« Combattez le vecteur à la racine et vous éradiquerez efficacement le paludisme. » Dans son laboratoire de l’université de Douala, Agnès Antoinette Ntoumba, doctorante en biologie animale, aime répéter cette phrase aux nombreux visiteurs qui se bousculent pour découvrir l’insecticide qu’elle a mis au point. Fabriqué à base d’extraits de plantes telles que le citronnier, le goyavier ou la citronnelle, « c’est en réalité un larvicide biologique qui permet de tuer les larves de moustiques, principaux vecteurs du paludisme », ajoute-t-elle avant de se replonger dans les nombreux tubes et pipettes qui l’entourent.
Ce lundi 19 juillet, l’entomologiste de 42 ans et son équipe d’étudiants et de jeunes diplômés testent le dartrier (Senna alata), une plante originaire du Mexique qui pousse également dans les pays tropicaux comme le Cameroun. Les feuilles sont soigneusement lavées et pesées, une partie est placée dans une fiole Erlenmeyer contenant un liquide, puis le mélange est chauffé sur une plaque alimentée à l’énergie électrique. Thermomètre en main, l’un des six assistants surveille l’hydrodistillation de la plante, tandis qu’Agnès Antoinette Ntoumba prépare une solution au nitrate d’argent.
Un œil sur les mélanges, la scientifique note et explique les évolutions, les différences avec des expériences passées, les changements de couleur… Rien ne lui échappe, pas même une pipette mal lavée à l’eau distillée. Au bout d’une heure et après divers procédés biochimiques, des nanoparticules d’argent se sont formées.
Le dartrier est la onzième plante testée par les scientifiques pour parvenir à synthétiser ces nanoparticules. Neuf d’entre elles ont déjà donné satisfaction. « On a pulvérisé ces bio-insecticides dans les gîtes larvaires. Au bout de 24 ou 48 heures, il n’y avait presque plus de larves, explique Agnès Antoinette Ntoumba. Voir le résultat de ces années de recherches était très émouvant. »
Plus de 4 000 décès en 2020
Tout commence alors qu’elle est étudiante en master. Pour son mémoire sur la caractérisation entomologique des gîtes larvaires, elle recense 404 moustiques anophèles dans son quartier et se rend compte de « la grande exposition » de la population au paludisme, l’une des principales causes d’hospitalisation et de mortalité au Cameroun. D’après le ministère de la santé publique, plus de 2,6 millions de cas ont été recensés en 2020, dont 4 121 décès.
En cycle de doctorat, Agnès Antoinette Ntoumba choisit d’étudier l’impact des nanoparticules des plantes sur les larves – une première dans le pays –, alors que les moustiques sont de plus en plus résistants aux insecticides chimiques. Dès 2018, elle débute avec des plantes « répulsives », comme les feuilles de citronnier. Les résultats sont concluants. « C’est une grande avancée, un maillon essentiel de la lutte contre le paludisme, puisqu’elle relève de la prévention », souligne son encadrant, le professeur Léopold Gustave Lehman, parasitologue et spécialiste du paludisme.
« Dans certaines études, on a même prouvé que quand on utilise ce larvicide dans un environnement naturel, il est ciblé : il ne tue que les larves de moustiques », se félicite la doctorante, par ailleurs lauréate 2020 du prix Jeunes Talents de L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science en Afrique subsaharienne.
Aujourd’hui, Agnès Antoinette Ntoumba a un triple objectif. D’abord, produire ses bio-insecticides en quantité industrielle, les pulvériser dans des quartiers pilotes et observer les résultats. Ensuite, poursuivre ses recherches en testant des plantes dans les dix régions du Cameroun, de manière que chacune d’elles soit autonome et puisse fabriquer son bio-insecticide sur place. Enfin, finir son doctorat. Mais, pour atteindre ces objectifs, elle a besoin de financements et d’équipements de pointe pour son laboratoire – « c’est la clé de tout », dit-elle.
Des chercheuses peu nombreuses
En attendant, elle transmet son savoir aux dizaines d’étudiants qu’elle encourage à embrasser la recherche. Les jeunes femmes, notamment, sont une « priorité » pour elle. Agnès Antoinette Ntoumba les sensibilise, les félicite quand il faut et les associe à tout ce qu’elle fait. Ce lundi-là, sur les six assistants, deux sont des femmes.
Au Cameroun, les chercheuses sont encore peu nombreuses. « Certaines personnes disent que c’est mon époux qui a effectué ces recherches, ce qui est faux, précise Agnès Antoinette Ntoumba. Il m’a soutenue et donné des conseils, mais c’est moi qui ai mené mes recherches, passé des nuits blanches… Ce sont des années de travail. » L’intéressé, François Meva Eya’ane, enseignant en chimie organique à la faculté de médecine, confirme : « Que ce soit pour elle ou pour les autres étudiants, je ne fais le travail de personne. »
Il confie même que, durant ces années de recherche, il a joué à la fois le rôle de père et de mère pour les enfants : leur donner le bain, superviser les repas, les devoirs, les loisirs… Aujourd’hui, leurs deux fillettes ont leur mère pour modèle. Et, les week-ends, « chaussées de leurs petites bottes, elles sont tellement motivées à la suivre dans les gîtes larvaires !, s’enthousiasme François Meva Eya’ane. C’est fantastique ».
Source : Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée