Connue pour ses industries touristique et financière dynamiques, l’île Maurice –profondément affectée par la crise Covid- entend désormais poser les bases de construction d’un secteur dont le pays veut explorer le potentiel et qu’il voit en pilier supplémentaire de son économie : le pétrole. Pour rompre avec les textes de 1970 et instaurer un environnement propice à l’investissement, un projet de loi sur l’exploration pétrolière dans la Zone économique exclusive (ZEE) de l’île -parmi les plus vastes au monde- est en cours d’examen au Parlement.
Pour une nouvelle corde à son arc. Le projet de loi sur l’exploration pétrolière dans la Zone économique exclusive (ZEE) de l’île Maurice est désormais examiné par le Parlement. Le texte qu’a présenté mardi 26 octobre le Premier ministre, Pravind Jugnauth, remplacerait celui en vigueur depuis 1970. « Avec les nouvelles exigences et dynamiques du marché telles que l’évolution de la technologie, les engagements plus élevés en faveur de la préservation de l’environnement et le besoin de plus de transparence dans la gouvernance des océans, il est désormais impératif de revoir la législation existante », a déclaré le chef du gouvernement pendant la séance parlementaire diffusée sur les chaines de télévisions locales.
Dans le détail, le projet de loi prévoit plusieurs nouveautés notamment en termes d’élaboration de politiques sur la conduite des activités pétrolières ou de politiques visant à limiter les impacts des activités pétrolières sur le milieu marin. Un code de pratiques environnementales et un code de pratiques sécuritaires sont également prévus. Quatre types de titre seront attribués aux entreprises qui voudront investir dans l’exploration pétrolière : le permis de prospection, le permis d’exploration, le permis de rétention ou le permis de production. Sans parler des différentes facilités proposées aux entreprises étrangères qui seront intéressées à explorer les fonds marins mauriciens et les garanties que ces dernières auront à fournir.
« Maurice a tout le potentiel pour devenir un acteur majeur »
Considérée comme l’une des plus importantes au monde, la ZEE mauricienne s’étend sur 1,9 million de km2 sur l’Océan indien, en excluant l’archipel des Chagos revendiqué par Maurice, selon les données officielles. Optimiste quant à la présence de pétrole dans ses eaux territoriales jusqu’ici jamais exploitées et tirant probablement des leçons des erreurs stratégiques commises par certains Etat africains par le passé, le gouvernement mauricien a inséré dans ce projet de loi le principe selon lequel l’Etat conserverait en toute circonstance tous les droits souverains sur toutes les ressources et réserves pétrolières découvertes. A noter que plusieurs études ont déjà évoqué le potentiel pétrolier de la ZEE mauricienne, sans donner lieu à des examens approfondis. Mais, la confirmation ces dernières années de l’existence de pétrole dans les eaux territoriales seychelloises voisines conforte les autorités mauriciennes.
« Ce projet de loi est une avancée majeure pour notre pays, d’autant plus dans le contexte de la pandémie de Covid-19 et la nécessité de donner la bonne impulsion à notre machine économique. Il est indéniable que les activités pétrolières offshore ont été très bénéfiques pour de nombreux pays du monde », a affirmé Pravind Jugnauth, citant l’exemple des Etats-Unis, du Canada ou du Brésil, mais aussi des petites économies comme Trinité-et-Togabo qui a réussi à se creuser un sillon dans le très compétitif marché international de l’or noir. Et d’ajouter :
« La facture pétrolière offshore contribuera à consolider les bases d’un nouveau pilier de notre économie. Au vu de la taille de notre ZEE inexploitée, Maurice a tout le potentiel pour devenir un acteur majeur dans le secteur des ressources naturelles marines. Le moment est venu pour notre pays d’avoir ce tout nouveau cadre législatif qui s’appuie sur l’accord de 2020 pour la conduite d’études sismiques multi-clients dans notre ZEE ».
Sortir de la sombre période 2020-2021
L’île est-africaine a effectivement besoin de redécoller après une chute de 15% de son PIB en 2020 suite à la pandémie. Pour cette économie qui s’accapare depuis plusieurs années les meilleures places dans la quasi-totalité des classements économiques en Afrique, la crise mondiale a été un véritable coup dur.
Pour garantir ses performances économiques en effet, Maurice a toujours pu s’appuyer sur le tourisme et les services financiers aux entreprises, deux secteurs habituellement moteurs de sa croissance avec une participation respective de 24% et 13% au PIB. Mais la suspension des voyages internationaux pendant près d’une année et la marée noire d’octobre dernier, ainsi que l’inscription du pays sur plusieurs listes de paradis fiscaux ont eu des incidences conséquentes. Avant la crise, l’ile -qui enregistrait 1,5 million de visiteurs par an- était bien partie pour atteindre son objectif annuel de 2 millions de touristes bien avant l’échéance prévue en 2030. Certains analystes pensent que le niveau d’avant-crise sera difficilement atteignable avant trois ans.
La sortie de Maurice de la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI) le 21 octobre dernier a relevé l’enthousiasme du gouvernement qui se dit confiant pour une sortie imminente du pays de la liste noire de l’Union européenne (UE).
Si Pravind Jugnauth estime le moment opportun pour tracer la voie pétrolière au sein de l’économie nationale, il ne fait que remettre au goût du jour un dossier qui a trainé dans les tiroirs. « En réalité, le projet de plateforme pétrolière à Maurice a commencé à germer il y a plus d’une dizaine d’années. A l’époque nous étions encore un pays en développement », explique à La Tribune Afrique l’économiste mauricien Eric Ng Ping Cheun.
Energie fossile vs énergie verte
Outre le besoin de créer un nouveau secteur fort, Maurice cherche également à travers son projet de loi, à se construire une certaine autonomie énergétique, car le pétrole constitue la plus lourde charge d’importation de l’île. En 2020, l’or noir a pesé pour 12,3% dans la facture globale d’importations du pays, selon Comtrade, la base de données des Nations Unies sur les statistiques du commerce international. D’ailleurs, le Premier ministre n’a pas manqué de souligner qu’en dépit de la crise, l’Etat a dépensé 38 milliards de roupies -soit plus de 883 millions de dollars- pour l’importation et la gestion de 1 million de tonnes de pétrole. « C’est un fait sans équivoque que Maurice dépend fortement des importations de pétrole », a-t-il martelé, estimant que les actions pour inverser la tendance sont édictées dans le projet de loi.
A Port Louis, le débat questionne notamment l’intérêt pour le pays d’investir dans les énergies fossiles au moment où la tendance mondiale donne la priorité aux énergies vertes. L’économiste Eric Ng Ping Cheun estime pour sa part que dans une logique de transition, l’un n’exclut pas l’autre. « Le gouvernement a une stratégie forte pour aller vers plus d’énergies renouvelables, mais la vérité est que la transition énergétique sera longue et progressive. En attendant, il va falloir faire face aux besoins qui s’accroissent avec le temps. De plus en plus d’étrangers viennent s’installer à Maurice, il faut s’attendre à ce que le gouvernement mette les bouchées doubles pour booster le tourisme …, tout cela va accroitre les besoins en eau et en électricité auxquels il va falloir faire face ».
Une prospection de la ZEE qui pourrait durer 5 ans
Par ailleurs, cette volonté d’étendre les cordages de l’économie mauricienne pourrait aussi être motivée par les pertes qui se profilent dans le secteur des services financiers aux entreprises, alors que les autres gouvernements africains renégocient de plus en plus leurs accords fiscaux avec l’île. Accords qui, rappelons-le, ont considérablement favorisé la destination mauricienne pour l’implantation régionale de nombreuses multinationales et investisseurs internationaux.
Selon une source proche du dossier citée par l’agence Xinhua, la prospection de la ZEE mauricienne « devrait être terminée d’ici cinq ans […] si toutes les conditions sont réunies. Mais les résultats viendront au fur et à mesure que la prospection avance ». Eric Ng Ping Cheun de conclure : « si ce projet est un succès, ce sera un plus pour notre économie, notamment en termes de devises ».
Source: La Tribune Afrique// Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée