Basée dans un quartier populaire de Kigali, cette église pentecôtiste prêche l’« inclusion radicale » en ouvrant ses portes aux personnes homosexuelles, souvent rejetées et stigmatisées par les communautés religieuses du pays.
Au micro, Albert Nabonibo part dans les aigus tandis qu’autour de lui la congrégation applaudit, danse et reprend en chœur. Il y a quelques semaines pourtant, ce comptable rwandais passionné de gospel pensait ne plus jamais pouvoir chanter dans une église. En août 2019, il faisait en effet la Une de la presse locale et internationale pour avoir avoué son homosexualité sur une chaîne YouTube chrétienne. « J’en avais marre de me cacher. Ce coming out était une manière de dépasser ma peur et de montrer l’exemple », explique-t-il.
Très vite, les messages de haine affluent, on lui demande de quitter son travail et il ne se sent plus le bienvenu dans son église. « Si elles savent que vous êtes homosexuel, les églises considèrent que votre musique ne peut pas servir Dieu et que vous ne pouvez pas vous présenter devant la congrégation », soupire-t-il.
C’est finalement grâce à l’organisation de défense des droits de l’homme Amahoro, qu’Albert Nabonibo a pu renouer avec le gospel. Cette ONG rwandaise s’est donné pour mission de permettre aux personnes marginalisées d’avoir un lieu de culte. C’est ainsi qu’est né il y a deux ans le partenariat entre une église locale, l’Église de Dieu d’Afrique et du Rwanda, et une église fondée au sein de la communauté afro-américaine États-Unis, TFAM, qui prône l’ouverture de la congrégation à tous et à toutes, y compris aux personnes LGBT.
Un prêche pro-LGBT
Assis sur quelques dizaines de chaises en plastique, les fidèles sont pendus aux lèvres de l’évêque Joseph Tolton, venu ce dimanche spécialement de New York. Robe blanche, croix dorée autour du coup et ordinateur portable dernier cri, il entonne un prêche effréné, ouvertement pro-LGBT : « Faites de la place pour les personnes homosexuelles, pour les transgenres, pour les pauvres, pour les femmes, pour tous les marginalisés ! », hurle-t-il. En réponse, les alléluias retentissent.
Ici, tout le monde est le bienvenu : les jeunes mères, les quarantenaires, mais aussi les choristes à dreadlocks, jeans moulant et boucles d’oreilles. C’est ce qui a conquis Lucie, jeune Rwandaise travaillant dans l’humanitaire : « J’ai choisi cette église, car elle ne prêche pas l’exclusion. À mon avis, les personnes homosexuelles ont tout simplement été créées comme telles », explique-t-elle.
« Réconciliation spirituelle »
« Nous faisons un travail de réconciliation spirituelle, en présentant au monde le message originel de Jésus-Christ, qui est un message d’inclusion radicale », renchérit l’évêque Joseph Tolton. « Son église assure-t-il s’oppose à la mainmise des conservateurs américains sur le développement mondial des églises évangéliques » et à leur « influence sur les évolutions sociétales de certains pays africains ».
Une allusion, entre autres, aux liens entre le gouvernement ougandais et les milieux évangéliques américains, accusés d’être à l’origine de l’homophobie grandissante dans le pays. En 2009, un député ougandais a ainsi présenté devant le Parlement un tristement célèbre projet de loi prévoyant la peine de mort pour des cas « d’homosexualité aggravée ». Si la loi n’a jamais été adoptée, les conditions de vie des personnes LGBT en Ouganda se sont depuis gravement détériorées.
Au Rwanda, rien de tel. Le pays ne pénalise pas l’homosexualité, faisant ainsi figure d’exception dans la région. Lorsqu’Albert Nabonibo a fait son coming out cet été, il a même été soutenu par un ministre du gouvernement qui a écrit sur Twitter : « Tous les Rwandais naissent libres et égaux en droits et en liberté, et le restent », encourageant également le chanteur à continuer le gospel.
Pourtant, les discriminations sont encore monnaie courante dans le pays. Ainsi Patrick, 24 ans, assure avoir beaucoup de mal à trouver un travail et s’être fait chasser de plusieurs chorales pour être « trop féminin ». « Avec le gouvernement, il n’y a aucun problème. C’est la société qui nous rejette », explique-t-il. Pour lui, TFAM représente donc bien plus qu’une église : « Ça a changé ma vie. Ici, je chante sans peur devant des gens comme moi, des gens qui m’applaudissent et qui reconnaissent mon talent », lance-t-il. Ce dimanche, le jeune homme monte sur scène le sourire aux lèvres, entouré de quatre autres choristes. Ils forment « sa nouvelle famille », dit-il, un endroit où il peut être totalement lui-même.
Source: RFI Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée