Les Algérois renoueront peu à peu avec la normale dès la semaine prochaine, à condition de respecter les mesures de protection.
Balayant d’un regard décidé l’espace de son petit restaurant sur les hauteurs d’Alger, Hiba ordonne à ses deux employées : « Vendredi, opération désinfection ! » La quarantaine, la gérante de ce restaurant de spécialités algériennes se dit « soulagée » par l’annonce gouvernementale de rouvrir les restaurants à partir de samedi, mais « cela ne compensera pas les pertes subies durant ces derniers mois », dit-elle. Elle n’a pas encore le chiffre exact du préjudice, mais elle peine à continuer à payer les salaires de ses deux employées, ses factures, et le loyer qui n’attend pas. Le gouvernement a lancé des chantiers pour l’estimation des pertes dans le secteur économique, mais Hiba sait d’avance que le coup est très dur et que le recours aux livraisons de plats durant ces dernières semaines ne peut combler son criant déficit.
« C’est la saignée »
Les livraisons, timides à Alger il y a quelques mois, ont explosé durant le semi-confinement depuis mars dernier, installant de nouvelles habitudes de consommation. « Nous n’avons pas reçu de signal des autorités pour savoir comment nous serons indemnisés, nous naviguons à vue, je crois que vais me séparer d’au moins une de mes employées, c’est terrible », souffle-t-elle, rangeant les quelques chaises et tables. « On a eu une instabilité politique de plusieurs mois et les expats qui sont notre principale clientèle sont partis depuis l’année dernière. On était déjà dans le rouge en 2019, alors, avec cette pandémie, c’est la saignée », témoigne Rachid, patron d’un restaurant gastronomique dans le centre-ville d’Alger.
Le 10 août dernier, la wilaya (département) d’Alger avait autorisé la reprise des activités des hôtels, restaurants et cafétérias (fermés depuis le 21 mars) à partir du 15 août avec l’obligation de respecter le protocole sanitaire de prévention et de protection, notamment l’exploitation des terrasses en premier lieu et l’utilisation d’une table sur deux à l’intérieur, le respect des gestes barrières, la désinfection régulière des lieux et des équipements ainsi que des serviettes et uniformes, la mise à la disposition des clients de gel hydroalcoolique avec interdiction d’utilisation des climatiseurs ou de ventilateurs.
« Les commerces ne se conformant pas à ces mesures encourent la fermeture immédiate, ont tenu à rappeler les services de la wilaya d’Alger », avertissaient les autorités locales tout en précisant que « l’organisation des fêtes de mariage et autres au niveau des salles des fêtes, hôtels et restaurants demeure interdite jusqu’à ce que les conditions adéquates soient réunies ».
4 000 mosquées rouvriront sur 18 000
« Nous ferons très attention, celui qui fait courir un risque de contamination aux autres commet un péché. » L’imam de cette mosquée, l’une des 429 lieux de culte de la wilaya d’Alger autorisés à rouvrir à partir de samedi, se veut rassurant en observant des éléments de la protection civile désinfecter sa mosquée et en montrant les marques sur le sol pour garantir la distanciation des fidèles durant la prière.
Les autorités ont autorisé le retour à la prière uniquement dans les mosquées dont la capacité est supérieure à 1 000 places (4 000 sur les 18 000 que compte l’Algérie), imposant une série de mesures, dont le maintien de l’interdiction d’accès aux femmes, aux enfants de moins de 15 ans et aux personnes vulnérables ; le maintien de la fermeture des écoles coraniques et des salles d’ablution ; le port obligatoire du masque ; l’utilisation de tapis de prière personnel ; le respect de la distanciation physique entre les fidèles d’au moins un mètre et demi ; l’interdiction de l’utilisation des climatiseurs et des ventilateurs ; l’interdiction des bibliothèques religieuses au sein des mosquées…
Malgré les précautions, la prudence reste de mise
« Nous avons fait beaucoup de sensibilisation envers les fidèles du quartier, car certaines mesures paraissent difficiles à appliquer. Par exemple, la religion impose de serrer les rangs durant la prière. Or cela est impossible vu l’obligation de la distanciation, mais la religion permet beaucoup de dérogations quand il s’agit de sauvegarder la vie humaine et nos fidèles se montrent très compréhensifs. Certains se sont même portés bénévoles pour organiser les flux d’entrée et de sortie de la mosquée », explique encore l’imam. La grande prière du vendredi demeure proscrite et la prière devra commencer dix minutes après l’appel du muezzin et se terminer dix minutes après.
« Je suis très attaché à la prière à la mosquée et c’est une véritable bénédiction qu’on puisse en rouvrir certaines, mais vu que je vis avec mes parents qui sont âgés, j’aurais peur de courir le risque de les contaminer en allant à la mosquée », témoigne Hafid, chauffeur dans une entreprise. « Je ne m’attends pas à beaucoup de monde, reconnaît notre imam. Malgré les précautions prises, les gens, surtout les plus âgés, auront peur de fréquenter la mosquée, mais qu’importe. L’essentiel est de faire sa prière sincèrement pour Dieu, à la maison ou ailleurs. »
Les plages sous haute surveillance
Aux côtés des restaurants, des mosquées et des parcs, l’accès aux plages sera aussi autorisé dès le 15 août. Dans la wilaya d’Alger, 55 plages sont concernées par ces mesures, avec, là aussi, une batterie d’obligations comme le port du masque, le respect de la distanciation physique d’au moins un mètre et demi, l’affichage des mesures barrières et de prévention aux différents points d’accès des lieux, l’organisation de lieux pour le stationnement des véhicules, le contrôle préalable par les éléments de la protection de civile si nécessaire de la température des estivants et la mise à disposition de bacs dédiés à recueillir les masques, gants ou mouchoirs usagés.
« Au moins, je vais cesser de jouer au chat et à la souris avec les gendarmes », commente Yassine, père de deux enfants qui a loué un bungalow les pieds dans l’eau à l’est d’Alger. « Je ne pouvais pas priver les enfants de la mer qui les narguait à quelques dizaines de mètres ! Alors on y allait et je faisais le guet… Mais les gendarmes ne nous embêtaient pas, ils pourchassaient plutôt les estivants qui s’installaient carrément avec tables et parasols, nous, on faisait trempette rapidement et on rentrait », raconte Yassine au téléphone.
Les communes côtières éprouvées
L’interdiction des plages, il faut le dire, n’a pas été très respectée vu la chaleur suffocante qui s’abat sur l’algérois fin-juillet-début août : beaucoup profitaient des criques discrètes à l’est et à l’ouest d’Alger pour échapper à la canicule suffocante. « Le retour à la normale, même partiellement, soulagera un peu nos communes côtières, explique le maire d’une bourgade à l’ouest d’Alger. Nos hôtels et campings ainsi que les locations saisonnières des particuliers ont subi de très grosses pertes. Ça se chiffre en milliards de centimes. »
Mais certains ont su profiter de la situation, d’autant que les piscines et autres bassins de natation, y compris à l’intérieur des hôtels demeurent fermés. Les annonces se multiplient sur Internet de propriétaires de villas qui louent à la journée, ou plus, leurs propres piscines privées !
L’avertissement des autorités
Ce semi-retour à la normale intervient alors que les contaminations restent sous la barre des 500 cas par jour. Onze nouveaux décès ont été enregistrés entre le 11 et le 12 août portant à 1 333 le nombre de morts causés par la Covid-19 depuis le début de la crise sanitaire. Le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a prévenu qu’« en cas de non-respect strict des règles d’hygiène ainsi que d’un manque de conscience collective, le retour du confinement sera fortement probable et la fermeture des espaces [mosquées et plages] se fera immédiatement ».
Source : Le Monde Afrique /Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée