Six mois après la sortie d’un rapport de l’ONU accusant d’exactions des mercenaires russes, la Centrafrique a reconnu, vendredi 1er octobre, une partie des faits, par la voix de son ministre de la justice, Arnaud Djoubaye Abazène. Ce dernier a affirmé que les crimes et actes de torture avaient été « majoritairement » commis par des rebelles – les soldats centrafricains et leurs alliés « instructeurs russes » n’arrivant qu’en seconde position.
« Sur 103 incidents de violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire » relevés par les experts de l’ONU, « 23 ne sont pas avérés », a déclaré le ministre de la justice. « La majeure partie est imputable aux rebelles de la CPC [Coalition des patriotes pour le changement] », selon le ministre, qui a assuré que certains « seront jugés lors des prochaines sessions criminelles pour avoir perpétré toute une panoplie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ».
Ceux qui sont imputables aux forces armées centrafricaines (FACA) et aux forces de sécurité intérieure « font déjà l’objet de poursuites judiciaires » pour que leurs auteurs soient « traduits devant les juridictions ».
« Certains [faits] sont imputables aux instructeurs russes qui opèrent en appui aux FACA », mais aussi aux « forces d’appui » telles que la Minusca (la mission de maintien de la paix de l’ONU) et autres contingents de militaires africains. « Les États fournisseurs de ces troupes, une fois saisis, doivent organiser des audiences par leurs juridictions militaires », a poursuivi le ministre, en évoquant le récent rapatriement de soldats gabonais par l’ONU à la suite de soupçons d’abus sexuels.
Deux rapports de l’ONU accablants
Lors de la publication du rapport de l’ONU, le gouvernement centrafricain avait considéré que ces accusations étaient de « simples dénonciations ». En mars dernier, la division droits de l’homme de la Minusca, Mission des Nations unies en Centrafrique, avait relevé que 85 % de ces exactions sont imputables aux groupes armés, mais « les agents de l’Etat et leurs alliés » auraient également tué arbitrairement des civils, torturé et maltraité des personnes, et procédé à des arrestations arbitraires.
En août, un nouveau rapport des Nations unies avait enregistré, entre juillet 2020 et juin 2021, « 526 cas de violations et d’abus des droits de l’homme et du droit international humanitaire à travers le pays », qui ont « fait au moins 1 221 victimes », dont 144 civils. Parmi ces violations, l’ONU a recensé « des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des actes de torture et de mauvais traitements, des arrestations et détentions arbitraires, (…) des violences sexuelles liées au conflit et des violations graves aux droits de l’enfant ». Pour l’ONU, la CPC était responsable de plus de la moitié des incidents recensés. L’organisation avait également pointé la responsabilité des forces armées centrafricaines, ainsi que de leurs alliés, des « instructeurs militaires russes », qui sont « responsables de 46 % des incidents confirmés ».
Proche de Poutine
Les forces centrafricaines mènent depuis décembre 2020 une vaste contre-offensive contre les rebelles de la CPC, une alliance de groupes rebelles qui tente de renverser le régime de Faustin-Archange Touadéra.
Grâce au renfort de soldats rwandais et à la présence de centaines de paramilitaires russes combattant à leurs côtés, l’armée régulière a réussi depuis le début de l’année à reprendre aux rebelles les agglomérations et une bonne partie des deux tiers du pays qu’ils contrôlaient depuis plusieurs années.
Moscou ne reconnaît officiellement la présence que de 1 135 « instructeurs non armés » , mais les ONG opérant sur le terrain, la France et l’ONU affirment qu’une partie d’entre eux sont des hommes du groupe privé russe de sécurité Wagner. Cette société militaire, qui officie en Syrie, au Soudan, en Libye, est étroitement liée aux activités d’Evgueni Prigojine, un oligarque russe proche de Vladimir Poutine. Moscou dément tout lien.
Cette reconnaissance intervient à un moment de grande tension entre le Mali et la France. Le Mali, qui voit dans la réorganisation du dispositif militaire français au Sahel un « abandon en plein vol » de son pays, n’exclut pas, en effet, de recourir également aux services du groupe Wagner. Le plan français prévoit une réduction des effectifs sur place, passant de plus de 5 000 actuellement, à 2 500-3 000 d’ici à 2023.
Source : Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée