Ils sont de nouveau des milliers à manifester au Soudan. Pour dénoncer le pouvoir militaire, les partisans d’un pouvoir civil ont bravé, lundi 17 janvier, les forces de sécurité déployées en masse dans la capitale, Khartoum.
Pour la première fois, les forces de sécurité soudanaises ont utilisé des armes lourdes. Des mitrailleuses à gros calibre, notamment, étaient visibles au-dessus de leurs véhicules. Au milieu des grenades lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des tirs des canons à eau, plusieurs manifestants blessés se sont écroulés ; certains asphyxiés par le gaz lacrymogène, d’autres en sang après avoir été touchés de plein fouet par les grenades. Des médecins ont annoncé, lundi après-midi, que trois manifestants avaient été tués, portant le bilan de la répression à 67 morts depuis la fin d’octobre.
Depuis que le général Abdel Fattah Al-Bourhane, chef de l’armée, a mené un coup d’Etat le 25 octobre, le pays ne cesse de s’enfoncer dans la violence. Un général de police a été poignardé à mort lors de récentes manifestations, tandis que les forces de sécurité tirent, parfois à balles réelles, sur les manifestants.
Lundi, les violences à Khartoum se concentrent aux abords du palais présidentiel, l’ancien quartier général du dictateur Omar Al-Bachir, démis en 2019 sous la pression d’un soulèvement populaire, où siègent aujourd’hui les autorités de transition. Les forces de l’ordre tentent d’empêcher les manifestants de s’en approcher, les poursuivant parfois dans les rues environnantes.
Si les forces de sécurité quadrillent Khartoum et ses alentours, en revanche – et pour la première fois – elles ne bloquent pas l’ensemble des ponts reliant la capitale soudanaise à ses banlieues sur l’autre rive du Nil.
Blocage dans le nord du pays dimanche
Le pouvoir militaire était déjà dans le viseur de la contestation dimanche. A Khartoum, des dizaines de médecins en blouse blanche ont remis au parquet général deux rapports sur des attaques contre des blessés, des médecins et des hôpitaux dans la répression tous azimuts des manifestants protestant contre le putsch du 25 octobre.
Dans le nord du pays, dimanche, les Soudanais ont également manifesté contre la cherté de la vie – le Soudan est l’un des pays les plus pauvres du monde. La semaine dernière, le ministère des finances a annoncé doubler le prix du kilowatt d’électricité mais, compte tenu du tollé que cette annonce a suscité, le pouvoir militaire a gelé sa décision.
Malgré la reculade, des centaines de manifestants ont bloqué les routes du nord, notamment vers l’Egypte, pour réclamer une annulation pure et simple de cette augmentation. Ils ont interdit le passage de tout véhicule « tant que les autorités n’auront pas annulé cette augmentation car elle signe l’acte de décès de notre agriculture », affirme à l’Agence France-Presse (AFP) Hassan Idriss, un manifestant.
Toute augmentation ou suppression des subventions étatiques sur les produits de base peut mener au pire au Soudan, où les 45 millions d’habitants doivent déjà composer avec une inflation avoisinant 400 % et où, selon l’Organisation des Nations unies (ONU), en 2022, 30 % des Soudanais auront besoin d’aide humanitaire. En 2018, la révolte – qui renversa l’année suivante le président Al-Bachir – avait été déclenchée par une décision du gouvernement de tripler le prix du pain.
« Intimidation » de la presse
Le chef de la diplomatie sous M. Al-Bachir, Ibrahim Ghandour, et « d’autres codétenus » ont entamé une grève de la faim qu’ils ne cesseront qu’une fois libérés ou présentés devant un « tribunal impartial », selon leurs proches. Récemment, le parquet a ordonné la libération de plusieurs responsables du régime de M. Al-Bachir, mais le général Al-Bourhane, seul aux commandes du Soudan, a ordonné leur maintien en détention.
« C’est la première interférence dans les affaires judiciaires de l’histoire de notre pays », s’est insurgée la famille de M. Ghandour alors que le général Al-Bourhane est accusé par les manifestants de chercher à réimposer les hommes du régime déchu, dont il est lui-même issu.
Avant les manifestations de lundi, le ministère de l’information avait retiré l’accréditation d’Al-Jazira Live, une chaîne qatarie, l’accusant de « couverture non professionnelle » visant à « déchirer le tissu soudanais ». En novembre, le chef du bureau d’Al-Jazira à Khartoum, le Soudanais Al-Moussalami Al-Kabbachi, avait été détenu trois jours sans aucune charge retenue contre lui.
L’ambassade des Etats-Unis à Khartoum a dénoncé « un pas en arrière », tandis qu’Al-Jazira a évoqué sur Twitter une « intimidation », appelant « les autorités à autoriser son équipe à reprendre le travail ». En décembre, le bureau d’une chaîne financée par Riyad, Al-Arabiya, a été attaqué par des officiers, ses journalistes tabassés et ses équipements saisis. Et d’autres journalistes ont rapporté avoir été arrêtés ou attaqués en couvrant les manifestations.
Avant le putsch, le Soudan était 159e (sur 180 pays) au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. L’ONU considère qu’il est aujourd’hui « de plus en plus hostile aux journalistes ».
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée