Avec la démission de son premier dirigeant noir, l’Alliance démocratique entre dans une période de remise en question profonde de sa place dans la politique sud-africaine.
Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas l’ANC qui est dans la tourmente, mais bien le premier parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA). Le parti a vu trois de ses leaders politiques présenter successivement leur démission, provoquant ainsi une crise sans précédent. D’abord, il y a eu le maire de Johannesburg, Herman Mashaba, politicien assez controversé pour ses déclarations xénophobes mais encensé pour son parcours d’homme d’affaires. Ensuite, le parti a dû affronter le départ de son chef charismatique, Msumi Maimane, connu pour son inlassable combat contre Jacob Zuma alors qu’il était encore président du pays. Pour terminer, c’est Athol Trollip, président fédéral de la DA, qui a claqué la porte.
Cet échec qui empoisonne
Si cette crise politique interne a fait l’effet d’une bombe, elle était, selon nous, prévisible. Ironiquement, la chute de Jacob Zuma et l’arrivée de Cyril Ramaphosa à la tête de l’ANC et du pays ont sans doute été les premiers signes annonciateurs de l’affaiblissement du DA, dont les effets se sont fait sentir lors des dernières élections de mai 2019. Il faut souligner que, face à un Congrès qui a réussi à limiter sa chute, contrairement aux prévisions alarmistes (57,5 % des voix), la DA n’a pas connu le même destin. En effet, alors qu’aux avant-dernières élections générales, le parti d’opposition obtenait 22,23 % (largement en dessous des 30 % visés durant la campagne électorale de 2014), en 2019, il n’a fini qu’à 20,77 % à la suite d’une campagne électorale médiocre et axée sur l’attaque constante de l’ANC de Cyril Ramaphosa. À cela il faut ajouter que le parti a quelque peu brouillé les pistes avec sa « collaboration » avec le parti de Julius Malema, les Combattants de la liberté économique (EFF). Cette alliance, jugée contre nature, a sans doute envoyé des signaux contradictoires.
Un idéal rêvé
Parti centriste et libéral, l’Alliance démocratique a été portée sur les « fonts baptismaux » en 2000, à la suite d’une alliance surprenante de différents courants, allant du plus libéral au conservateur, comme le Parti national (NP) qui a un temps gouverné l’Afrique du Sud, de 1948 à 1994, pour ensuite participer à un gouvernement d’unité nationale auprès de l’ANC jusqu’en 1996.
L’Alliance démocratique de 2000 s’est surtout démarquée par sa volonté de bénéficier des voix des Afrikaners, laissant sans doute de côté celles des autres minorités face à la toute-puissance de l’ANC, dirigée à l’époque par l’ancien président Thabo Mbeki. La DA se transformera à partir de mai 2007 avec l’élection à sa tête d’Helen Zille, alors maire de Cape Town. Quelques mois après s’ouvrait une période trouble pour l’ANC, qui élisait un certain Jacob Zuma face à Thabo Mbeki dans une lutte fratricide de Polokwane en 2007. Les événements qui s’ensuivirent ont donné un boulevard non négligeable à la DA.
Bien que les charges de corruption contre Jacob Zuma aient été abandonnées début 2009, quelques mois avant les élections générales, Helen Zille prédisait déjà que l’Afrique du Sud pouvait craindre pour son futur et que, pour contrer les conséquences funestes, il était temps pour la DA de se transformer en une véritable machine de guerre politique capable de défier l’ANC dans les urnes. La stratégie était donc simple : réunir des politiques et des intellectuels issus des communautés non blanches, notamment, ayant perdu foi à la suite à l’éviction de l’ex-président Mbeki et ayant adhéré, durant son mandat, au concept de renaissance africaine de ce dernier.
Des personnalités marquantes
La DA de Zille mettait désormais en avant une génération de leaders noirs, qualifiés, bien qu’expérimentés dans l’arène politique. C’est ainsi que furent propulsées des personnalités telles que Lindiwe Mazibuko, qui passa d’un emploi de chercheuse au Parlement à celui de leader de l’opposition en quatre ans, avant de démissionner avec fracas du parti (2014) et d’être enrôlée à l’université de Harvard. Mmusi Maimane, grand admirateur de Thabo Mbeki, ne se reconnaissant pas dans l’ANC post-Mbeki, intégra la DA pour en devenir, en 2015, le chef, et jusqu’au 24 octobre 2019. On y retrouve également Patricia de Lille, actuelle ministre des Travaux publics et des Infrastructures dans le gouvernement de Cyril Ramaphosa, après avoir été exclue de la DA en 2018 alors qu’elle était maire de la ville du Cap.
L’impopularité de l’ex-président Zuma et, par la suite, les scandales de corruption ont permis à la DA de se positionner comme une alternative à l’ANC. Le parti a donc commencé à séduire une partie de l’électorat noir du Congrès. Mais sans doute le parti n’avait-il pas vu arriver les Combattants de la liberté économique (EFF) de Julius Malema. Et sa toute première participation aux échéances électorales de 2014 a clairement rebattu les cartes, freinant la montée de la DA. En dépit cette faiblesse, l’Alliance démocratique a tout de même réussi à capter les voix des minorités, notamment indienne et coloured (métisse dans la classification sud-africaine), qui votèrent massivement en sa faveur lors des élections de 2014. Pour finir, la DA a réussi le tour de force d’affaiblir le Congrès qui gagnait difficilement 50 % des en 2016 lors des élections municipales. Le Congrès ayant perdu notamment Tshwane (Pretoria), Johannesburg et Nelson Mandela Bay, grâce à une curieuse alliance avec l’EFF.
Une stratégie qui n’a pas payé
En effet, l’EFF a accepté de soutenir la DA à la condition d’exercer son influence lors des nominations aux positions-clés, grâce à des accords secrets. En résumé, la DA dirigeait les deux municipalités-clés que sont Johannesburg et Tshwane avec un pouvoir diminué alors que l’EFF exerçait un pouvoir fort en arrière-scène, célébrant les réussites mais n’assumant pas les responsabilités en cas de difficulté. Aujourd’hui, avec la démission du maire de Johannesburg notamment, cette alliance avec la DA est assurément en danger et les cartes politiques devront être redistribuées.
Si cette « coalition anti-Zuma » a été un moteur pour une conquête électorale, elle a également fait la perte de la DA. En effet, les changements intervenus en interne au sein de l’ANC avec la bataille pour la présidence entre Nkosazana Dlamini-Zuma et Cyril Rampahosa et la victoire finale de ce dernier ont signé la « petite mort » du parti qui se voulait multiracial. La coalition anti-Zuma que l’Alliance démocratique formait avec L’EFF et les sempiternels discours autour du state-capture ont montré les limites d’un parti à bout de souffle qui n’a pas su se renouveler. Non content d’avoir perdu des voix lors des dernières élections, le leader du DA Maimane s’est enfermé dans cette logique du « tous contre » le président de l’ANC et du gouvernement, oubliant un peu trop vite que Cyril Ramaphosa n’est pas Jacob Zuma. Selon l’analyste politique Sipho Seepe, en demandant de manière constante au président Cyril Ramaphosa une réponse sur le fameux don de 500 000 rands de Bosasa qui ont servi à sa campagne électorale, Mmusi Maimane n’a fait qu’exposer l’Alliance démocratique, qui a également bénéficié des largesses de donateurs, peu friands de publicité. Le parti d’opposition avait donc tout intérêt à laisser le président Ramaphosa travailler, d’autant plus que ce dernier partage au fond la même idéologie que la DA sur le plan économique. En moins d’une semaine, le sort de Maimane a été scellé, ne lui laissant d’autre choix que de démissionner avant de subir l’humiliation d’être poussé hors du parti par le comité d’examen (DA Review Panel), qui ironiquement avait été créé par lui-même.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée