Meetings sans public, arrestations de protestataires, appels au boycott : la campagne pour la présidentielle se déroule dans un lourd climat de tensions.
En Algérie, les cinq candidats à la succession de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika ont entamé, dimanche 24 novembre, leur deuxième semaine de campagne électorale pour la présidentielle du 12 décembre prochain. Que faut-il retenir des événements de ces dix premiers jours ? Dans un contexte marqué par une remobilisation générale des Algériens opposés au processus électoral en l’absence des conditions nécessaires pour un scrutin libre et transparent, le bilan est plus terne que prévu. Tout au long de cette période, les cinq prétendants à la fonction suprême ont été confrontés à des manifestations hostiles. Le président du mouvement El Bina, Abdelkader Bengrina, qui a commencé sa campagne par une sortie de proximité à la Grande Poste, au centre-ville de la capitale, a dû quitter les lieux au bout de quelques minutes après avoir prononcé quelques phrases devant les caméras. Le jour même, le président de Talaïe El Hourriyet et ancien chef du gouvernement Ali Benflis a été accueilli par un rassemblement hostile à Tlemcen.
« Huis clos »
Le déplacement du secrétaire général du RND, Azzedine Mihoubi, et celui du président du Front El Moustakbal, Abdelaziz Belaïd, au sud du pays, et plus précisément à Adrar, ont également été perturbés. Abdelmadjid Tebboune ne s’est même pas rendu à l’hôtel El Riadh de Sidi Fredj, à l’ouest d’Alger, où il était attendu pour animer un meeting. Selon son porte-parole cité par El Watan, l’ex-Premier ministre a annulé cette rencontre pour des « rendez-vous imprévus ». Mais, « sur place, d’autres raisons étaient invoquées : Le bus qui devait ramener les militants n’est pas arrivé. D’où l’annulation du meeting », ajoute le quotidien. Les cinq candidats n’ont pu prononcer sereinement leurs discours qu’à l’intérieur des établissements ou dans d’autres espaces protégés par un important dispositif de sécurité. Sur les images diffusées par les chaînes de télévision publiques et privées, qui font définitivement abstraction des manifestations du hirak pour le changement de système, les téléspectateurs peuvent voir les candidats parler de leurs programmes mais rarement les salles désertées par le public.
Démissions et dérision
Si les sorties des candidats sont boycottées ou perturbées, leurs actions sont régulièrement tournées en dérision sur les réseaux sociaux. C’est ainsi que la vidéo d’Abdelkader Bengrina a fait le buzz en cette première semaine. On y voit cet ancien ministre du Tourisme s’arrêter sur la route et accomplir sa prière, sans tapis, sur le trottoir, avec chaussures et lunettes de soleil sur la tête devant la caméra. Les larmes abondantes versées par les candidats en écoutant un verset du Coran ou des poèmes ne sont pas passées inaperçues sur Facebook et Twitter. Outre les difficultés rencontrées sur le terrain, les candidats sont confrontés à des défections au sein même de leurs équipes. Abdelmadjid Tebboune a ainsi perdu son directeur de campagne. Ancien ambassadeur de l’Algérie aux États-Unis, Abdallah Bâali a démissionné de son poste à la veille du 17 novembre, selon la presse nationale. Ali Benflis a également dû se passer d’un membre de son staff la semaine dernière. Il s’agit de son directeur de campagne à Tizi Ouzou, qui a jeté l’éponge à la suite de la pression populaire, selon le HuffPost Algérie qui cite un communiqué de la famille.
Montée de la contestation et répression
Devant cette campagne en vase clos, la contestation prend chaque jour de l’ampleur. Au-delà des actions de protestation avec lesquelles les citoyens accueillent les cinq prétendants à la fonction suprême, des marches nocturnes sont organisées quasi quotidiennement à travers le pays après des appels lancés sur les réseaux sociaux pour intensifier la pression sur le pouvoir. Les appels à la grève se multiplient également. Le dernier remonte au samedi 23 novembre. Il a été lancé par le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) pour le jeudi 28 novembre. Pour l’instant, les autorités répliquent par des vagues d’arrestations, notamment lors des marches nocturnes. La situation inquiète de plus en plus les organisations des droits de l’homme. À la veille du 40e vendredi, Amnesty International s’est dite « profondément préoccupée par ce climat de répression et de restrictions aux libertés d’expression qui marque ce début de campagne électorale ». « Les autorités algériennes doivent assurer la protection des manifestants de manière impartiale et instaurer un climat favorable et apaisé durant toute la durée de cette campagne électorale », a déclaré Hassina Oussedik, directrice d’AI Algérie. Les peines prononcées contre les manifestants ayant tenté de perturber les sorties des candidats sont parfois lourdes, ce qui exacerbe davantage les tensions dans le pays.
Le Parlement européen
La situation en Algérie commence aussi à interpeller au-delà de ses frontières. Elle devrait ainsi faire l’objet d’un débat organisé par le Parlement européen cette semaine qui sera sanctionné par une « résolution d’urgence », selon Raphaël Glucksmann. Lundi, l’Algérie a officiellement réagi par la voix du porte-parole du gouvernement. « Il est admis dans l’esprit de l’Union européenne (UE) ainsi que de tous nos partenaires étrangers que l’Algérie s’attache au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, tout comme elle n’admet pas, en tant qu’institutions et peuple, qu’il puisse y avoir une interférence dans ses affaires intérieures », a rappelé Hassan Rabehi à l’agence de presse APS. « Je souhaite, tout d’abord, relever le fait que les relations de l’Algérie avec l’UE sont des relations stratégiques et très importantes qui couvrent tous les secteurs d’activités. »
« Autant l’UE que l’Algérie sont conscientes de ce caractère stratégique et ne permettraient pas à qui que ce soit de remettre en cause cette qualification stratégique par de simples parlementaires qui se caractérisent par une myopie et qui ne mesurent pas l’importance de ces relations », a-t-il ajouté en marge d’une rencontre à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la lutte contre la violence à l’égard de la femme. La tenue de l’élection présidentielle le 12 décembre prochain est aujourd’hui une quasi-certitude pour le système en place. « Pour la réussite de celle-ci (élection présidentielle, NDLR), et comme vous le savez, toutes les dispositions de sécurisation de l’ensemble des étapes du processus électoral ont été prises, en sus des mesures légales permettant de protéger la voix du citoyen et de préserver le caractère constitutionnel de ce processus national d’importance », a rappelé le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense nationale et chef d’état-major de l’armée, lors d’une intervention faite jeudi. L’option d’un troisième report semble être inenvisageable pour les autorités. Mais la situation actuelle laisse planer des doutes sur l’issue de cette échéance. L’évolution du mouvement populaire qui entame son dixième mois après le scrutin reste par exemple imprévisible. Pour les observateurs, la poursuite des manifestations est une évidence. Mais vont-elles changer de forme ? Vont-elles s’intensifier ? Le pouvoir qui voit dans l’élection le règlement de la crise politique, qui ébranle pourtant ses fondements, réagira-t-il de la même manière après cette date face au hirak ? Rien n’est sûr pour le moment. Plusieurs hypothèses sont toutefois avancées alors que les incidents se multiplient. Abdallah Djaballah, président du Front pour la justice et le développement (FJD), évoque l’éventualité d’annuler les résultats du scrutin avant une courte période de transition. « La majorité du peuple rejette les élections. Elle est convaincue qu’il s’agit d’une manœuvre pour détourner ses revendications », assure-t-il dans un entretien à Aljazeera.net. « Cette hypothèse est liée à la possibilité d’un boycott global de la Kabylie. Si cela se produit, l’intérêt de l’unité nationale m’appelle à proposer de ne pas officialiser les résultats et d’aller vers une courte période de transition », a-t-il assuré.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée