Débutées en septembre 2018, les négociations entre les ministres des pays ACP (pour Afrique Caraïbes Pacifique) et l’Union européenne entrent dans leur dernière phase, la plus complexe : celle des questions politiques. Des discussions techniques débutent ce lundi à Bruxelles avant la reprise des négociations vendredi prochain entre les négociateurs des deux camps.
Au centre des débats notamment : la reconnaissance de la libre orientation sexuelle et de l’identité du genre, l’abolition de la peine de mort, ou encore le financement par l’Union européenne des organisations de société civile africaine. Autant de sujets de clivages entre pays ACP et européens alors que les discussions, ralenties par la crise du au coronavirus, doivent en principe s’achever « dans les prochaines semaines ».
Sur ce point-là au moins, pays ACP et Européens sont d’accord : les sujets qui vont être abordés à partir de ce lundi, d’abord à un niveau technique, sont « les plus difficiles ». D’ailleurs dès le départ, les négociateurs en chef, le ministre togolais Robert Dussey pour les ACP et le commissaire croate Neven Mimica (remplacé depuis par Jutta Urpilainen, la nouvelle commissaire chargée des partenariats internationaux) pour les Européens, s’étaient mis d’accord pour isoler ces questions sensibles afin de ne les traiter que dans un second temps. Ces sujets ? Des questions essentiellement d’ordre politique. Car si le futur partenariat entre ACP et UE est centré sur le développement et le commerce, le texte final comportera aussi un volet politique, comme pour l’accord de Cotonou.
Les Européens ont d’ailleurs fait de ces questions politiques des points essentiels des discussions. Dans leur mandat de négociations, les droits de l’homme, les libertés fondamentales, la démocratie, l’État de droit et la bonne gouvernance sont ainsi érigés en « priorités stratégiques ». Le futur accord doit selon eux s’appuyer « sur les valeurs et principes fondamentaux de l’accord de Cotonou » et doit « les renforcer ». Objectif : que soient notamment inscrits dans le texte final plusieurs principes comme la reconnaissance de l’orientation sexuelle et de l’identité du genre, l’abolition de la peine de mort, et la collaboration avec la Cour pénale internationale (CPI).
Des évolutions dont les pays ACP ne veulent pas entendre parler. Collaborer avec la CPI ? Hors de question de travailler avec une juridiction accusée par plusieurs États du continent de pratiques « sélectives et discriminatoires ». Inscrire l’abolition de la peine de mort comme principe ? Impossible car la question relève selon les pays ACP de la souveraineté des États. « Ce n’était pas inscrit dans le mandat de négociations, ajoute un brin agacé une source africaine au sein de l’équipe de négociateurs, c’est au cours des négociations que l’Union européenne a voulu qu’on en parle ». Le refus des ACP est encore plus net au sujet de la reconnaissance de la libre orientation sexuelle et de l’identité du genre. Cette question, certainement la plus sensible, est considérée selon eux comme « non négociable ». « Le partenariat est là pour promouvoir une compréhension mutuelle, juge notre source, il faut respecter les différences en termes de valeurs et de cultures ». Selon lui, « c’est le sujet où ça va bloquer le plus ».
La question du financement de la société civile
Si sur ces trois points les pays ACP entendent refuser toute avancée, ils sont en revanche décidés à faire évoluer un autre sujet lui aussi très politique : celui du financement par l’Union européenne des organisations de société civile africaines. « On voit plusieurs ONG dans des pays ACP financées par l’UE : on dit société civile mais ce sont généralement des ONG qui travaillent pour les changements de régime, décrypte notre source au sein de l’équipe de négociateurs. Donc, les ACP sont très regardants là-dessus, ils ne veulent plus que l’UE continue de financer les ONG qui sont contre les gouvernements en place ».
L’Union européenne pourrait-elle accepter de stopper ses financements ? Peu probable car l’UE est très attachée au rôle joué par les organisations de la société civile. C’est clairement notifié dans son mandat de négociation : « L’accord disposera (…) que les parties s’engagent à faciliter, préserver et élargir un espace permettant aux organisations de la société civile (OSC) d’agir, compte tenu du rôle qu’elles jouent dans la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et de la justice sociale et dans la défense des titulaires de droits et de l’État de droit, ainsi que de leur rôle de surveillance, ce qui conduira à un renforcement de la transparence et de l’obligation de rendre des comptes au niveau national ». Les Européens militent même pour que le futur partenariat comporte « un engagement à accentuer le soutien apporté au renforcement des capacités » desdites organisations.
Sans présager de l’issue des discussions, une source européenne qui suit de très près l’avancée des négociations confirme que l’Europe n’entend pas lâcher sur ce point : « Cette question du financement de la société civile peut poser dans certains pays des difficultés mais c’est aussi un élément sur lequel on est très attaché ». Se dirige-t-on alors vers une situation de blocage ? Pas si sûr selon cette source européenne qui veut voir dans la position adoptée par les pays ACP « une posture de négociations ». « Ça fait combien de protocoles qu’on négocie avec les ACP, où on a toujours mis les droits de l’homme comme cause essentielle de l’accord », minimise-t-elle. Au sein de l’équipe des négociateurs européens on se veut d’ailleurs assez optimistes sur l’issue des discussions. « Comme dans toute négociation, nous avons des points qui ont nécessité une approche plus approfondie et plus politique », euphémise-t-on dans l’entourage de la négociatrice Jutta Urpilainen, commissaire européenne chargée des partenariats internationaux. « Les discussions se poursuivent afin de favoriser la compréhension mutuelle. Nous sommes convaincus que nous serons en mesure d’arriver à un bon résultat équilibré ». Les Européens pensent même pouvoir conclure ces négociations « au cours des prochaines semaines ». Ce qui n’est clairement pas gagné.
♦ Développement, dialogue politique et commerce, les trois domaines du futur accord
Le rythme des discussions entre pays ACP et européens a été ralenti par la crise due au coronavirus. Avant cela, « on avait quand même fait des progrès importants dans les discussions lors de la réunion du 14 février, sur les sujets plus consensuels, notamment la coopération internationale et puis une grande partie des priorités stratégiques de l’accord », confie une source européenne.
Coopération au développement, dialogue politique et commerce sont les trois domaines qui régiront ce futur partenariat amené à remplacer l’accord de Cotonou. Ce dernier, prorogé en février dernier, doit prendre fin en décembre prochain. Le texte du futur accord sera composé d’un socle commun, énonçant les principes et valeurs communs à l’UE et à l’Afrique aux Caraïbes et au Pacifique et exposant les grands objectifs poursuivis, et de trois partenariats régionaux renforcés (UE-Afrique, UE-Caraïbes et UE-Pacifique). Dans le cadre du partenariat entre l’UE et l’Afrique, c’est l’Union africaine qui est censée discuter directement avec l’Union européenne de certains sujets comme la migration, les questions de paix et sécurité, le commerce (avec la ZLEC) et le climat.
Source: Rfi Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée