En novembre, l’ONG ALIMA dévoilait sa campagne « Désormais c’est nous qui apportons l’aide humanitaire dans nos pays », révélant un modèle d’urgences médicales reposant sur les compétences locales, loin des schémas portés par les légendaires french doctors du siècle dernier. Dans la foulée, l’association médicale annonçait la création d’une fondation présidée par Anne-Marie Idrac. Retour sur les enjeux d’une réponse locale sur fond de stratégie globale, face aux défis sanitaires du continent.
La Tribune Afrique – The Alliance for International Medical Action(ALIMA) vient de se doter d’une fondation, le 24 novembre dernier. Que recouvrent en substance les activités de l’ONG ?
Anne-Marie Idrac – L’association humanitaire ALIMA est spécialisée dans les urgences médicales en Afrique. Elle a été fondée en 2009 son siège est à Dakar. Depuis sa création, les 2 000 salariés ont pris en charge 7 millions de patients. Nous sommes présents dans 12 pays et nous disposons d’un budget global de l’ordre de 80 millionseuros par an, issus de financements institutionnels et de dons. Parallèlement, ALIMA a lancé une trentaine de projets de recherche relatifs à la malnutrition, au paludisme, au virus Ebola, à la Covid-19 ou encore à la fièvre de Lassa.
L’association propose un nouveau modèle humanitaire, fondé sur 3 principes. Premièrement, la prise en charge des situations d’urgences médicales par les ressources humaines locales -en d’autres termes, ALIMA est une ONG où « les Africains soignent les Africains ». Le second principe repose sur le développement de la recherche et de l’innovation sur les sujets de médecine d’urgence et humanitaire et enfin, le dernier principe recouvre la formation et le partage de connaissances. C’est précisément ce qui a été défendu à travers notre campagne « Nous sommes les nouveaux humanitaires ». Actuellement, 98% des équipes ALIMA sont issues de ses pays d’intervention. La campagne « Yes Afri-CAN » met d’ailleurs à l’honneur les médecins africains, pour démontrer que l’Afrique possède ses solutions pour faire face aux crises d’urgences médicales.
Quel type de recherches et d’innovations ont été conduites par ALIMA ces dernières années ?
Depuis 2014-2015, l’association est en pointe en termes de recherche et d’innovation sur Ebola. Elle fait partie de l’équipe qui a identifié deux traitements en 2019 et participe aux essais cliniques sur les vaccins. Elle a aussi développé un outil d’intervention innovant, la C.U.B.E (Chambre d’urgence biosécurisée pour les épidémies) permettant de sécuriser aussi bien les malades que les personnels soignants […] ALIMA est aussi très active en matière de malnutrition infantile. L’an dernier, 155 000 enfants souffrant de malnutrition aigüe sévère ont été pris en charge par l’association. L’ONG a équipé les familles de petits bracelets de suivi médical, résultant de recherches socio-médicales croisées, qui facilitent la détection des risques de malnutrition. Le président d’ALIMA, Dr Richard Kojan, médecin anesthésiste congolais et l’ensemble de nos médecins s’attèlent à transmettre les connaissances issues de leurs recherches. Ils forment également les personnels soignants locaux et sensibilisent les familles (…) Plusieurs travaux sont menés conjointement par les établissements universitaires africains et étrangers, dont l’Inserm. Des partenariats existent notamment entre l’Hôpital Bichat de Paris et des Facultés de Médecine européennes et internationales comme Oxford ou Yale. (…) Aujourd’hui, ALIMA est arrivée à un stade de maturité qui nous a poussés à passer à l’étape supérieure, en lançant une fondation, qui nous permettra de favoriser la diffusion de nos valeurs et principes : les nouveaux humanitaires seront selon nous locaux, et devront bénéficier par la transmission des connaissances des meilleurs apports de la recherche.
Quels sont précisément, les objectifs de la Fondation ALIMA, annoncés le 24 novembre ?
La Fondation ALIMA, abritée par la Fondation de France, n’interviendra pas sur des questions liées à l’urgence médicale, mais sur la recherche et la formation (…) Elle fonctionnera à partir de dons de personnes physiques et morales, et de legs. Pour le moment, les membres fondateurs se sont engagés à apporter une première contribution de l’ordre de 200 000 euros sur les 5 prochaines années. Nous espérons que nous mobiliserons le plus de fonds possibles à travers nos différentes initiatives de collectes de dons pour porter des projets mobilisateurs, en particulier en matière de partage des connaissances, et ce, dès le début 2021 (…) En termes de ressources humaines, les membres fondateurs (ndr : Anne-Marie Idrac, ancien ministre et présidente de la Fondation ALIMA, Augustin Augier, Directeur Général d’ALIMA, Thierry Déau, PDG du fonds Meridiam – Dominique Gaillard, ancien Président de France Invest et Senior Advisor chez Ardian, Frédéric Lemoine, ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée, ancien président de Wendel, trésorier bénévole du Conseil d’Administration de l’ONG ALIMA, Sandra Sancier-Sultan, Directrice associée de Mc Kinsey France et Serge Morelli, président Santé et Innovation médicale et assistance d’AXA) sont appuyés par un certain nombre de personnalités qui se proposent de nous apporter leurs expertises, comme le Dr Raoul Moh, Directeur du programme PAC-CI, le Dr Dominique Taoko, Directeur médical d’AXA Assistance, et Lyna-Laure Amana Priso, Directrice chez Knowtify Partners.
L’arrivée de la pandémie de la Covid-19 a-t-elle influencé le choix de la date du lancement de cette fondation ?
Cette création est plutôt en lien avec la célébration de nos 10 ans d’existence, qui s’est matérialisée par la mobilisation significative de fonds, l’année dernière. Avec le temps, ALIMA a gagné en notoriété et en 2019, notre président a reçu un prix des mains de Bill Gates (ndr : le 19 novembre 2019, le Dr Kojan, a reçu le prix « Game Changing Innovator » à Abou Dhabi lors du Forum Reaching the Last Mile, pour la création de la CUBE, une chambre d’urgence biosécurisée pour les épidémies). A ce moment-là, on a pensé qu’il fallait essaimer nos valeurs et principes de renouveau de l’action médicale humanitaire au-delà de l’association.
De quelle façon ALIMA s’est-elle mobilisée depuis l’arrivée du SARS-CoV-2 sur le continent ?
Dès la fin du mois de janvier, ALIMA s’est mobilisée pour coordonner avec les autorités sanitaires locales et internationales, une réponse à la pandémie. L’ONG a déployé jusqu’à 1000 lits dédiés à la prise en charge médicale des cas confirmés de COVID-19 et deux projets de recherche sont engagés. Une étude est actuellement conduite avec l’Université de Bordeaux pour mesurer l’efficacité de différents traitements contre la Covid-19. Nous avons également formé 5 000 soignants aux protocoles COVID-19.
Le 9 août 2019, ACTED perdait 6 salariés dans une attaque à 60km au sud-est de Niamey. La solution locale pour des problèmes locaux n’est-elle pas en train de devenir un impératif et non un facteur différenciant d’ALIMA, au regard de la recrudescence d’attaques contre des humanitaires expatriés ?
La Fondation ALIMA n’interviendra pas sur des questions d’urgence donc nous ne serons pas confrontés à ce type de configuration. Cela étant, ALIMA comme d’autres ONG, est confrontée à la question de la sécurité de ses personnels, à celle de la gouvernance dans un certain nombre de pays, mais aussi aux questions d’évolution climatiques qui entraînent maladies et déplacements des populations (…) Je ne m’exprimerais pas en qualité de présidente de la Fondation, mais à titre personnel, je pense que le recours aux personnels locaux peut, toutes proportions gardées, avoir un effet sur la question de la sécurité.
Vous avez été successivement Secrétaire d’Etat aux Transports, députée, présidente de la RATP puis de la SNCF avant d’être nommée Secrétaire d’Etat chargée du Commerce extérieur. Qu’est-ce qui vous a conduite à prendre la présidence de cette fondation médicale d’urgence en Afrique ?
Cela fait déjà plusieurs années que j’accompagne l’association ALIMA, à travers le Comité de campagne, qui participe notamment aux levées de fonds. Je connais assez bien certains dirigeants de l’association et j’ai été attirée par leur démarche innovante, aussi bien adaptée au cours qu’au long terme, centrée sur l’action et sur les idées, avec une approche locale doublée d’une analyse globale. Enfin, je me suis reconnue dans la sensibilité portée par les membres de cette association qui se sont engagés à mettre leurs compétences et leurs talents, au service d’une grande cause, renonçant à de lucratives carrières dans des secteurs plus attractifs comme la finance ou dans toute autre activité commerciale.
Source: La Tribune Afrique/Mis en ligne : : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée