Les « Mauritius Leaks » démontrent, grâce à 200 000 documents d’un cabinet d’avocats fiscalistes, comment les entreprises profitent des avantages fiscaux de la république de Maurice pour réduire les impôts payés sur leurs activités en Afrique.
Après le Panama, le Luxembourg, c’est au tour de la république de Maurice d’être épinglée pour ses pratiques fiscales douteuses. Les « Mauritius Leaks« , constitués de plus de 200 000 documents du cabinet d’avocats Conyers Dill & Pearman obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dévoilent les dessous d’une gigantesque machine à optimisation fiscale dont les pays africains sont les premières victimes.
À quelques 2 000 kilomètres des côtes africaines, en plein océan Indien, la république de Maurice s’est bâtie, depuis les années 1990, une solide réputation auprès des grands groupes internationaux qui cherchent à payer le moins d’impôt possible pour leurs activités en Afrique.
Impôts mini, secret maxi
Les e-mails, documents internes et vidéos récupérés par l’ICIJ, et publiés mardi 23 juillet, démontrent que des grandes banques internationales comme Goldman Sachs, Deutsche Bank, BNP Paribas, des multinationales telles que Wal-Mart, Whirlpool ou Total, mais aussi la Banque européenne d’investissement ou encore la Banque africaine de développement, ont eu recours au service des avocats de Conyers Dill & Perman pour développer leurs activités sur place.
L’Île sait comment attirer ces riches clients. Elle propose une fiscalité très avantageuse aux entreprises qui décideraient d’y élire domicile. « Elle affiche un taux statutaire d’imposition sur les sociétés de 15 %, mais d’après nos calculs, le taux minimal dont les entreprises peuvent bénéficier est souvent de 0 % », explique Maïmouna Diakité, chercheuse principale pour l’Afrique francophone au sein de l’ONG Tax Justice Network, contactée par France 24. Il suffit, en effet, de remplir quelques conditions concernant, par exemple, la taille de l’entreprise (nombre de salariés) ou le secteur d’activité pour avoir droit à des ristournes fiscales importantes.
Le secret bancaire mauricien n’a, en outre, rien à envier à d’autres places financières opaques comme la Suisse, Panama ou les îles Caïmans. Il est ainsi impossible pour les autorités fiscales d’un pays tiers de savoir qui sont les véritables bénéficiaires de la multitude de sociétés écran inscrites au registre de la république de Maurice. « C’est l’un des pays qui accueille le plus de sociétés-écrans au monde », rappelle Maïmouna Diakité.
Conventions de double (non) imposition
Mais son principal attrait réside dans le vaste réseau de conventions relatives à la double imposition signées avec des pays africains. La république mauricienne en a conclu une quinzaine qui permettent aux sociétés de toucher le jackpot fiscal. Ces traités sont conçus, à l’origine, pour éviter qu’une personne – physique ou morale –ne paie le même impôt dans son pays de résidence et dans celui où elle a son activité. Mais son objet a été dévoyé par des fiscalistes avertis et certains paradis fiscaux pour réduire au maximum la charge fiscale qui pèse sur les multinationales.
Ainsi, ces conventions permettent aux entreprises domiciliées sur l’île Maurice de ne payer aux États africains signataires qu’un faible taux sur les profits tirés des activités réalisées dans ces pays, puis de régler le reste de l’ardoise fiscale – impôts sur les sociétés – au fisc mauricien… qui ne leur demandera rien, ou presque. Ensuite, grâce à « d’autres conventions fiscales avec des pays occidentaux, ces profits sont rapatriés vers les sièges sociaux et les actionnaires en minimisant, de nouveau, les taxes à payer », explique Johan Langerock, expert des questions de fiscalité pour l’ONG Oxfam.
C’est ce système qui coûte très cher à des pays africains qui auraient, souvent, besoin de ces revenus fiscaux pour réduire leur taux de pauvreté ou développer des infrastructures. « L’île Maurice, juste derrière les Émirats arabes unies, est le pays le plus agressif pour obtenir des taux réduits sur le paiement des intérêts, dividendes auprès des États africains à travers ces traités », résume Maïmouna Diakité.
Le Zimbabwe, le Kenya, le Swaziland, ou encore le Rwanda, ont ainsi perdu des millions au profit de multinationales fiscalement averties, même s’il est difficile d’estimer avec précision à quel point ces traités fiscaux pèsent sur les finances de ces pays. « Le Sénégal a évalué à 150 millions de francs CFA les pertes liées à la convention signée avec la république de Maurice », précise l’experte de Tax Justice Network.
« Cercle vicieux »
Le système est, en outre, tellement bien rodé qu’il est « devenu un véritable cercle vicieux », affirme Johan Langerock. Il a été mis en place il y a longtemps, a fait ses preuves, et les conseils juridiques et cabinets d’avocats le connaissent par cœur, ce qui fait que « même lorsqu’une entreprise ou une institution ne veut pas forcément faire de l’optimisation fiscale, on lui conseille de passer par l’île Maurice pour faire de affaires en Afrique car c’est le plus facile », explique cet expert. Car en plus d’être fiscalement très accueillante, la république de Maurice « offre un cadre politique, économique et législatif très stable, ce qui la rend encore plus attractive », résume-t-il.
Mais les autorités mauriciennes et les multinationales ne sont pas les seuls à blâmer. Après tout, il faut être deux pour signer une convention relative à la double imposition. Les pays africains signataires ont, ainsi, sciemment renoncé à de précieux revenus fiscaux. Mais, c’est parce qu’ils espéraient que ces traités rassureraient les entreprises et « seraient bons pour la croissance et l’emploi en favorisant les investissements directs dans le pays », explique Johan Langerock.
Problème : « Aucune étude chiffrée n’a jamais pu établir que l’augmentation des investissements suffisaient à compenser les pertes de revenus fiscaux », rappelle Maïmouna Diakité. Certains pays, comme le Sénégal ou le Kenya, ont dénoncé ces conventions ou en ont renégocié les termes. Mais la plupart d’entre eux restent encore pris au piège de ces traités et craignent d’en sortir, de peur de faire fuir les entreprises qui ont investi chez eux. Pourtant, « il n’est pas du tout évident que ces conventions sont réellement le critère déterminant pour les entreprises qui cherchent à investir, et d’autres facteurs, comme le niveau des infrastructures jouent un rôle au moins aussi important », conclut Maïmouna Diakité. Des infrastructures qui pourraient être développées avec l’argent issus des revenus fiscaux… que les multinationales ne paient pas.
Source: France 24/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée