Albert Tévoédjré fait partie de l’élite africaine engagée pour la cause du continent. Si son triple destin d’homme politique, d’universitaire et de fonctionnaire international est bien connu, cet ancien séminariste fut aussi un homme de mystère, passionné du Christ. Profondément humaniste, farouchement catholique, extrêmement politique et excessivement cultivé, c’est un grand homme du monde qui vient de s’en aller. Quelques semaines avant sa mort, il recevait encore, plus lucide que jamais, Afrika Stratégies France dans son domicile.
Conjuguant une destinée de chrétien catholique fervent et d’intellectuel chevronné, Albert Tévoédjré a joué un rôle prépondérant dans la vie économique et politique de son pays, mais également aussi service monde. Il est né le 10 novembre 1929 à Porto-Novo (Bénin) dans une modeste famille de 7 enfants. Son père, Joseph est catéchiste et sa mère, Jeanne « une fille des sœurs ». Il reçoit donc, logiquement, une éducation catholique, d’abord à l’école Saint-Joseph de Porto-Novo, puis au séminaire de Ouidah ( Petit Clerc tenant lieu de Petit séminaire) où il entre à 12 ans. Marié à Isabelle Ekue, professeur de lettres, très engagée dans la lutte contre l’excision, il fonda une famille composée de trois fils. Celui qui sera surnommé « Renard de Djèrègbé », passera une bonne partie de sa vie dans « Le Refuge du Pèlerin », une propriété située dans un village (Djrègbé) non loin de Porto-Novo et qui accueille régulièrement des groupes de réflexion de vingt à trente personnes. Albert Tévoédjré passera ses vieux jours dans sa maison de retraite dénommée « La Maison africaine de la paix, Théophania », située à Adjati commune d’Adjarra, non loin de Porto-Novo, où il s’est retiré avec son épouse. Ses études au Lycée Van Vollenhoven de Dakar, à l’Université de Toulouse (France), à l’Université de Fribourg (Suisse), à l’Institut de hautes études internationales de Genève et au Massachusetts institute of technology (Mit) de Boston (Usa), sont sanctionnées par un diplôme de docteur des sciences économiques et sociales et d’une licence en histoire.
Un parcours élogieux
Doté d’une probité intellectuelle de haut rang, Albert Tévoédjrè connût un parcours élogieux aussi bien dans le domaine politique que dans la vie associative. Après la proclamation de l’indépendance de son pays en août 1960, Albert Tévoédjrè, ancien dirigeant de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France et cofondateur du Mouvement africain de libération nationale, devient Secrétaire d’État à la Présidence de la République, Ministre de l’Information, poste qu’il occupe jusqu’à sa désignation comme Secrétaire général de l’Uam (Union africaine et malgache). Après son départ de l’Uam en 1963, il donne des cours et dirige des séminaires de science politique à l’Institut africain de Genève et à l’Université de Georgetown de Washington, D.C.. De 1964 à 1965, il est chargé de recherche à l’Université de Harvard (Cambridge, Massachusetts). En 1965, il est entré au Bureau international du travail (Bit), comme expert en planification de la main-d’œuvre et nommé Coordonnateur régional pour l’Afrique le 1er mars 1966 à Addis-Abeba avant d’être promu Sous-Directeur général le 1er janvier 1969. Il est nommé le 9 décembre 1974, directeur de l’Institut international d’études sociales avec rang de Directeur général adjoint du Bureau international du travail. De 1976 à 1978 il fût Professeur associé de science politique à l’Université Paris-Sorbonne, puis de 1977-1978 : Herskowitz Visiting Professor of Political Science at Northwestern University, Evanston, Illinois, Usa et de 1977-1979 : Professeur en mission à l’Université nationale de Côte d’Ivoire (Abidjan).
Un homme pour les hommes
Parti du Bureau international du travail (Bit), Albert Tévoédjré va se consacrer à partir de 1984 à l’Association mondiale de prospective sociale créée sous son impulsion en 1976. C’est au colloque fondateur de cette association qu’Albert Tévéodjré commence à développer l’idée du Minimum social commun et celle du contrat de solidarité. Il crée également, en 1987, le Centre panafricain de prospective sociale (Cpps). Il s’investit par la suite, dans la vie politique se son pays. Appelé à la conférence nationale des forces vives de la nation, début 1990, il fut chargé d’en rédiger le rapport. Une conférence qui met un terme au régime marxiste-léniniste à parti unique de Mathieu Kérékou et ouvre la voie au multipartisme et à l’économie libérale. Classé 3e à l’élection présidentielle du 10 mars 1991, il s’en sort avec 14,24% des voix, derrière Mathieu Kérékou et Nicéphore Soglo, qui remporte les élections. Albert Tévoédjré devient membre du Haut conseil de la République mis alors en place. D’avril 1991 à mars 1996, il est député à l’Assemblée nationale, président de la commission des relations extérieures, de la coopération au développement, de la défense et de la sécurité. Il apporte son soutien au candidat Mathieu Kérékou qui revient au pouvoir à la faveur de la présidentielle de 1996. Du 10 avril 1996 au 24 juin 1999, Albert Tévoédjré est ministre du Plan, de la restructuration économique et de la promotion de l’emploi. Exclu du parti Notre cause commune (Ncc), il fonde le Parti national ensemble (Pne), puis rejoint de nouveau les Nations-Unies. A partir du 1er juillet 99, il est coordonnateur du projet « millenium pour l’Afrique » qui fonctionne sous l’égide des Nations Unies à travers une commission indépendante. De février 2003 à février 2005, il est représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies Koffi Annan, qu’il connait de longue date pour assister les protagonistes de la crise en Côte d’Ivoire dans le cadre des stratégies de mise en application des accords de Linas-Marcoussis. Il démissionne de ce mandat de médiation en décembre 2004 et se rend en mission à Genève jusqu’à avril 2006. Il soutient en 2006, la candidature de Yayi Boni à la présidence de la République du Bénin. Ce dernier, une fois élu, le nomme premier médiateur de la république du Bénin, charge qu’il exerce sept ans et qui sera son dernier rôle politique. Sous le nom de Frère Melchior, il promeut des valeurs du renoncement (la croix), et du dialogue interreligieux (islamo-chrétien surtout). Albert Tévoédjré sera tout de même rattrapé par une affaire de 110 millions sortis des comptes bancaires de la Fondation Cardinal Bernardin Gantin (qu’il dirigea) pour une autre destination.
Albert Tévoédjré est auteur de plusieurs publications dont notamment, l’Afrique Révoltée ; Vaincre l’humiliation ; Magnificat: Lettre au Cardinal Bernardin Gantin ; La Formation des Cadres Africains en vue de la croissance économique, Thèse de Doctorat mais le plus connu fut « La Pauvreté Richesse des Peuples » imbattable ouvrage sur l’homme tout court. A quelques jours de ses 90 ans, il rêvait encore, peut-être même un peu trop. C’est aussi ça sa vie, celle de passions inaccomplies. Quand, il y a quelques semaines, il recevait dans sa maison de retraite notre correspondant, auteur de ces lignes, on sentait un homme qui avait en même envie de partir mais maintenu par ce désir d’être là. Il s’en est allé enfin, paix à son âme.
Source: Afrika Strategies France/Mis en ligne : Lhi-tshiess Makaya-exaucée