La construction de l’édifice de 10 000 m2 a été financée exclusivement par les fidèles de la confrérie soufie au Sénégal et dans la diaspora.
Cinq minarets flambant neufs piquent le ciel de Dakar, soit deux de moins seulement que la mosquée sacrée de La Mecque. Culminant à 80 mètres au pinacle pour le plus haut, ils sont la marque visible de l’ambition de Massalikoul Djinane (« les chemins du paradis »), mosquée géante dont les mourides affirment qu’elle est « la plus grande d’Afrique de l’Ouest » : édifiée sur 10 000 m2, elle pourra accueillir jusqu’à 30 000 personnes.
Pour les disciples de la Mouridiya, puissante confrérie soufie du Sénégal, ce vendredi 27 septembre signe la fin de quinze ans de travaux et d’attente. Les rues du quartier populaire de Colobane, au cœur de la capitale, ont été parfumées d’encens avant la venue du calife général, le guide spirituel des mourides, attendu par des milliers de fidèles pour inaugurer l’édifice.
Religieuse, la cérémonie revêt aussi des atours politiques. Elle devait réunir le président, Macky Sall, ainsi que Madické Niang, candidat malheureux à la présidentielle, et l’ancien chef de l’Etat Abdoulaye Wade. « On ne l’invite pas, c’est lui qui invite », confie l’un des maîtres d’œuvre. Une façon de rappeler que cette mosquée, les mourides la doivent en grande partie à l’ex-président (2000-2012), qui leur a donné ce terrain de 5,8 hectares. Un geste qui pourrait étonner dans un pays laïque. « La laïcité sénégalaise n’est pas une laïcité de combat, mais de consensus et de cohésion sociale », tient à rappeler Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et enseignant-chercheur au centre d’études des religions de l’université Gaston-Berger, à Saint-Louis.
Un goût de revanche
Si la capitale sénégalaise compte d’innombrables mosquées, Massalikoul Djinane, par sa monumentalité – elle toise de treize mètres la grande mosquée de Dakar construite par le roi du Maroc Hassan II –, a un goût de revanche pour les mourides. « C’est une étape de plus dans l’esprit de conquête et de construction de cette confrérie, avance M. Sambe. Le fait qu’elle se trouve à Dakar, capitale de l’empire colonial, imprime sa marque au centre du pouvoir politique. »
Longtemps relégués à leur ruralité, les mourides « sont passés de la confrérie honnie à la plus favorisée par le pouvoir », affirme Cheikh Gueye, docteur en géographie de l’université de Strasbourg et expert de Touba, ville sainte du mouridisme située à 180 km à l’est de Dakar. De la prosternation d’Abdoulaye Wade devant son marabout, peu après son élection, à l’autoroute offerte à Touba par Macky Sall, impossible au Sénégal de faire de la politique en ignorant le réservoir de voix mourides. Lors du dernier recensement, en 1998, ils représentaient 33 % de la société sénégalaise. Aujourd’hui, ils avoisineraient les 40 %. Moins nombreux que les tidjanes – une autre confrérie soufie –, mais désormais plus influents dans la vie politique et économique du pays.
« C’est une consécration, estime M. Gueye. Il n’y avait pas à Dakar de mosquée à la dimension démographique de cette confrérie. Ils ont obtenu un espace pour projeter l’esprit de Cheikh Ahmadou Bamba. »Né en 1853, le fondateur du mouridisme a été incarcéré puis exilé pendant plus de trente ans par l’administration coloniale française, qui voyait sa capacité à rassembler comme une menace à son autorité. « A Dakar, sur le chemin de l’exil, il a été retenu trois jours dans une cellule de 2 m2, cette humiliation l’a marqué, raconte Moctar Sarr, secrétaire général d’un réseau d’entrepreneurs mourides.Désormais, Massalikoul Djinane sera la première chose qu’on verra en entrant dans Dakar. C’est une revanche sur le pouvoir colonial. »
Une université à Touba
Durant quinze ans – dont quatre de retard –, les travaux ont rassemblé plus de 800 ouvriers, sénégalais en majorité, des artisans marocains et des consultants chinois, français et espagnols. Les coffrages des minarets ont été réalisés par des Suisses, qui, pourtant, ont l’interdiction d’en ériger chez eux depuis 2010. Plus qu’une mosquée, ce complexe religieux inclura aussi un institut d’études islamiques et une luxueuse résidence pouvant accueillir cent invités du calife. En tout, le projet devrait coûter 20 milliards de francs CFA (30,5 millions d’euros), financés exclusivement par la communauté mouride au Sénégal et dans la diaspora.
Une somme conséquente qui interroge sur les capacités du pays à financer son développement, lequel dépend encore largement de l’aide extérieure. « Cette mosquée, c’est aussi une façon de dire à nos dirigeants : au lieu de demander de l’argent à l’étranger, vous pourriez utiliser notre levier communautaire », avance M. Sarr. Car chaque « ndiguel » (consigne) du calife général est suivi comme un ordre par les fidèles. Ainsi, quand il a demandé la construction de la mosquée, en 2006, les dons ont afflué. « Cette mobilisation participative pourrait servir dans des projets de développement inclusifs, poursuit M. Sarr. Ça permettrait de sortir de notre économie de dettes. » Et de rappeler que « 20 milliards de francs CFA, c’est le coût d’une centrale de 55 mégawatts ».
Mais pour le gouvernement, ce serait concéder un pouvoir encore plus grand à la confrérie, qui n’est pas prête à s’arrêter en si bon chemin. De fait, Massalikoul Djinane est à peine terminée qu’un nouveau chantier sort de terre, celui de l’université de Touba, dont les premiers bâtiments sont attendus dans un an. Le projet est évalué à 35 milliards de francs CFA. Si Massalikoul Djinane est « notre A380, notre Burj Khalifa [le plus haut gratte-ciel du monde, à Dubaï] », clame M. Sarr, cet autre projet monumental devra alors rivaliser avec Al-Azhar, l’université millénaire d’enseignement islamique du Caire, en Egypte.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée