En 2020, les pays d’Afrique de l’Ouest comptent mettre en place l’Eco, une nouvelle monnaie dans l’espace CEDEAO à la fois pour les pays anglophones et ceux de la zone franc. Une monnaie unique pour la région ouest-africaine et ses 340 millions d’habitants pour un PIB de 1 322 milliards de dollars. Dans ce contexte de polémique sur les avantages et inconvénients du maintien des modèles monétaires de la région, l’assureur-crédit Euler Hermes publie une étude sur le potentiel inexploité du franc CFA par les pays membres. Des arguments qui se heurtent à ceux des détracteurs de la monnaie.
Alors les Etats africains étudient les modalités de sortie ou d’une réforme du franc CFA, une monnaie héritée de la colonisation française, une nouvelle étude sur son potentiel sous-exploité par les pays de la CEMAC (Afrique centrale) et UEMOA (Afrique de l’Ouest) a été publiée par l’assureur-crédit Euler Hermes. Dans cette étude, les analystes d’Euler Hermes se penchent sur le franc CFA devenu une question d’actualité au moment où d’éminents économistes du Continent appellent à une sortie ou une réforme de la monnaie jugée obsolète et inadaptée aux économies africaines.
Le spectre de la dévaluation plane sur la région CEMAC
Après le choc de la dévaluation de -50% du Fcfa qui a contribué à détruire le tissu socio-économique des pays africains au milieu des années 1990, les Etats de la zone vivent sous la crainte d’une nouvelle dévaluation. La menace jamais écartée est l’un des nombreux arguments contre le franc CFA. En 2014, la chute du prix des matières premières avait mis au jour quelques vulnérabilités de la monnaie susceptibles de conduire à une nouvelle dévaluation en cas de nouvelle baisse des prix des matières premières surtout pour les pays la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). L’étude Euler Hermes reconnait d’ailleurs que la zone CEMAC est sous pression, sans être dans la situation critique de 1994.
Le «commerce intra-zone en valeur représente 200 millions de dollars de moins que ce qu’il devrait représenter au regard des conditions commerciales existantes dans la zone : frontières, langue et monnaie communes. De toute évidence, la monnaie est surévaluée dans la région, principalement du fait du recul du prix du pétrole. Cela a conduit à une hausse de la dette publique et à une chute des réserves de change», selon l’étude.
En dépit de ces faiblesses, l’étude écarte toute idée d’éclatement de la zone ou une dévaluation du Fcfa dans les cinq prochaines années. «Toutefois, si le prix du pétrole chutait durablement à 30 dollars/baril, alors la CEMAC serait obligée de dévaluer le franc CFA, mais la zone resterait toujours unie», précise l’étude.
Les bons points de région UEMOA prête à passer à l’Eco
Contrairement à la zone CEMAC, l’étude relève la stabilité et les bonnes performances de la région UEMOA où la dette en hausse reste gérable, le cours du Fcfa ne semble pas surévalué et les réserves de changes demeurent adéquates. L’on souligne toutefois que les pays membres ne tirent pas totalement profit de l’union monétaire. Les flux commerciaux intra zones sont en dessous de leur potentiel pour 5 pays sur 8.
«L’accord commercial CEDEAO et le projet de nouvelle monnaie Eco avec les pays anglophones voisins (Ghana, Nigéria) pourraient changer la donne. Mais le franc CFA devrait bien fêter ses 100 ans avant que l’ECO ne le remplace», prédisent les analystes d’Euler Hermes qui ont occulté les nombreux griefs à l’encore du franc Cfa taxé parfois de frein au développement économique de la zone.
Quatre arguments contre le franc CFA
Selon Kako Nubukpo, économiste togolais et l’un des principaux porteurs du projet de révision du franc CFA dont les arguments sont relayés par plusieurs autres économistes du Continent, le franc CFA n’est pas une monnaie adaptée aux économies africaines pour quatre raisons. Dans une tribune accordée en mai dernier à La Tribune Afrique (magazine), Nubukpo explique que la première de ces raisons est que le franc CFA n’a pas su engendrer une dynamique de commerce inter-régional. Près de 75 ans après sa création, les pays de la zone franc Continue d’échanger très peu entre eux, à hauteur de 15% en Afrique de l’Ouest et de l’ordre de 10% en Afrique centrale, alors que dans la zone euro, le commerce intra-régional est supérieur à 60%. L’absence de commerce intra- zone franc réduit l’intérêt d’avoir une monnaie commune, plaide-t-il.
Un frein à la compétitivité des produits africains
Le deuxième argument est que le franc CFA freine la compétitivité des produits africains à l’exportation, même s’il n’est pas le seul élément à prendre en compte. Le troisième argument est celui du financement. Dans la zone franc, les taux d’intérêt réels pour les crédits restent particulièrement élevés et atteignent même les 15% dans certains cas, réduisant les volumes de crédits accordés aux entreprises et aux ménages, souvent dans l’incapacité d’emprunter à ce taux, explique l’économiste togolais.
«Face à la faiblesse du niveau de production de nos pays, l’ouverture des vannes du crédit alimente les importations, payables en devises. Or, toute pénurie de devises pourrait engendrer une dévaluation du franc Cfa. C’est pour éviter ce scénario que les banques centrales de la zone (BCEAO et BEAC) incitent les banques commerciales à restreindre les volumes de crédits accordés aux clientèles», détaille Kako Nubukpo.
Cette absence d’objectif de croissance de la part des banques centrales de la zone franc est le quatrième argument en défaveur du franc Cfa. «Je déplore l’absence de la croissance économique dans les objectifs des banques centrales de la zone franc Cfa. Aujourd’hui, elles ont pour seuls objectifs de contenir l’inflation et non de favoriser la croissance et la création de l’emploi», regrette-t-il.
Déflation endémique dans la zone franc
Contrairement à la sous-région UMAC, la sous-région UEMOA connait certes une forte croissance, non pas en raison de la politique monétaire de la BCEAO, mais parce qu’elle dépend essentiellement des cours des matières premières, selon les détracteurs du Fcfa. Ces derniers réfutent aussi l’argument de stabilité des prix brandi par les défenseurs du Fcfa et évoquent une situation de déflation macroéconomique où la population est trop pauvre pour consommer. La stabilité des prix, telle qu’elle est définie, équivaut à un taux d’inflation de 2%. Or, actuellement la zone franc à un taux d’inflation de 0,8%. Ce qui est une déflation, et non une stabilité des prix, relève l’économiste togolais.
Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent et préconisent de rendre le Fcfa plus flexible en changeant l’arrimage à parité fixe à l’euro qui est une monnaie forte. Il s’agit de le relier à un panier de devises, avec des monnaies variées qui reflètent la diversité du commerce des pays de la région avec le reste du monde.
«Les pays de la zone franc ont d’autres partenaires comme la Chine, le Japon, les Etats-Unis. Le poids de chaque devise dans le panier doit dépendre de l’intensité de notre commerce avec le pays émetteur de la devise concernée. Une telle flexibilité, quoique relative, pourrait offrir des marges additionnelles de financement à nos économies», rappelle Nubukpo.
Source: La Tribune Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée