d’un Etat étranger en vue de nuire à l’Etat tunisien». La grande muette n’y est pas allée de main morte.
Le bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’est réuni jeudi 22 avril ; il a appelé le député à lui présenter une notification écrite concernant ses accusations à l’encontre du président de la République, afin de statuer sur la demande de levée de l’immunité lorsqu’elle parviendra à l’Assemblée.
Compétences
Le président de l’ARP, Rached Ghannouchi, a téléphoné vendredi 23 avril au ministre de la Défense, Brahim Bartagi, pour demander les raisons justifiant l’émission du mandat d’amener contre un député bénéficiant de l’immunité parlementaire. Le ministre a évoqué le flagrant délit.
La Commission parlementaire d’organisation de l’administration et des affaires des forces armées a décidé le 24 avril d’auditionner le ministre de la Défense, «ayant enfreint le principe de neutralité de l’institution militaire eu égard à son implication dans l’affaire du député Rached Khiari, en émettant un mandat d’amener à son encontre malgré son immunité parlementaire», en reprenant Meher Medhioub, le vice-président de l’ARP en charge de l’Information et la Communication. Medhioub a qualifié Rached Khiari de «très influencé par le journalisme d’investigation».
Encore un conflit de compétences entre l’ARP et d’autres institutions de l’Etat. Et face à des députés qui évoquent l’irrégularité de la traduction du député Rached Khiari devant un tribunal militaire, le professeur Slim Laghmani, constitutionnaliste de renommée, a présenté des éclaircissements en évoquant deux articles de la Constitution.
Le premier est l’article 110 qui dit : «Les catégories de tribunaux sont créées par loi. La création de tribunaux d’exception ou l’édiction de procédures dérogatoires susceptibles d’affecter les principes du procès équitable sont interdites. Les tribunaux militaires sont compétents pour connaître des infractions à caractère militaire. La loi détermine leurs compétence, composition, organisation, les procédures suivies devant eux et le statut général de leurs magistrats.»
Le deuxième article cité par Pr Laghmani est le 149, dans les dispositions transitoires, qui dit : «Les tribunaux militaires continuent à exercer les attributions qui leur sont dévolues par les lois en vigueur jusqu’à leur amendement conformément aux dispositions de l’article 110.» Ainsi donc, et jusqu’à l’amendement des attributions actuellement en vigueur, non encore réalisées malgré les sept ans écoulés depuis l’adoption de la Constitution, la loi permet au tribunal militaire de continuer à examiner des affaires de civils. La situation tunisienne est confuse à plus d’un titre.
Source: El watan/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée