Une véritable industrie. Depuis plusieurs mois, les arrivées d’embarcations de migrants algériens en Espagne se multiplient. Un trafic qui s’est professionnalisé, générant des millions d’euros de bénéfices sur le dos des candidats au départ.
Tolérance zéro. C’est la politique que les autorités espagnoles ont décidé d’adopter à l’égard des migrants clandestins pour tenter d’endiguer les vagues successives de harragas qui arrivent en provenance des côtes ouest de l’Algérie depuis plusieurs mois.
Mardi soir, un navire de la compagnie Trasmediterránea a quitté le port d’Almeria en direction d’Oran avec à son bord une centaine de migrants qui avaient été détenus pendant plus d’un mois dans des centres de rétention à Madrid, Valence et Barcelone. D’autres expulsions devraient suivre dans les prochaines semaines.
PRÈS DE 10 000 ALGÉRIENS SONT ENTRÉS CLANDESTINEMENT SUR LE TERRITOIRE ESPAGNOL EN 2021
Face à un phénomène qui a pris une ampleur inédite depuis le début de l’été, le gouvernement espagnol a donc décidé d’agir. Il s’active pour le rapatriement des migrants récemment arrêtés ou interceptés, et le transfert des clandestins dans des centres de rétention répartis à travers le territoire espagnol. La tâche se révèle ardue dans la mesure où la quasi-majorité des clandestins arrivant des côtes algériennes ne possèdent pas de pièce d’identité, ce qui complique leur expulsion vers leur pays d’origine.
Un autre front a été ouvert par les autorités, celui-là contre les réseaux criminels opérant sur l’axe Dellys-Mostaganem-Oran avec des complicités dans le sud de l’Espagne. Selon un document interne des autorités espagnoles que l’AFP a consulté, près de 10 000 Algériens sont entrés clandestinement sur le territoire espagnol depuis le début de l’année.
Navires plus performants
Ce chiffre ne tient pas compte des personnes qui ont pu échapper aux autorités portuaires. Au cours des mois de septembre et d’octobre, les services de sécurité algériens ont intercepté 1 793 harragas alors qu’ils tentaient de rejoindre les côtes espagnoles. En 2020, le bilan des entrées de clandestins en provenance d’Algérie dans les ports d’Almeria, Murcie et Alicante s’était établi à 11 500 personnes.
En raison des conditions climatiques clémentes, des dizaines de bateaux, de plus en plus performants, partent quotidiennement des plages de l’ouest algérien. L’époque où les harragas embarquaient sur des rafiots, des chalutiers, des bateaux pneumatiques ou de vieux esquifs semble révolue, laissant ainsi place à une industrie de la migration dirigée et contrôlée par des réseaux trans-méditerranéens.
Une récente enquête de l’Unité contre l’immigration irrégulière (UCRIF) de la police espagnole révèle que ces vagues successives de clandestins visent la saturation, le débordement et l’effondrement des services publics de sauvetage, d’interception, d’assistance humanitaire et sanitaire ainsi que d’accueil des migrants.
Car le dérèglement de ses structures permettrait à ces organisations criminelles d’acheminer un nombre croissant de migrants et de générer de plus en plus de revenus. L’enquête a également établi que ces réseaux disposent aujourd’hui d’une flotte de « bateaux-taxis », des embarcations dotées de puissants moteurs de 200 à 300 chevaux permettant de gagner rapidement les côtes espagnoles et d’effectuer plusieurs rotations par semaine.
CERTAINS VOYAGEURS VONT JUSQU’À DÉBOURSER 1 MILLION DE DINARS POUR LA TRAVERSÉE
Des écoutes effectuées par la police espagnole sur les téléphones portables de plusieurs trafiquants ont mis en lumière l’existence d’un réseau algéro-espagnol spécialisé dans l’achat et la livraison en Algérie de bateaux achetés auprès de fournisseurs espagnols.
Au cours des dernières semaines du mois d’octobre, la police espagnole a effectué des descentes dans les structures d’accueil de l’îlot d’Escombreras, dans la baie de Carthagène, pour enquêter auprès des migrants sur ce vaste réseau.
Renchérissement
Six personnes, âgées de 18 à 35 ans, ont été arrêtées et inculpées pour crimes liés à l’immigration clandestine. Les prévenus ont accepté de coopérer avec la justice pour identifier les passeurs et leurs acolytes qui opèrent entre les deux rives.
L’acquisition de ces vedettes rapides et modernes a induit une hausse du prix de la traversée. Le coût d’une place sur un bateau s’élève aujourd’hui à plus de 800 000 dinars (environ 5 000 euros). Établi en fonction du poids et de la taille du voyageur clandestin, ainsi que des conditions météo, ce tarif peut être revu à la hausse. Certains voyageurs vont jusqu’à débourser 1 million de dinars (6 300 euros).
La réussite de la traversée de milliers de migrants agit comme un appel d’air pour les candidats qui souhaitent partir… et provoque le renchérissement du prix du voyage. Le trafic génère des fortunes qui permettent aux membres du réseau d’investir davantage dans ces bateaux et de verser des commissions substantielles aux complices.
Selon les estimations effectuées par JA, le commerce de la migration clandestine a généré plus de 60 millions d’euros au profit des réseaux de passeurs depuis le début de l’année 2021.
Source: Jeune Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée