Les diverses actions de protestation constatées dans de nombreuses localités illustrent qu’au-delà de sa dimension politique la crise actuelle est aussi sociale.
Depuis plusieurs semaines, la colère sociale monte dans plusieurs villes à travers le pays. Explication : le ras-le-bol des populations face au chômage, aux coupures d’eau ou à l’absence du raccordement à l’eau potable, à l’absence de l’électrification, au manque dans le transport scolaire dans les localités éloignées, au manque de structures de santé ou de personnels qualifiés, aux problèmes d’assainissement… Bref, les raisons sont nombreuses, les manifestations aussi. Des citoyens ferment des routes. Dans certaines villes de l’est du pays, des manifestants ont carrément muré l’entrée d’une mairie tandis que d’autres ont cadenassé le siège de leur commune pour exiger le départ des élus. Fin août, un groupe de citoyens a chassé le directeur d’un hôpital de Aïn M’lila à Oum El Bouaghi de l’établissement après avoir fait irruption dans son bureau. Des corporations sont revenues à la charge pour réclamer leurs droits. Parmi eux, les retraités, des radiés de l’armée, les invalides et leurs ayants droit. Pour empêcher leur marche nationale le 18 août, les autorités ont mis en place des barrages filtrants qui avaient bloqué des milliers d’automobilistes sur l’autoroute. D’autres catégories sociales peuvent encore se joindre à la grogne sociale. Sur le terrain, les différents membres du gouvernement Bedoui sont devenus « persona non grata ». Ils n’échappent nulle part au mécontentement de la population même dans les régions éloignées. Lors de la rentrée scolaire le 4 septembre, un rassemblement a été organisé contre la venue du ministre de l’Éducation à Ghardaïa. Le 20 août, c’est le ministre de l’Intérieur et d’autres membres de l’exécutif qui sont chassés par la population de la wilaya d’Illizi.
Les moyens de l’État réduits…
Face à la montée de cette colère sociale, le gouvernement de Noureddine Bedoui, dont le départ immédiat est réclamé depuis plusieurs mois par le mouvement populaire, tente des mesures symboliques. Le Premier ministre a ainsi décidé à la fin du mois d’août l’augmentation de 3 000 (22,60 euros) à 5 000 dinars (37,67 euros) la prime scolaire destinée aux catégories démunies et dont bénéficient près de trois millions d’élèves. Dans son allocution à l’ouverture de la session parlementaire, le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), Slimane Chenine, avait assuré qu’il était important que la prochaine loi de finances « ne comporte pas de hausses impactant le pouvoir d’achat des citoyens tout en préservant les grands équilibres de l’État ».
… les vieilles recettes ne marchent plus
En réalité, les marges de manœuvre du pouvoir sont extrêmement réduites vu la situation économique du pays. Depuis l’effondrement des prix des hydrocarbures, principale source de revenus de l’État, les réserves totales de devises ont chuté de 194 milliards de dollars en 2013 à 72,6 milliards de dollars à la fin avril 2019. L’État n’a plus les moyens de se montrer généreux avec les Algériens comme en 2011. Pour faire face au vent du printemps arabe, Bouteflika et son exécutif avaient accordé d’importantes augmentations de salaire dans différents secteurs. Cette fois-ci, la paix sociale est au-dessus des moyens d’un pouvoir qui est également confronté à une grave crise politique sans précédent. Des milliers d’Algériens sortent chaque vendredi depuis le 22 février pour réclamer la fin du système en place et le départ de ses figures emblématiques. La démission d’Abdelaziz Bouteflika et la détention de plusieurs anciens hauts responsables et hommes d’affaires dans le cadre de la lutte contre la corruption ne suffisent pas pour les convaincre de rentrer chez eux.
Les populations veulent un changement radical…
Les Algériens réclament une coupure radicale avec le système politique qui les dirige depuis l’indépendance du pays. Ils ne veulent évidemment plus voir les figures de l’ancien régime. Mais pas seulement. Aux yeux de la majorité, il n’est plus question de rafistolage ou de demi-mesures. D’où le rejet catégorique au sein de la société du panel chargé du dialogue et de la médiation et dirigé par Karim Younes, ancien président de l’Assemblée nationale.
D’où aussi le rejet d’une élection présidentielle dans les plus brefs délais comme exigée par le pouvoir. Le 2 septembre dernier, le vice-ministre de la Défense nationale et chef d’état-major de l’armée avait estimé, dans son intervention, qu’il « est opportun de convoquer le corps électoral le 15 du mois de septembre courant et que les élections puissent se tenir dans les délais fixés par la loi ».
Si le corps électoral est convoqué le 15 septembre prochain, le scrutin devrait se dérouler trois mois plus tard. Des milliers d’Algériens ont manifesté, vendredi 6 septembre, à travers plusieurs villes du pays pour la 29e journée de mobilisation. « Makach intikhabat maa issabat (il n’y a pas d’élections avec les bandes) », ont-ils scandé. Le retour en force de la mobilisation est incontestable tout comme l’hostilité des manifestants contre une élection dans l’immédiat. Le lendemain à Kherrata dans la wilaya de Béjaïa où la première grande manifestation contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika a eu lieu, une marche a été organisée pour soutenir les détenus d’opinion, pour exiger un changement radical et contre les élections avant la fin de l’année en cours. La levée de boucliers contre les délais exigés par le pouvoir ne convint pas celui-ci de changer de feuille de route.
… et pas un recyclage de l’ancien système sur leur dos
Dimanche, le chef d’État par intérim a reçu le coordinateur de l’instance de dialogue et de médiation qui lui a remis son rapport final à la suite des consultations menées et par ailleurs boycottées par une grande partie de l’opposition. Le texte comporte des recommandations concernant la loi électorale et l’instance chargée de l’organisation et le contrôle du scrutin. Aujourd’hui, Abdelkader Bensalah a présidé un conseil des ministres consacré notamment à l’adoption de la révision de la loi électorale. « Le passage en force est une hypothèse qu’on ne peut pas exclure, mais qui paraît porteuse de plus d’inconvénients que d’avantages. En effet, en supposant que des élections se tiennent malgré la crise de confiance, les manifestations et le boycott des principaux partis politiques de l’opposition, ce scrutin ne résoudrait rien », estime la politologue Louisa Dris-Aït Hamadouche dans un entretien à TSA. « Le nouveau président serait mal élu et la contestation continuerait avec un risque de radicalisation des revendications et de recours à la répression », ajoute-t-elle. Entre une mobilisation qui reprend et un pouvoir qui ne veut pas céder, le pays se retrouve dans une réelle impasse. La grogne sociale risque encore d’augmenter durant les prochaines semaines et exacerber davantage la crise politique et sociale qui secoue le pays jusque dans ses entrailles.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée