« Small voices big dreams« . Un rapport original par sa méthodologie, il a donné, tout au long des 60 pages qui le composent, la parole aux enfants au lieu de parler en leur nom, comme d’habitude. Alors qu’il est publié ce 04 septembre, Afrika Stratégies France a, dans la foulée, interviewé l’une des auteurs. Après des études de développement politique à Bocconi University de Milan, Laurence Cambianica a dirigé le Samusocial du Mali à Bamako avant d’être responsable de la protection de l’enfant et de l’éducation au Samusocial International et au Plan International France. A Educo depuis 2017 à Barcelone, elle est spécialiste de la protection mondiale de l’enfant. Son interview, précise et documentée, revient en détails sur le rapport.
Child Fund Alliance vient de publier son rapport consacré à l’enfant et intitulé « small voices, big dreams », pourquoi l’opportunité d’un tel document ?
Le projet Small Voices Big Dreams a été initié en 2010 avec l’objectif de devenir la première enquête qui permet aux enfants d’exprimer leurs opinions et leurs perceptions sur les thèmes qui les touchent directement. Cette année, à l’occasion du 30ème anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, et de la revue de la cible 16.2 des Objectifs de développement durable, spécifiquement dédiée à la violence faite aux enfants, nous avons décidé de mettre en lumière cette problématique. En effet, la violence faite aux enfants se situe encore aujourd’hui à des niveaux alarmants, et cette situation est inacceptable.
La particularité de ce rapport, c’est que les enfants y ont pris la parole et l’ont monopolisée jusqu’au bout. Pourquoi une telle méthode ?
Il s’agit de la méthode utilisée et promue depuis plusieurs années par l’initiative Small Voices Big Dreams. Cela étant, le terme « monopolisé la parole » n’est peut-être pas adapté. Nous la leur avons donnée, car, comme le stipule la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ils ont le droit de s’exprimer et d’être entendus. Nous pensons qu’il est essentiel que les filles et garçons du monde entier puissent exprimer leur vision sur ce phénomène de violence qui les touche tant. Il a de plus été démontré que la participation de l’enfant joue un rôle fondamental dans la protection des enfants contre toutes formes de violences : elle permet de mettre en avant des solutions plus adaptées et contribue à leur propre autonomisation et constitue un outil de prévention de la violence à part entière.
Quelles sont, de ce rapport, les grandes lignes ?
Ce qui ressort de ce rapport, en premier lieu : au niveau global, les enfants ne se sentent pas protégés ni écoutés. Plus de 40% des enfants ne se considèrent pas suffisamment protégés contre la violence. Ce sont les filles qui manifestent le sentiment d’insécurité le plus fort. En outre, un enfant sur deux estime que son opinion sur les questions qui le concernent n’est pas écoutée dans son pays, alors que neuf enfants sur dix pensent que la reconnaissance de leurs droits est un facteur clé de prévention de la violence.
Il est intéressant de noter que plus de deux tiers des enfants interrogés (69%) rejettent la violence comme moyen d’éducation ; et surtout que neuf enfants sur dix pensent que la chose la plus importante que les adultes peuvent faire pour mettre fin à la violence faite aux enfants est de les aimer davantage et d’écouter ce qu’ils ont à dire.
Par rapport aux constats de précédents rapports, est-ce que la situation s’améliore ?
Nous devons garder à l’esprit que Small Voices Big Dreams est une étude sur la perception que les enfants ont de la violence, et pas nécessairement une étude sur l’incidence de ladite violence, ou sur le contact que la population interrogée entretient avec ce phénomène. De plus, les précédents rapports n’abordaient pas spécifiquement cette thématique, le sujet étant différent chaque année. Il est ainsi difficile de proposer une comparaison mais l’on peut, à titre général, indiquer que même si de nombreux progrès ont été réalisés depuis quelques années au niveau global, notamment en ce qui concerne le travail des enfants ou le mariage des enfants, la violence faite aux enfants reste un phénomène alarmant, avec plus d’un milliard d’enfants touchés chaque année, soit environ un sur deux. Il reste énormément d’efforts à accomplir pour l’atteinte de la cible 16.2 des ODD, notamment pour placer les enfants au centre des discussions et des politiques, écouter les solutions qu’ils et elles nous proposent. De plus, certains types de violences croissent de manière exponentielle aujourd’hui, notamment les violences en ligne, sur les réseaux sociaux.
Est-ce qu’il y a des catégories d’enfants qui sont plus vulnérables à la violence que d’autres ? Et est-ce que certaines régions du monde sont plus risquées pour l’enfance ?
La violence contre les enfants est un problème global qui se manifeste au-delà des frontières, des classes sociales, de la culture, de l’ethnicité, de la race, du genre et du statut socioéconomique ; aucun enfant n’est à l’abri de la violence. Cela étant, les enfants ou groupes d’enfants déjà en situation de vulnérabilité dans la société sont plus vulnérables à la violence. Il s’agit notamment des enfants en situation de mobilité, notamment les enfants non-accompagnés ; des enfants en situation de handicap, des enfants issus de certaines minorités, des filles, qui en raison de facteurs socio-culturels ne se voient pas reconnaître les mêmes droits que les garçons. De plus, plusieurs facteurs de vulnérabilité peuvent être combinés, au niveau individuel, familial, en fonction de l’environnement proche, du contexte social ou national… De même, il existe des régions dans lesquelles certains types de violence sont exacerbés par rapport à d’autres, par exemple la violence généralisée dans la société dans plusieurs pays d’Amérique centrale. Sur le continent africain, le travail des enfants et le mariage des enfants, qui entraînent une série de violences, sont particulièrement présents.
40% des enfants ne se considèrent pas « protégés ». Est-ce que cette impression est le reflet de la réalité ?
Nous avons toutes les raisons de croire que cette perception est bien le reflet de la réalité, voire en-dessous de la réalité. En effet, les chiffres au niveau mondial sont alarmants : toutes les 5 minutes, un enfant meurt en raison de la violence qui lui est infligée. 3 enfants sur 4 entre 2 et 4 ans subissent régulièrement une forme de discipline violente, qu’il s’agisse de châtiments corporels ou agression psychologique. L’UNICEF nous indique en 2017 que 15 millions d’adolescentes entre 15 et 19 enfants ont subi des relations sexuelles forcées. La liste est longue. Sachant qu’il existe des barrières au signalement des violences, il est fort probable que ces données soient sous-estimées. Le rapport Counting Pennies, publié par une coalition d’organisations, dont Child Fund Alliance, a mis en évidence qu’en 2015, les initiatives visant à la lutte contre la violence faite aux enfants sont loin d’avoir bénéficié de financements à la hauteur de l’enjeu : 0,53% du total de l’aide publique au développement. Dans les pays bénéficiaires de l’aide, cela représente 0,65 dollars par enfant.
A peine 1 enfant sur 5 (18%) pense que les dirigeants peuvent les protéger. C’est tout de même alarmiste ?
Plus qu’alarmiste, cela est alarmant. Cela en dit long sur la façon dont les enfants sont perçus par la société, le monde adulte, les gouvernements en général. Leurs droits, notamment leur droit à la protection contre toutes formes de violences, ne sont pas reconnus. Ils et elles ne sont au centre ni des préoccupations ni des politiques, ce qui entraîne une faiblesse des systèmes de protection de l’enfance, un manque de ressources financières et de ressources humaines compétentes, notamment en ce qui concerne le travail d’appui psycho-social aux victimes de violences, un manque de synergies entre différents secteurs. Il y aurait en outre beaucoup d’efforts à fournir pour définir et mettre en œuvre des programmes de prévention de la violence. Nous saluons le cadre stratégique de la CEDEAO pour le renforcement des systèmes de protection de l’enfant récemment adopté et espérons que son application permettra de renverser la tendance.
Quelles solutions préconisez-vous pour protéger davantage les enfants contre la violence ?
Il n’existe pas de solution miracle, mais il existe des solutions et la violence n’est pas une fatalité. Nous pensons qu’il est important d’aborder les différentes causes de la violence de façon intégrée : en travaillant avec les différents secteurs de la société et des gouvernements, sans se limiter par exemple au renforcement des systèmes de protection mais en abordant également la santé, l’éducation. Par ailleurs, il est essentiel d’impliquer les familles, les communautés et leaders religieux et communautaires. Ils doivent être parties prenantes, et en première ligne, pour prévenir et répondre aux violences faites aux enfants de façon adaptée. Enfin, et c’est le message essentiel que nous souhaitons porter avec le présent rapport : il est fondamental d’écouter les enfants et les associer pleinement aux décisions qui les concernent. Les enfants ont en effet beaucoup à apporter, et le succès de toute politique ou action menée en leur faveur dépend de notre capacité à intégrer leurs voix et leurs opinions, et à répondre à leurs attentes.
Est-ce que les nouvelles technologies, notamment les réseaux sociaux ne sont pas des facteurs aggravant et donc favorisant les violences contre les enfants ?
En effet, comme nous l’avons évoqué précédemment, les nouvelles technologies, si elles représentent une opportunité, constituent un risque énorme si les enfants et adolescents ne sont pas accompagnés dans leur utilisation. Entre 2012 et 2017, il est estimé que 100 millions d’enfants se sont connectés pour la première fois à internet, la majorité en Afrique et en Asie du Sud-Est. Sans préparation, accompagnement ni sensibilisation aux risques qu’ils et elles courent, ces enfants sont très vulnérables à toutes formes de violences en ligne : harcèlement, violences sexuelles, exposition à des matériels inappropriés, grooming etc. Le nombre de violences en ligne détectées et signalées augmente chaque jour de façon alarmante. Les effets de ce type de violence peuvent être dévastateurs pour les enfants et adolescents victimes, en raison notamment de l’exposition et la diffusion à grande échelle, ainsi que la permanence de la violence, lorsque par exemple des images ou vidéos continuent à circuler sur le web pendant des années.
Quels sont les meilleurs élèves de l’Afrique dans la lutte contre la violence faite aux enfants ?
En premier lieu, les meilleurs élèves sont les pays qui disposent soit de lois spécifiques aux violences faites aux enfants, soit de dispositions définissant et réprimant ces violences dans la loi nationale de protection de l’enfant. Il est essentiel que cela soit assorti de politiques, stratégies, financements, plans d’action, et de dispositifs de prévention et de prise en charge des enfants victimes. Une approche de l’éducation de qualité, équitable et dans un environnement sûr et protecteur est également fondamentale. Sur ce plan, peu de gouvernements en Afrique ont atteint ce niveau de progrès.
Les communautés en Afrique ont également un rôle prépondérant à jouer dans la lutte contre les violences faites aux enfants. Les plus engagées sont celles qui ont et valorisent des mécanismes endogènes qui promeuvent le dialogue sur les normes sociales soutenant les violences faites aux enfants, et accompagnent les familles à adopter les attitudes protectrices à l’égard des enfants. Il sera crucial d’associer pleinement les filles et garçons à ces mécanismes pour lutter efficacement contre les violences faites à leur encontre.
Source: Afrika Strategies France/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée