Pour la journée mondiale du droit à l’avortement, « Le Monde Afrique » s’est rendu à Kinshasa, où les pressions sociales et le manque d’infrastructures mettent en danger la santé des femmes.
Il reçoit ses patients dans une pièce sombre et exiguë qui jouxte la cuisine. « Avec les plantes, je peux soigner le diabète, la sinusite, les hémorroïdes… Mon grand-père m’a appris la médecine traditionnelle et je l’enseigne aujourd’hui à mon fils. » Dans sa maisonnette, le docteur William* pratique aussi les avortements. Pour cela, il prépare « une potion qui se boit comme un jus et qui va ouvrir le col de la femme enceinte et lui permettre de tout évacuer », affirme-t-il. Dans son breuvage, le médecin traditionnel mêle des graines et des morceaux d’écorce prélevés d’un coup de machette sur un arbre de sa cour ; il pile ce mélange verdâtre, le filtre et l’échange contre 50 dollars (environ 46 euros).
Samedi 28 septembre est la journée mondiale du droit à l’avortement, mais dans ce quartier populaire du sud de Kinshasa, comme ailleurs en République démocratique du Congo (RDC), l’interruption volontaire de grossesse (IVG) fait risquer entre cinq et dix ans d’emprisonnement pour la femme, entre cinq et quinze ans pour celui ou celle qui l’aide.
Ces peines devraient théoriquement appartenir au passé depuis la parution au Journal officiel du protocole de Maputo, en mars 2018, qui autorise l’IVG dans certains cas ; cet accord international a une autorité supérieure au code pénal. « Les Etats prennent toutes les mesures pour protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus », stipule l’article 14 de ce protocole qui défend les droits des femmes sur différentes thématiques (égalité, protection, droits à la santé…) et a été signé par 49 des 54 Etats de l’Union africaine.
« La porte ouverte au libertinage »
Pourtant, en RDC, les obstacles à franchir avant d’avoir accès à un avortement sécurisé sont nombreux. Le premier est la défense des coutumes et des « valeurs traditionnelles ». Dans un pays qui compte 90 % de catholiques et d’innombrables Eglises de réveil, les questions de sexualité et de santé en matière de reproduction restent taboues. « Nous sommes en Afrique et la vie est sacrée, explique un responsable du ministère du genre. Certains disent que le protocole de Maputo est la porte ouverte au libertinage. »
Vient ensuite la difficulté d’accéder aux soins à cause du manque d’infrastructures, une lacune que vivent toutes les femmes enceintes de ce pays frappé depuis plusieurs décennies par des crises économiques et des conflits civils successifs. « A Kinshasa, on considère que sur dix cas de grossesse, six ne sont pas désirées »,assure Patrick Tshibangu, médecin au centre de santé de Kingabwa, un quartier enclavé et insalubre de Limete, une commune de Kinshasa : « Cinq grossesses donneront une naissance, mais trois d’entre elles entraîneront des complications, infections ou hémorragies pouvant entraîner la mort. »
Selon Médecins du monde (MDM), qui intervient depuis 2017 dans plusieurs districts de Kinshasa dans la prévention et la prise en charge des grossesses non désirées et la réduction des risques liés aux IVG, près d’une naissance sur 100 provoque le décès de la mère, soit l’un des taux les plus élevés au monde.
Une partie de la société civile se mobilise aussi pour faciliter l’accès des femmes aux IVG dans un cadre sécurisé. « Nous ne forçons pas les femmes à avorter ! Nous leur disons seulement que dans certaines conditions, elles en ont le droit. Alors nous nous battons pour que celles qui le souhaitent puissent bénéficier d’un accompagnement », explique Myriam Dako, secrétaire générale de la coalition Stop GND (grossesses non désirées), qui regroupe des ONG congolaises et internationales : « Après notre plaidoyer qui a abouti à la publication du protocole de Maputo, nous sommes maintenant à la phase de vulgarisation. Elle consiste à sensibiliser les femmes, surtout celles qui vivent loin des villes, afin qu’elles sachent qu’elles peuvent avorter en cas de viol ou d’inceste. »
Des avortements clandestins dangereux
« Dans le Kivu [dans l’est de la RDC, où des groupes armés luttent pour le contrôle des minerais : or, coltan, cassitérite…], le sexe est une arme de guerre, explique le docteur Patrick Lunzayiladio Lusala, coordinateur médical de MDM. Le protocole de Maputo ne fait que proposer aux femmes qui subissent ces violences sexuelles la possibilité de ne pas garder ces enfants si elles le souhaitent. »
A Kinshasa aussi, des femmes sont victimes de viol, parfois même au sein de leur propre famille. A 21 ans, Florence* a été abusée par son cousin à trois reprises et a eu recours à l’avortement. « J’étais désespérée, raconte-t-elle. J’aurais préféré mourir plutôt que de mettre au monde un enfant… Je me suis posé des questions par rapport à Dieu, mais je ne regrette pas mon choix, même s’il était très difficile. »La jeune femme est allée voir le médecin d’un centre de santé faisant partie d’un réseau agréé par MDM. L’avortement médicalisé se fait par absorption de Misoprostol, un médicament anciennement utilisé dans le traitement des ulcères d’estomac. Le docteur lui a expliqué qu’après la signature du protocole de Maputo, l’IVG se faisait désormais dans un cadre légal ; et Florence a pu se procurer le médicament dans une pharmacie faisant également partie du réseau.
Quatre comprimés de 200 milligrammes, placés sous la langue ou dans le creux de la joue, sont recommandés pour déclencher un avortement considéré comme sécurisé. Quatre autres cachets (ou plus rarement huit) peuvent toutefois être nécessaires. « Je sais que j’ai commis un péché, alors j’ai demandé pardon à Dieu, raconte Monique*, 24 ans. Mais je l’ai fait parce que je n’avais pas d’autre choix. Je n’ai ressenti aucun effet secondaire ni de complications après l’absorption des cachets. En revanche, une cousine qui a fait un avortement clandestin est morte à la suite d’une hémorragie. »
Certaines techniques d’avortement clandestin ont traversé les siècles. Aux jus à base de graines et d’écorces du docteur William s’ajoutent les tisanes faites avec de la « kongo bololo », une plante tropicale, et bien d’autres méthodes. « Pour 20 dollars, des charlatans préparent des jus à base d’herbes et de bouteilles de Coca-Coca pilées, s’insurge Myriam Dako. D’autres faux gynécologues insèrent des tiges de manioc aiguisées dans le sexe des femmes pour crever les fœtus. » Et chaque jour à Kinshasa, des femmes continuent de mourir pour y avoir eu recours.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-exaucée