L’Africa Investment Forum 2019 était placé sous le signe de la Zleca (la zone continentale de libre-échange africaine). La vague d’investisseurs anglo-saxons a submergé la présence timide des francophones et des dragons asiatiques, mais n’en a pas moins gâté le plaisir de la BAD qui affichait des intentions d’investissements culminant à 40 milliards de dollars.
Du 11 au 13 novembre, le Standton Convention Center de Johannesburg a accueilli plus de 2.200 participants dans le cadre de la 2e édition de l’Africa Investment Forum, organisé par la Banque africaine de développement (BAD).
Les investisseurs ont manifesté leur intérêt pour quelque 52 transactions d’une valeur globale de 40,1 milliards de dollars (contre 49 transactions pour un montant de 37,8 milliards de dollars en 2018. L’Afrique du Sud a attiré un certain nombre de représentants de gouvernements, du secteur privé, de banques commerciales et d’investisseurs institutionnels, venus de 109 pays, dont 48 d’Afrique. «Le Forum est une plate-forme qui changera le paysage de l’investissement en Afrique», a avancé Chinelo Anohu, directeur de l’évènement. Prosaïque, Akinwumi Adesina, président de la BAD, a cherché quant à lui à convaincre avec des chiffres : «La valeur des actifs sous gestion en Afrique s’élève à plus de 1 800 milliards de dollars et à l’échelle mondiale, elle dépasse 145 billions de dollars», a-t-il déclaré avec emphase.Parmi les moments forts de ces rencontres, on retiendra la signature de l’Accord COCOBOD en présence du président ghanéen Nana Akufo-Addo, d’un montant de 600 millions de dollars pour la transformation, l’entreposage et la transformation du cacao ; un contrat de concession de 2,6 milliards de dollars pour l’Accra Sky Train ghanéen ; ou encore la signature de l’accord interétatique concernant le projet du pont route-rail pour relier les deux Congo.Plus surprenant, le rappel inopiné de l’investissement record de 24,6 milliards de dollars escompté pour le développement des champs de Golfinho et Atum et l’usine de gaz naturel liquéfié au Mozambique.
Zleca : entre temporalité incertaine et cristallisation des espoirs
«La Zleca va connecter 2 milliards de personnes d’ici 2030 […] La zone de libre-échange continentale donne accès à un marché de 3 300 milliards de dollars», s’est enthousiasmé Akinwumi Adesina, avant de saluer l’implication de l’invité d’honneur, présenté comme l’un des pères fondateurs de la zone de libre-échange africaine : «Paul Kagamé est le grand-père de la Zleca, comme l’a rappelé le président Ramaphosa». Ce nouvel espace économique devrait procurer à terme de belles perspectives commerciales pour satisfaire l’appétit de l’insatiable Rwanda. Mais la Zleca, c’est aussi une formidable opportunité pour le Nigeria, l’Egypte et l’Afrique du Sud -qui représentent à eux seuls, près de 50% du PIB africain- d’une part, et la crainte d’économies moins florissantes qui redoutent la concurrence tous azimuts des locomotives africaines, voire extracontinentales, d’autre part.La première édition du forum d’AIF avait insisté sur la nécessité d’une plus grande interconnexion sur le continent. L’entrée en vigueur en juillet dernier de la Zleca a ouvert le champ de tous les possibles pour redynamiser un commerce interafricain qui représente à peine 15%, selon le président de la BAD.
La Zleca était donc de toutes les conversations à Johannesburg. «Il y a beaucoup à faire avant juillet 2020» (date à laquelle le commerce devrait officiellement entrer en vigueur), précise néanmoins Soraya Hakuziyaremye, ministre du Commerce et de l’industrie du Rwanda, rappelant que seulement 28 pays sur les 54 signataires ont à ce jour ratifié l’accord et qu’il faudra bien régler «les questions sur les barrières douanières». «Il y a encore du travail d’ici juillet 2020 et les Etats-Unis sont disposés à vous appuyer dans le cadre de ce processus […] Je vous promets que lorsque vous créerez le plus grand marché de la planète, les Etats-Unis seront là», a lancé Karen Dunn Kelley, Secrétaire adjointe au Commerce des Etats-Unis qui voit dans la Zleca de belles perspectives d’extension de marchés pour les multinationales de l’Oncle Sam
Benedict Oramah, l’imperturbable président d’Afreximbank, a quant à lui insisté sur «les coûts d’ajustement [qui] définiront l’ouverture des frontières ou non», condition sine qua none à l’opérationnalisation du marché commun.Sidi Ould Bah, patron de la Banque arabe de développement en Afrique (BADEA) pense pour sa part que la Zleca représente une étape importante pour le commerce, si tant est que les biens et les personnes puissent y circuler : «Il faudra bien des routes, des chemins de fer, des ports et des aéroports», explique-t-il, relançant la sempiternelle question des infrastructures africaines dont les besoins environnent les 170 milliards de dollars par an.Entre espoirs d’un avenir commercial meilleur et réalités techniques insuffisantes, les limites de la Zleca ont été âprement discutées.
Discrétion francophone et absences remarquées
Alors que l’Ethiopie était à l’honneur en 2018 et avait reçu l’équivalent de 100 millions de dollars pour soutenir plusieurs projets d’électrification, sa présence était presque imperceptible cette année. Le pays d’Haïlé Sélassié reflète pourtant cette «Afrique qui gagne [et qui] a récemment remporté le Prix Nobel de la Paix » –décerné au Premier ministre Abiy Ahmed en octobre dernier- a rappelé Akinwumi Adesina qui affichait un large sourire, quelques jours après «la plus forte augmentation de capital de l’histoire de la banque depuis sa création en 1964» (+125%, faisant passer le capital de 115 milliards à 208 milliards de dollars).
Les délégations du Nigeria, des pays francophones et du géant chinois ne se sont pas davantage imposées lors de ce forum résolument anglo-saxon, où la présence américaine a brillé de tous ces feux, relayée «out of Africa» par les animateurs de CNN.Au sud de cette Afrique «qui gagne» et bousculé par l’actualité récente liée aux violences xénophobes, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a tenu à réaffirmer dès l’ouverture du forum que «le gouvernement est résolument engagé contre la xénophobie [et que] l’Afrique du Sud est la maison de tous». Une déclaration faite aux côtés de Paul Kagamé, président du Rwanda, et de Nana Afuko-Addo, président du Ghana, les deux seuls chefs d’Etat -sur six invités- à s’être rendus dans la première place financière du continent à l’occasion de la seconde édition de l’AIF. Il n’en fallait pas plus pour réveiller les suspicions dans les couloirs de la Sandton Convention Center de «Jozi» autour d’un boycott lié aux violences xénophobes qui ont passablement terni l’image de la nation «arc-en-ciel» en septembre dernier.
Pas de quoi décourager les sponsors qui, en revanche, étaient venus nombreux pour soutenir l’Africa Investment Forum : d’Africa50 à la Banque européenne d’investissement (BEI), en passant par la Banque arabe pour le développement économique en Afrique, Afrexim Bank, la Société financière africaine (SFA) ou encore la Banque de commerce et développement (TDB).Le rendez-vous dédié à l’investissement en Afrique a affiché des chiffres vertigineux : «Le dur labeur commence pour accélérer la conclusion de ces accords jusqu’à la clôture financière», a néanmoins conclu prudent, le président de la BAD.
Source: Afrique La Tribune/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée