Son arrestation en novembre et sa libération quelques jours plus tard, sans que la Cour pénale spéciale ait pu l’entendre, ont fait scandale. Mais l’ex-rebelle de l’UPC assure n’avoir rien à cacher et se défend d’être protégé par le pouvoir.
C’est dans son bureau du ministère de l’Élevage et de la Santé animale qu’Hassan Bouba a choisi de nous recevoir, en ce début du mois de janvier. Vêtu d’un ample boubou gris, l’homme s’affiche serein et souriant, comme si son arrestation en novembre dernier, sur ordre de la Cour pénale spéciale (CPS), n’avait pas défrayé la chronique. Et comme si, sa libération quelques jours plus tard, sans que les enquêteurs n’aient eu ne serait-ce que l’occasion de l’entendre, était de l’histoire ancienne.
Il faut dire qu’à Bangui, Hassan Bouba n’est pas n’importe qui, et que cet épisode l’a sans doute conforté dans son sentiment de puissance. Ancien numéro deux du mouvement rebelle UPC (Unité pour la paix en Centrafrique), il a officié durant cinq ans comme chef des opérations et conseiller politique aux côtés d’Ali Darassa. C’est dix mois après que ce dernier a signé les accords de paix de Khartoum, en février 2019, qu’il s’est vu proposer un poste au gouvernement.
Allié précieux
Mais en Centrafrique comme ailleurs, chefs rebelles et hommes politiques sont versatiles. Dès novembre 2020, l’UPC lâche le président Faustin-Archange Touadéra et rejoint la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Hassan Bouba, lui, s’éloigne d’Ali Darassa et demeure au gouvernement. Dans le contexte centrafricain, cela fait de lui un allié précieux.
MOI-MÊME JE VOULAIS FAIRE FACE À LA JUSTICE DE MON PAYS POUR MONTRER QUE JE NE SUIS PAS UN CRIMINEL
Est-ce pour cela que la justice n’a finalement pas pu l’auditionner ? Arrêté le 19 novembre, il a été placé en détention au camp de Roux. La CPS, juridiction hybride composée de magistrats centrafricains et internationaux, mise sur pied pour juger les crimes les plus graves, voulait l’interroger sur des faits commis entre 2014 et 2019, lorsqu’il se battait pour l’UPC. Il est notamment soupçonné d’être à l’origine de l’attaque qui a visé un camp de déplacés en novembre 2018 à Alindao, à 500 km de Bangui, qui s’était soldée par la mort d’au moins 112 personnes.
« Bien sûr, j’étais dans un groupe armé, commence Hassan Bouba. Mais cela ne fait pas de moi le commanditaire ou le responsable des atrocités qui ont été commises. » Alors qu’il nous reçoit dans son bureau, il ose même : « C’est une bonne chose que j’ai été [convoqué] par la justice. Moi-même je voulais faire face à la justice de mon pays pour montrer que je ne suis pas un criminel et dire ce que je fais pour la paix. »
Il n’en a pourtant pas eu l’occasion : le 26 novembre, lorsque des officiers de la police judiciaire sont venus au camp de Roux pour le présenter au juge d’instruction, ils en ont été empêchés. Interrogé sur ce point, Hassan Bouba affirme que « [sa] détention provisoire était arrivée à son terme » et qu’il a été libéré « en sachant [qu’il pourrait] de nouveau être convoqué par la justice ». « Je n’ai pas fui, insiste-t-il. Je suis prêt à répondre aux questions de la justice. Je ne pourrai jamais être blanchi s’il n’y a pas d’enquête objective et indépendante. Tout le monde sait qui sont les responsables qu’il faut poursuivre. »
« Il y a eu obstruction »
Contacté par Jeune Afrique, une source à la CPS conteste toutefois le déroulé des faits de ce 26 novembre. « Il y a eu obstruction, insiste-t-elle. Le délai n’avait pas expiré. L’audience de débat contradictoire au niveau du cabinet d’instruction chargé du dossier devait avoir lieu à 10h ce jour-là. » Notre interlocuteur affirme que l’équipe de la CPS qui s’est présenté au camp et qui disposait de l’appui de Casques bleus de la Minusca « ont été empêchés d’accéder à Hassan Bouba par des éléments de la garde présidentielle ». « Nous avons suivi la procédure en le plaçant quand même sous mandat de dépôt et en délivrant un mandat d’arrêt contre lui, poursuit-il. Il a été libéré par le régisseur de la prison, mais on ignore encore qui était le donneur d’ordre. »
L’ORDRE DE LE LIBÉRER AURAIT-IL PU ÊTRE DONNÉ PAR TOUADÉRA LUI-MÊME ?
L’ordre aurait-il pu être donné par Touadéra lui-même ? La rumeur avait à l’époque couru, au point que Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du président, avait dû préciser que « le chef de l’État n’[avait] pas été informé de l’arrestation ni de la mise en liberté du ministre de l’Élevage ». « Tout le monde a parlé du fait que c’est le président Touadera qui aurait décidé ma libération, ajoute Hassan Bouba. Mais les gens doivent savoir que tout cela était de la manipulation des ennemis de la paix. Le président ne peut pas interférer dans une affaire judiciaire. »
Et lorsqu’on l’interroge sur ses liens éventuels avec les Russes, très influents dans les sphères du pouvoir et qui auraient pu jouer un rôle lors de cette séquence mouvementée, il élude avec un haussement d’épaules : « Ce sont des partenaires du gouvernement. Je suis membre du gouvernement. S’il y a des thématiques qui me concernent et sur lesquelles je dois travailler avec eux, ça n’est pas un problème. »
Homme d’affaires prospère
Depuis sa libération, l’ancien rebelle dit avoir entamé des pourparlers avec des membres de l’UPC et de la CPC pour les convaincre de déposer les armes. Une manière de convaincre de son utilité ? « Chaque semaine, des combattants rendent les armes, insiste-t-il. Dans le Haut-Mbomou [préfecture frontalière de la RDC et du Soudan du Sud], dans les villes de Mboki et Zemio, des gens appellent pour dire qu’ils sont prêts à le faire et qu’ils croient en la paix, tout comme moi. »
LES DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS ET LES REPRÉSENTANTS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE SE DISENT « SIDÉRÉS »
Il en faudra sans doute plus pour convaincre la CPS, les défenseurs des droits humains et les représentants de la société civile en Centrafrique qui, en apprenant sa libération, se sont dit « sidérés », dénonçant une situation « absurde » et regrettant que « le pouvoir annihile ce qu’il a lui-même construit ».
Hassan Bouba est aussi un homme d’affaires prospère, un Peul qui s’est enrichi dans le commerce de bétail et auquel on a un temps prêté des accointances dans les services de renseignements tchadiens. À Jeune Afrique, il dit aujourd’hui « aider à distinguer qui est rebelle de qui est éleveur, et une zone d’élevage d’un campement de rebelles ».
Source: Jeune Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée