Depuis le début de l’année, le Royaume-Uni multiplie les appels du pied à l’Afrique. Dernier en date, l’UK-Africa Investment Conference, un événement virtuel organisé par le ministère britannique du Commerce international, tenu le 20 janvier. Dédié à l’investissement sur le continent, il a réuni chefs d’entreprise, chercheurs et politiques africains et britanniques, autour d’un thème central : la construction du partenariat économique entre le Royaume-Uni post-Brexit et l’Afrique. Soit l’occasion pour les participants d’examiner les opportunités existantes, mais aussi les secteurs et les zones géographiques à définir. Et pour le gouvernement britannique d’afficher sa volonté de faire du continent « un partenaire d’investissement », selon les mots du Premier ministre Boris Johnson. Une ambition confirmée par le ministre britannique chargée de l’Afrique, qui n’a pas caché son enthousiasme face à l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) le 1er janvier 2021.
Effets d’annonce ou réel engouement ? Pour Manu Lekunze, professeur de relations internationales à l’université d’Aberdeen, « il faut y croire, d’autant plus que l’Afrique et le Royaume-Uni ont bien besoin l’un de l’autre en ce moment ». « En général, ce genre d’événements est efficace. Car, après les déclarations, viennent les annonces plus concrètes », assure-t-il. À l’issue de la conférence, le directeur général de CDC Group, Nick O’Donohoe, l’institution britannique de financement du développement, a en effet communiqué le montant des investissements envisagés pour l’année. Il est à hauteur d’un milliard de dollars. Un chiffre en deçà de celui de l’année précédente – 27 accords commerciaux et d’investissement avaient été annoncés pour une valeur de 6,5 milliards de livres –, mais une somme importante quand même compte tenu de la crise économique que traverse actuellement la majeure partie des pays.
Infrastructures et finance en ligne de mire
« Les deux domaines sur lesquels nous serons particulièrement concentrés cette année sont le climat, la technologie », a assuré Nick O’Donohoe au média américain Bloomberg, qui rappelle que, ces trois dernières années, le CDC a déjà investi 3,7 milliards de dollars en Afrique. Jusqu’ici concentré autour des importations de fruits, de légumes et de fleurs, et d’investissements dans le pétrole et les minerais, le partenariat britanico-africain pourrait s’élargir, dès cette année, aux infrastructures, « dans les secteurs de l’énergie, de l’aviation et de la sécurité », affirme Manu Lekunze. « Si le Royaume-Uni tire avantage de l’agriculture et des denrées alimentaires du continent, les pays africains, eux, ont tout intérêt à profiter de l’expertise technique britannique relative aux infrastructures. C’est donnant-donnant. »
Autres secteurs concernés par le partenariat, « les assurances et les services financiers britanniques », rapporte Dominique Fruchter, économiste chargé de l’Afrique à la Coface. Londres en a fait d’ailleurs récemment la promotion, via un sommet dédié les 3 et 4 février derniers. Les participants à l’UK-Africa Fintech Summit ont, durant deux jours, listé « les compétences de la fintech britannique et mis en lumière les opportunités offertes par l’Afrique », d’après la communication officielle. « Avec ce sommet, nous reconnaissons le rôle que jouera la fintech pour soutenir la reprise et construire des économies plus durables et inclusives, a déclaré Emma Wade-Smith, commissaire au Commerce pour l’Afrique de Sa Majesté. Le Royaume-Uni soutient trois pôles technologiques en Afrique et un certain nombre de programmes et projets, tels que le Catalyst Fund, Female Tech Founders, Tech for Growth et le Global Entrepreneur Program », a-t-elle ajouté.
Actualité oblige, le secteur de la pharmacie pourrait bien prendre le pas sur tous les autres, dans les mois à venir. « Les produits pharmaceutiques et pétroliers sont, avec les avions, les automobilesainsi que les turbines à gaz et générateurs électriques fournies par les usines britanniques, les produits les plus exportés vers l’Afrique », explique Dominique Fruchter. L’Afrique ne compte en effet que 365 sociétés pharmaceutiques, contre 7 000 en Chine et 11 000 en Inde. Avec la pandémie de Covid-19, le continent pourrait donc bien faire appel au Royaume-Uni. Les laboratoires britanniques sont en effet en bonne place dans la lutte contre la pandémie. Après déjà trois vaccins sur le marché, le pays s’apprête en effet à en lancer un quatrième. Celui-ci a été développé par l’américain Novavax mais fabriqué à Stockton-on-Tees, dans le nord-est de l’Angleterre.
Une piste de solution après la suspension par l’Afrique du Sud, du programme de vaccination avec le vaccin AstraZeneca, efficace à seulement 22 % contre les formes modérées du variant apparu dans le pays d’après une étude de l’université du Witwatersrand à Johannesburg. Dans son interview accordée à Bloomberg, Nick O’Donohoe l’assure : « Nous accorderons davantage d’attention aux investissements dans la santé ». Et d’ajouter : « le secteur privé aura un rôle plus important à jouer ».
Un lien privilégié avec le Soudan…
Et en particulier, les acteurs du secteur privé au Maroc, au Nigeria et en Égypte, des pays régulièrement cités dans les interventions de la Conférence sur l’investissement en Afrique. Mais c’est au Soudan et au Kenya que le partenariat semble le plus se concrétiser. Le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Dominic Raab, y a conclu, le 21 janvier dernier, une visite de deux jours. À Khartoum, elle a pris une teinte plus politique, avec le soutien affiché des autorités britanniques au gouvernement de transition. Mais les ambitions économiques étaient bien présentes.
Depuis sa nomination le 21 août 2019, le Premier ministre Abdallah Hamdok, économiste de formation et ancien haut fonctionnaire de l’ONU, s’efforce de renouer avec les bailleurs de fonds et de reconstruire des relations bilatérales avec l’étranger. L’effacement par les États-Unis du Soudan de la liste noire des pays soutenant le terrorisme est une bouffée d’oxygène bienvenue, dans laquelle s’engouffre désormais le Royaume-Uni. « Londres arrive au bon moment, puisque la décision américaine va permettre de débloquer des prêts, affirme Dominique Fruchter. Le rapprochement britannique est assez inattendu, mais c’est une bonne surprise pour le Soudan », qui a obtenu une promesse d’aide de près de 55 millions de dollars, pour fournir à 1,6 million de personnes un « soutien financier direct ».
… et avec le Kenya
Le Kenya a obtenu, quant à lui, une enveloppe de 73 millions de dollars pour financer la construction de 100 000 logements à des prix abordables, prévus par le programme de développement du président Uhuru Kenyatta, le Big Four Agenda. Près de 65 millions de dollars ont également été promis par Dominic Raab pour soutenir les stratégies d’atténuation du changement climatique au Kenya. Des investissements qui viennent à la suite de l’accord commercial signé par les deux pays en décembre, qui confirme les accords antérieurs de l’Union européenne comme l’accès en franchise pour les exportateurs kényans au marché britannique.
« Il y a un lien très fort entre le Kenya, ancienne colonie britannique, et Londres, affirme Manu Lekunze. Compte tenu de leur histoire commune, les échanges sont naturellement plus simples. D’autant plus que la demande kényane en investissements étrangers, dont le pays a besoin pour financer son plan de développement, est très forte ». « Le tropisme des anciennes colonies est encore très présent, confirme Dominique Fruchter. Pour le gouvernement kényan, les opportunités qu’offrent les Britanniques sont intéressantes. Mais celles-ci devront tout de même rester prudentes, car le Kenya est très endetté ».
Un partenariat fragile
Pour Manu Lekunze, le Royaume-Uni devra également montrer patte blanche sur un autre point, crucial dans les relations entre ancien colon et ancienne colonie : celui du paternalisme. « C’est vraiment un élément très sensible, que les Britanniques doivent prendre en compte. Pour que le partenariat puisse fonctionner, il faut qu’il y ait des opportunités équitablement réparties, des deux côtés, soutient-il. Le problème affecte souvent les relations entre les pays européens et les états africains. Ce qui amène de la défiance, et favorise la concurrence chinoise et américaine ».
Au Kenya, la concurrence est rude pour le Royaume-Uni. Car Uhuru Kenyatta multiplie les contacts avec d’autres puissances, comme les États-Unis – un accord commercial est en discussion – et la Chine, devenue en quelques années un partenaire majeur. En avril 2019, le Kenya a par exemple obtenu de Pékin un financement de 660 millions de dollars pour la construction de plusieurs infrastructures, sous forme de prêts concessionnels et de partenariats publics privés. Peu à peu, la Chine, à coups de milliards de dollars de prêts, a réussi le pari de se substituer au Royaume-Uni dans l’esprit collectif.
« Pour la jeune génération africaine, la Grande-Bretagne est considérée comme faisant partie du passé et non du futur, écrit Nicholas Westcott, chercheur à l’université de Londres dans un article publié par The Conversation. Beaucoup d’étudiants me disent que pour les affaires, ils préfèrent aller en Chine, pour étudier aux États-Unis, au Canada ou en Inde, pour s’amuser à Dubai. Pour les Africains plus âgés, il y a toujours une affection, voire du respect, en particulier pour la famille royale, la BBC et pour Londres – mais aussi un sentiment croissant de distance ». Une situation qui trouve aussi racine dans l’histoire du pays avec le continent. Ainsi, « l’incapacité de régler la Déclaration unilatérale d’indépendance de la Rhodxésie en 1965 et les relations étroites persistantes de la Grande-Bretagne avec l’Afrique du Sud de l’apartheid ont altéré les relations politiques avec le reste de l’Afrique », explique le chercheur.
Un objectif (trop) ambitieux ?
Difficile donc aujourd’hui pour le Royaume-Uni de se faire une place sur le continent, malgré une volonté affichée de changer la donne. D’autant plus que le pays a réduit ses dépenses d’aide au développement à 0,5 % du produit intérieur brut contre 0,7 % en novembre dernier, provoquant le tollé des agences de développement. « Le Royaume-Uni post-Brexit ne va pas peser grand-chose dans la balance, alors même que l’Union européenne achève la renégociation de l’accord de Cotonou, qui définit les contours de l’aide aux pays d’Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), prévient Dominique Fruchter. « En matière d’investissements et d’aide au développement, les Africains ont davantage intérêt à se tourner vers l’Asie ».
Surtout en ces temps de pandémie, qui pour l’économiste « ne feront que ralentir le processus et refroidir les ardeurs des investisseurs ». « La crise économique et la baisse des aides britanniques ne sont pas bon signe pour une majorité d’observateurs, reconnaît Manu Lekunze. Mais on peut aussi voir le verre à moitié plein. Baisser l’aide peut également remodeler les relations bilatérales sur des bases plus fortes, et plus saines, via un partenariat gagnant-gagnant. En ce qui concerne la pandémie, on peut espérer une amélioration de la situation grâce aux différents vaccins, britanniques et autres, même si cela va prendre du temps », espère-t-il. Et entrevoir l’objectif que le pays s’était fixé en 2018, celui de devenir le premier investisseur des pays du G7 en Afrique d’ici 2022.
Source : Le Point Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée