Arrestations et manifestations se suivent dans un pays qui va à des élections dont une grande partie de la population ne veut pas.
À presque 20 jours seulement de la date de l’élection présidentielle en Algérie, la tension ne cesse de monter. Mercredi 20 novembre, les services de sécurité ont arrêté deux personnes pour avoir proféré des menaces contre les opposants au scrutin présidentiel. Une vidéo virale a profondément choqué les Algériens, quelques heures plus tôt, où on voit un agent de sécurité d’une compagnie pétrolière dans le Sud algérien, armé d’une kalachnikov, en train de menacer en brandissant son arme (qui appartient finalement à la seconde personne interpellée) vers les « enfants de la France » qui voudraient « comploter avec la France en s’infiltrant au Sahara depuis le Mali pour venir piller le pétrole et le gaz algérien ». « Nous sommes bien préparés et celui qui ne comprend pas ce message, voici la mariée (en brandissant l’arme automatique). Le vote aura lieu, malgré vous et dans les délais décidés. » Avocats, militants et simples citoyens ont crié au scandale pour dénoncer ces propos et les menaces avec une arme de guerre.
Le soir même, la police s’est massivement déployée à Alger centre et sur les axes vers le quartier de Bab El Oued, où s’était déclenchée une manifestation nocturne contre la tenue des élections du 12 décembre. Spray de gaz lacrymogènes, matraques, arrestations (150, selon des sources sur place) : la tension était à son comble mercredi soir. « Makach intikhibat maa el issabat », « pas d’élections avec les gangs », ont scandé les manifestants place Maurice-Audin, dans le centre-ville de la capitale. Par deux fois, les troupes de la police ont tenté de disperser les marcheurs, reculant souvent pour éviter l’affrontement direct.
« Le pacifisme est notre arme absolue »
L’affrontement direct : c’est exactement ce qui hante les Algériens face à cette situation. Si des actions pacifistes (et c’est en cela l’essence même de la « silmiya » du mouvement du 22 février) sont menées dans plusieurs villes du pays, par exemple murer les entrées des locaux de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), la crainte est persistante quant à des dérapages. « J’ai demandé à mes deux fils de faire attention quand ils manifestent les mardi et vendredi, je ne veux pas de la violence. Même si la police nous entraîne dans ça, il ne faut pas les suivre », témoigne Ali, fonctionnaire à la retraite et taxi de nuit pour boucler ses fins de mois difficiles. Âgés de 35 ans et de 21 ans, chômeurs, ses enfants, qui vivent à Belcourt, quartier populaire à Alger, « sont des fidèles du hirak ».
« Ils commencent à s’énerver en voyant que le pouvoir veut quand même organiser cette élection. Je leur dis que ce n’est pas important, que les élections ne veulent plus dire grand-chose dans notre pays, mais ils ne m’entendent plus », relance Ali, las. Pour Assia, dentiste à Alger centre, la crainte est la même : « Manifester la nuit n’est pas une bonne idée, on en avait parlé au début du hirak et l’idée a été abandonnée, car, d’un côté, les familles, les femmes, les gens de l’extérieur du centre-ville ne peuvent pas participer facilement et, de l’autre côté, cela facilite le noyautage par des voyous ou des provocateurs. Le pacifisme est notre arme absolue, nous ne voulons pas devenir comme eux ». « Ce qui m’inquiète le plus, explique cet avocat de la cour d’Alger, c’est la multiplication des soi-disant marches de soutien aux élections : ils ramènent des fonctionnaires, des militants des partis pro-système comme le FLN ou le RND, des associatifs, des syndicalistes de l’UGTA (pro-pouvoir), des ouvriers du secteur public pour manifester pour l’armée et la présidentielle. Cela provoque les gens. »
Entre pro et anti-élections
Mercredi 20 novembre, une quinzaine de personnes ont été interpellées par la police à Annaba, à l’est du pays, pour avoir « perturbé » une « marche de soutien » aux autorités. Les mêmes incidents se sont répétés dans plusieurs villes cette semaine, faisant craindre à l’avocat « les risques d’une confrontation directe entre pro et anti-élections. C’est complètement irresponsable ». En ce même vendredi, le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah a salué ce qu’il qualifie d’« élan populaire exprimant la volonté d’aller vers les élections du 12 décembre prochain », évoquant « une des plus belles images de la cohésion, la solidarité et l’adhésion du peuple autour de son armée, scandant, d’une seule et même voix, des slogans patriotiques exprimant dans leur ensemble la volonté de se diriger massivement aux urnes le 12 décembre prochain ».
« L’inquiétant est dans la perspective d’une suite de campagne où s’affronteront deux problématiques incompatibles », analyse l’éditorialiste Mustapha Hammouche : « Une problématique systémique qui engage une partie, pour le moins majoritaire, du peuple réclamant une adéquation institutionnelle avec le projet démocratique qu’elle revendique, et une autre, électorale, centrée sur la mise en œuvre d’un scrutin censé mettre fin à la problématique première, de fond. » Entre-temps, la campagne électorale se poursuit et les cinq candidats tentent de donner un aspect normatif à leurs déplacements et meetings. Mais cela devient de plus en plus laborieux alors que des arrestations – et même des condamnations à de la prison ferme, comme à Tlemcen ou à El Oued – touchent les citoyens venus perturber les meetings des candidats, notamment ceux animés par Ali Benflis. D’autre part, les actes de détournement des affiches électorales se poursuivent : ici on accroche carrément des poubelles aux panneaux électoraux, là les portraits de ceux que l’on qualifie de « détenus politiques ».
« Les citoyens, dans la loi algérienne, ont le droit de ne pas aller voter, mais ils n’ont pas le droit d’empêcher d’autres citoyens d’aller voter », rappelle l’avocat algérois, citant des articles de la loi électorale et le Code pénal. Mais, malgré ces tensions, l’Autorité nationale indépendante des élections se contente de parler de « petits grabuges », préférant minimiser les incidents, comme le font d’ailleurs majoritairement des chaînes de télévision privées (ne parlons même pas du secteur public soumis à de fortes tensions), qui assument un black-out total autour des contestations, arborant sur leurs écrans le même hashtag « #l’Algérie vote ». La même Autorité nationale indépendante des élections a annoncé, ce mercredi, que le corps électoral était de 24 474 161 électeurs, dont 914 308 inscrits à l’étranger et 289 643 nouveaux inscrits.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée