Les tensions s’accentuent entre les chrétiens et le gouvernement gabonais autour de la date de réouverture des lieux de culte. Prêtres et pasteurs s’affirment déterminés à célébrer les offices dès le 25 octobre, malgré le risque d’amendes.
Les âpres négociations menées depuis plusieurs mois entre le gouvernement et les principaux responsables chrétiens du Gabon pour l’ouverture des lieux de culte vont-elles déboucher sur un conflit ouvert ?
Après six mois de fermeture des temples et églises en raison des contraintes sanitaires liées au coronavirus dans ce pays majoritairement chrétien, les prêtres catholiques et les pasteurs protestants semblent bel et bien décidés à reprendre les offices religieux à compter du 25 octobre – contre l’avis du gouvernement qui, lui, a fixé la réouverture des lieux de culte au 30 octobre.
« Quitter la peur »
L’archevêque de Libreville a encore enfoncé le clou, ce dimanche 18 octobre, dans une homélie filmée et diffusée sur internet à l’intention des fidèles qui ne peuvent plus se rendre dans les églises. « Le 25 octobre, aucune porte de nos paroisses ne restera fermée », a lancé Mgr Jean-Patrick Iba-Bâ, chasuble verte sur les épaules, alors qu’il célébrait l’office dans la cathédrale Sainte-Marie.
IL VAUT MIEUX MOURIR MARTYR QUE DE LAISSER DIEU SE FAIRE INSULTER
Un discours dans la droite ligne de celui de Mgr Jean-Vincent Ondo Eyene, évêque d’Oyem. « Il vaut mieux mourir martyr que de laisser Dieu se faire insulter. Je nous le redis, quittons la peur ! Un évêque reste un serviteur de Dieu. Il ne doit pas se laisser berner par le pouvoir », avait-il lancé lors de la conférence épiscopale du Gabon, le 4 octobre.
C’est cependant Mgr Jean-Patrick Iba-Bâ, qui a remplacé Mgr Basile Mvé Engone à la tête du diocèse de Libreville en mars dernier, qui semble mener la fronde. Dans un courrier daté du 13 octobre dans lequel il détaille son « décret », il avait déjà annoncé « l’ouverture de toutes les paroisses de l’archidiocèse de Libreville » pour le 25 octobre et promis la célébration des messes « dans toutes les paroisses, aux heures habituelles ».
Pas avant le 30 octobre
Trois jours plus tard, Lambert-Noël Matha, le ministre de l’Intérieur, était revenu à la charge pour réitérer l’intention du gouvernement de fixer la date de réouverture des lieux de culte au 30 octobre.
Ce dernier a par ailleurs précisé les conditions dans lesquelles pourraient être célébrés les cultes : « la délivrance d’une autorisation spéciale par le ministre de la Santé et celui de l’Intérieur » sera nécessaire, un maximum de 30 fidèles sera accepté par office religieux, la distanciation physique devra être respectée – les accolades seront donc interdites – et, pour les catholiques, la communion est suspendue.
« La durée maximale de chaque célébration doit varier entre 45 minutes et une heure », et les lieux de culte ne sont autorisés à ouvrir qu’un seul jour par semaine, a en outre précisé le ministre. Ensuite, « le paiement de la dîme se fera par voie électronique, transfert, ou dans une enveloppe fermée. En outre, les fidèles [devront] également remplir un fichier électronique pour donner les renseignements personnels qui permettraient de prévenir ou de retrouver des cas contacts [s’il y avait] contamination ».
« Deux poids, deux mesures »
Les catholiques ne sont pas les seuls responsables religieux que le gouvernement peine à convaincre. Depuis des mois, la Fédération libre des assemblées et ministères évangéliques (Flame), emmenée par le révérend Louis Mbadinga, demande la réouverture des Églises de réveil.
Le pasteur protestant Pierre Bongolo, qui officie à Libreville, s’étonne ainsi de constater « deux poids, deux mesures » entre les contraintes imposées aux lieux de culte et celles, plus légères, qui pèsent sur les marchés et supermarchés, les écoles ou encore les administrations. « Qu’on demande au secteur publique de travailler une fois par semaine, on verra bien ! »
CELA RESSEMBLE À UNE VOLONTÉ DE TOUT CONTRÔLER, UNE PRIVATION DE LIBERTÉS
« Cela ressemble à une volonté de tout contrôler, une privation de libertés », se plaint le pasteur Georges Bruno Ngoussi, de l’église Nazareth. Figure de la société civile gabonaise, le pasteur évoque même une « arnaque ». « J’ai entendu qu’il faut des tests de dépistage, or ceux-ci coûtent 5 000 F CFA [7,6 euros]. Comment un Gabonais qui a parfois du mal à gagner 1 000 F CFA par jour va-t-il faire pour payer son test ? » s’interroge-t-il. Le pasteur se dit prêt à braver l’interdiction d’ouvrir les lieux de culte, le 25 octobre, sans craindre les sanctions prévues, parmi lesquelles une amende de 5 millions de F CFA.À LIRE [Chronique] Gabon : au nom du père, du fils et du coronavirus
La communauté musulmane, de son côté, n’est pas montée au créneau, saluant au contraire la réouverture des lieux de culte à la fin du mois. « C’est un grand pas d’avoir ouvert nos mosquées. Nous remercions les autorités pour cette évolution », a déclaré sur la télévision nationale l’imam Youssouf Nziengui, membre du Conseil supérieur des affaires islamiques.
Enfin, les pratiquants du bwiti, la spiritualité traditionnelle du Gabon, sont toujours soumis, officiellement, aux limitations des rassemblements fixées à 30 personnes. Ils ne se sont pas exprimés ouvertement pour demander un allègement des mesures barrières.
Source : Jeune Afrique/Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée