En réponse aux violences terroristes de Al chebab, AQMI, Boko Haram, Mujao, GSIM, Ansar dine, plusieurs interventions internationales sont en cours en Afrique, notamment au Sahel. Ces interventions sont demandées et parfois saluées par certaines autorités politiques africaines. Le terrorisme est un fléau international qui concerne toute la communauté internationale, c’est un phénomène mondial, les réponses doivent être internationales, voilà le discours sur le terrorisme. Comment évoluent ces violences dites terroristes ?
Le discours sur le terrorisme ne distingue pas un terrorisme interstitiel d’un terrorisme structurel. La rhétorique terroriste venue des Etats-Unis a fini de nous convaincre de nos intérêts communs à lutter contre le terrorisme. Dans le sahel, on lutte contre le terrorisme comme le dicte cette rhétorique terroriste façonnée depuis les Etats lointains des Amériques et de l’Europe. Pour lutter contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne, les Etats de cette région d’Afrique ont nécessairement besoin de l’expertise des Américains, des Français, des Britanniques. Il s’en suit une nécessité de coopérations dans le domaine militaire, sécuritaire et économique. Quelles sont les réponses à apporter face aux nombreux événements meurtriers au Mali, au Burkina Faso, au Niger, et face aux échecs successifs de la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Eviter la rhétorique terroriste
Le discours sur la mondialisation nécessaire de la sécurité est porté par les Etats-Unis. Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001, « la mondialisation de la sécurité est la seule réponse possible à la mondialisation de l’insécurité et qu’elle est particulièrement urgente étant donnée la possibilité d’un développement de menaces d’usage d’armes de destruction massive qui pourrait être le fait d’organisations terroristes ou criminelles et de gouvernements les soutenant». La (in)sécurité c’est un ensemble de discours produit par les «professionnels de la sécurité». Le processus de mondialisation des violences s’accompagne du processus d’internationalisation de la sécurité et du discours d’institution des violences dites terroristes comme menaces principales et internationales.
Les résolutions 1368 du 12 septembre 2001 qui engage les États à prévenir et à éliminer les actes terroristes, et celle 1373 du 28 septembre 2001, qui édicte une quasi-législation internationale que devront observer les États pour lutter contre le terrorisme, participent à la création de la rhétorique terroriste. Cette dernière a deux conséquences directes, selon Didier Bigot. D’une part, le discours sur le terrorisme conduit à une forme de gouvernementalité par l’inquiétude. Le discours porte sur la nécessité d’unité, de centralisation et de mutualisation des efforts de gouvernance des violences dites terroristes, pour répondre à des situations d’urgence, de crise. En pratique, on préconise des méthodes urgentes (la destruction militaire). On institue progressivement des pratiques «illébérales» au sein de régimes libéraux par la récurrence des «états d’urgence et d’exception».
Dans ces situations, pour rassurer les populations -et les rendre dociles et obéissants- on exagère les peurs par un discours du risque et de la suspicion au sein d’un horizon présenté comme apocalyptique. On crée un climat de méfiance et de défiance par une sape de la confiance. D’autre part, en faisant du terrorisme une menace globale qui dépasse le cadre des Etats, la rhétorique terroriste transnationalise les professionnels de la gestion des inquiétudes et confond la sécurité intérieure et extérieure.
Au sein des Etats du Sahel -Burkina Faso, Mali, Niger- où sévissent les groupes armés, cette rhétorique terroriste a une double implication. Premièrement, le discours international sur le terrorisme mobilise les moyens internationaux. Il a conduit à des interventions militaires d’Etats étrangers dans des situations urgentes et de crises qui ont empêché des décisions politiques critiques. Les Etats concernés par les actes terroristes confient entre autres leur sécurité – signent des accords qui limitent leur souveraineté. Ce discours tout en internationalisant la menace, concentre et territorialise les pratiques anti-terroristes sur des champs bien circonscrits, encerclés, militarisés, violentés, disqualifiés. Des zones y compris non touchées par le terrorisme sont classées rouge. Ces classifications prennent la forme de violences inouïes sur les Etats stigmatisés au nom de la sécurité de quelques individus d’ailleurs.
Ainsi par un mécanisme discursif, au nom de la lutte contre le terrorisme et pour la sécurité internationale, certains espaces du continent sont définis et gouvernés de l’intérieur et depuis le lointain-extérieur. La militarisation des espaces a pour conséquence immédiate de restreindre les libertés et droits aux mobilités, en même temps qu’elle accentue les formes de radicalités qui sont sociales, économiques, aujourd’hui religieuses.
Tout ceci, dans un jeu de mélange des genres discursifs et empiriques : la crainte que des combattants entretenus et battus au grand Moyen-Orient se déportent dans le sahel est réelle et réellement accompagnée d’un discours qui globalise la menace terroriste à dessein. Le discours sur la menace terroriste crée le terrorisme. Dans le sahel ce discours est sécuritaire et non neutre. Pour preuve, le terrorisme est désigné par terrorisme-jihadiste. Le terrorisme gagne du terrain, s’intensifie. Aujourd’hui c’est le Bénin, parce que des touristes français ont été kidnappés. Combien ce phénomène fera-t-il du bénin une zone terroriste ? Et combien la politique de gestion des inquiétudes qui s’en suivra déterminera-t-elle le terrorisme ? Soit parce que des terroristes ailleurs y trouveront une opportunité, soit parce que des radicalités sociales se transformeront en radicalité terroriste-jihadiste.
Deuxièmement, la rhétorique terroriste ampute toute souveraineté aux Etats concernés dans le Sahel. Ces Etats se retrouvent à lutter contre des groupes armés dans leurs propres territoires en étant liés aux règles et principes que renferme le contre-terrorisme, et qu’ils n’ont pas participé à construire. Par exemple, la rhétorique terroriste nous conduit à nier les liens nationaux que nous avons avec certains individus et à refuser de s’interroger sur les responsabilités de nos Etats sur le devenir de ces individus ; et ainsi à accepter le traitement des comportements criminels de certains nationaux par d’autres. La rhétorique terroriste, sous couvert de menace pour les Etats qui le remettraient en cause, en trans-nationalisant la gestion du terrorisme, inscrit du même coup les politiques contre-terroristes dans le cadre des rapports de forces qui mettent en avant les niveaux de technicité et de technologie, d’opérationnalisation, de brutalité face à des groupes armés eux aussi brutaux.
Alors que le terrorisme est à fois dispersé et structuré, le fantasme du commandement centralisé qui dicte les choix de coordination a fini par soumettre des Etats qui ont choisi de confier leur sécurité, celle de leurs populations à d’autres Etats dont les plus en vue la France – ex-colon- et les Etats-Unis, puissance impériale. La rhétorique terroriste qui veut que des armées professionnelles, équipées et efficaces combattent des groupes armés dont on ne sait d’où provient l’armement, est déroulée au mépris des formes de terrorisme. Le terrorisme se nourrit des frustrations relatives des populations. En cela, ses causes au-delà des considérations d’externalité sont profondément structurelles.
Faire face au terrorisme structurel
Le terrorisme au sahel prend forme dans des Etats fragilisés. Au Centre et au nord du Mali, il est le fait de groupes armés venus d’Algérie – le GSPC aujourd’hui Aqmi. Les actes terroristes sont aussi perpétrés par des groupes armés aux origines locales -Ansar dine de Iyad Ag Ghali. Au Sahel, l’idée et l’acte terroriste émergent dans des espaces où les Etats sont défiés au lendemain des indépendances. La plupart des Etats africains font l’expérience de violences rebelles sécessionnistes, opportunistes, post-électoralistes, intercommunautaires. Au Mali, pays-centre de l’Afrique occidentale, les violences dites terroristes émergent dans des espaces déjà marqués par l’insécurité liée aux rébellions touareg et au trafic de tout genre. Les violences dites terroristes se nourrissent de la fragilisation des Etats, mais aussi de la présence des guerres. Le terrorisme est structuré autour d’espaces abandonnés par les institutions et les administrations de l’Etat. Les groupes armés jouent dans un premier temps le rôle de gouverneurs en terrifiant les populations si nécessaires. Ils gagnent la sympathie de certaines populations frustrées des manquements de leurs Etats.
Ce terrorisme se positionne comme salvateur. Il investit les structures sociales, juridiques et judiciaires. Il promet le meilleur aux populations déshéritées, déniées et abandonnées. Les guerres civiles créent les conditions du terrorisme. Ces guerres civiles peuvent fragiliser les Etats -Mali, Nigéria, Niger- et créer les conditions d’interventions intéressées des Etats de la sous-région et de la communauté internationale. La fragilisation des institutions étatiques crée un cadre propice à l’émergence d’autres acteurs non-étatiques, ici les groupes qui usent de moyens terroristes.
L’évolution d’Al-Qaïda d’abord en Afghanistan et ensuite au Pakistan, illustre cette corrélation entre guerre civile et violences terroristes. Au Sahel, la mobilisation par certains groupes contestataires du pouvoir central, de tactiques terroristes pour la conquête du pouvoir, les gains économiques, voire symboliques, n’est en soi pas inédit. Le terrorisme se nourrit dans cette partie du monde des germes des guerres civiles à savoir les frustrations relatives des populations locales. En outre, ce terrorisme structurel suit les tracées de la géopolitique des conflictualités, des situations de fragilités des Etats et de porosité de certaines frontières terrestres. Son implantation se fait dans des espaces qui regorgent des richesses inexploitées.
Reconnaître et légitimer la raison d’Etat
La principale raison qui indique qu’il faille combattre autrement les violences dites terroristes, c’est que les réponses militaires dans le cadre du contre-terroriste sont limitées. Au point de nécessiter que le paradigme des interventions militaires qui par ailleurs fait le jeu des terroristes, doit être repensé, voire remplacé. La forte présence de forces militaires étrangères n’inverse la situation d’insécurité, encore moins ne dissuade les actions meurtrières des groupes armés contestataires des gouvernements centraux. L’histoire nous enseigne que le processus de construction des Etats africains est violent (coup d’Etat, guerres civiles, violences communautaires, violences post-électorales, génocides). Nous considérons tout de même certains processus de pacification comme le résultat de luttes. Ces dernières n’ont pas toujours été de l’ordre des violences qui se décrivent aujourd’hui au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Nigéria. Le dialogue, les processus de reconnaissance mutuelle apaisés ont contribué aussi à la formation de nos Etats. Les luttes contre le terrorisme participent d’une dynamique d’affirmation des Etats, d’imposition de leur légitimité – à raison. Ces luttes prennent les formes de violences des armées nationales contre les groupuscules «terroristes-jihadistes», des violences parfois déléguées dans le cadre du commerce de la violence, soit à des puissances étrangères ou encore à des milices dites d’autodéfense. In fine, faisons remarquer que les Etats ne tirent pas les mêmes légitimités à lutter contre le terrorisme. Alors que nos partenaires occidentaux semblent gagner plus en légitimité aux dépens des Etats africains, il est aberrant de continuer à mettre un doigt d’honneur à se refuser d’ouvrir de larges processus de dialogue, et de considérer le tout-militaire en partenariat avec les Etats occidentaux comme la grande panacée. La lutte contre le terrorisme doit prendre toute la mesure du partenariat dans le domaine sécuritaire surtout dans l’espace sahélien. Ce partenariat doit faire l’objet d’évaluation dans la déconstruction de la rhétorique terroriste. L’enjeu de la lutte contre le terrorisme est la gestion des violences politiques liées aux guerres civiles. Les outils de gestion/résolution des guerres civiles sont certes indispensables pour retrouver des relations sociales qui permettent aux populations de créer une croissance économique bénéfique à leur épanouissement ; mais ces mécanismes ne suffiront nullement. Il faudra donc les accompagner d’une politique étrangère rigoureuse et de politique de défense efficace.
Source: La Tribune Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée