Reprise des discussions avec les institutions financières, appels aux investisseurs étrangers, initiatives pour faire décoller l’agriculture : le nouveau Premier ministre est sur tous les fronts.
Au lendemain des soubresauts qui ont accompagné le départ de l’ex-président Omar el-Béchir, les questions ne manquent pas quant à l’avenir économique du Soudan et les marges de manœuvre dont dispose Abdalla Hamdok, cet économiste de 61 ans qui est devenu le Premier ministre de la transition. Il a déjà annoncé la couleur en mettant en exergue sa volonté de renouer rapidement avec les institutions financières mondiales telles que le FMI ou la Banque mondiale, mais il a aussi placé la lutte contre la corruption en tête de ses priorités. Quels sont les chantiers qui l’attendent ? Où peut-il vraiment agir ? Quels sont les obstacles structurels, politiques, sociaux et économiques qu’il devra affronter ? Autant de questions auxquels a répondu le nouveau dirigeant issu de la société civile.
Une feuille de route axée sur l’économie et la paix
Déjà, mercredi en conférence de presse, l’économiste soudanais choisi par les Forces pour la liberté et le changement pour diriger le gouvernement technocrate de transition avait donné une feuille de route axée sur l’économie et la paix. Dans une interview télévisée d’une heure diffusée par toutes les chaînes soudanaises et certaines chaînes arabes, le Premier ministre a déclaré que la crise économique pouvait être résolue en s’attaquant aux causes profondes en commençant par mettre fin aux guerres au Darfour et dans les autres régions. Il a souligné que la fin de la guerre permettra au gouvernement d’utiliser environ 70 % des dépenses du budget national et de les investir dans des projets de développement, en particulier des projets agricoles et des industries connexes. Il a ajouté que de tels projets détermineront le niveau de vie des Soudanais pauvres et garantiront une source pour un revenu minimum de base pouvant créer un cycle interne de croissance économique.
Des besoins estimés à 10 milliards de dollars
Quelques jours plus tard, lors d’un entretien accordé à Reuters, Abdalla Hamdok a déclaré que le Soudan avait besoin de 8 milliards de dollars d’aide étrangère au cours des deux prochaines années pour couvrir sa facture d’importation et aider à la reconstruction de son économie dévastée. En outre, il a souligné la nécessité de disposer de 2 milliards de dollars supplémentaires en dépôts de réserves de change pour mettre fin à la chute de la monnaie au cours des trois prochains mois. Pour cela, le Premier ministre a dit avoir ouvert des discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale dans le but de restructurer l’importante dette du Soudan, et il a parallèlement effectué des approches auprès de pays amis. « Les réserves en devises de la banque centrale sont faibles », a-t-il expliqué. Cependant, a-t-il tenu à nuancer, « il n’y a rien à craindre de ces organisations », faisant allusion aux dures réformes d’austérité mises en œuvre par le gouvernement el-Béchir sur recommandation des deux institutions financières.
Rétablir le contact avec la communauté internationale
Abdalla Hamdok a également déclaré s’être entretenu avec les États-Unis pour retirer le Soudan de sa liste des États qui parrainent le terrorisme. En effet, les États-Unis ont multiplié depuis 1997 les sanctions économiques contre le Soudan, qui est inscrit sur la liste noire américaine des « États soutenant le terrorisme » depuis 1993. En cause, des accusations de soutien à des groupes djihadistes – le fondateur d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, a vécu à Khartoum entre 1992 et 1996 –, les atteintes aux droits humains et le conflit au Darfour qui a fait plus de 300 000 morts depuis 2003. Omar el-Béchir, premier chef d’État visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, est recherché pour « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité » et « génocide » dans cette région de l’ouest du Soudan. En 2017, l’embargo économique a été levé, mais Washington maintient le pays sur la liste noire des « États soutenant le terrorisme ».
Faire avec une inflation galopante
Sur le plan interne, le pays est aussi en pleine tourmente économique depuis la perte de la majeure partie de sa production de pétrole en 2011, lorsque le Soudan du Sud a fait sécession après des décennies de guerre civile. Le pays a même dévalué la livre plusieurs fois sans pour autant en arrêter la chute. Un dollar pèse actuellement 65 livres sur le marché noir contre un taux officiel de 45. « Nous allons travailler pour unifier le taux de change et pour le rendre plus flexible », a annoncé le Premier ministre Hamdok, sans donner plus de détails. Pour le dirigeant il est plus qu’urgent que le Soudan rétablisse la confiance des investisseurs et des populations dans son système bancaire.
Le Soudan a achevé mardi soir la formation du Conseil souverain, dont les onze membres vont conduire la période de transition de trois ans devant déboucher sur des élections. Ce sont la pénurie de matières premières et de carburant ainsi que l’inflation qui ont déclenché les manifestations de masse qui ont provoqué la chute du président Omar el-Béchir en avril dernier. Et sur le sujet très sensible et symbolique des subventions gouvernementales pour le pain, le carburant, l’électricité et les médicaments, le nouveau Premier ministre a déclaré que tout changement ne serait apporté qu’après « des discussions approfondies » avec la population. « Ce sont les gens qui prendront la décision à ce sujet. »
L’agriculture, futur pilier
Abdalla Hamdok, qui a étudié l’économie agricole et travaillé à la Banque africaine de développement, a déclaré que le Soudan devait exploiter son potentiel agricole. Le Soudan est riche en ressources agricoles, mais les taxes élevées, la corruption et la mauvaise gestion freinent les investissements dans le secteur depuis des décennies. « Nous voulons faire passer l’économie soudanaise d’une économie basée sur la consommation et les importations à une économie productive, et cesser d’exporter des produits tels que le bétail et l’agriculture en tant que matières premières », a-t-il estimé. « Nous viserons plutôt à les traiter de manière à créer de la valeur ajoutée. » Peu après l’éviction d’Omar el-Béchir, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont annoncé une aide de 3 milliards de dollars au Soudan, sous la forme d’un dépôt de 500 millions de dollars à la banque centrale, que le Soudan a déjà reçus, selon plusieurs sources, ainsi que du carburant, du blé et des médicaments.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée