Créée à l’initiative du photographe burkinabè Léon Nyaba Ouedraogo et du responsable des ventes d’art contemporain de la maison Piasa, Christophe Person, la première édition de la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (BISO) a lieu jusqu’au 15 novembre.
Un peu plus de deux semaines après la naissance de la Biennale d’art contemporain de Rabat (Maroc), le continent est fier de vous annoncer la naissance de la première Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (BISO), au Burkina-Faso. Ouverte par le ministre de la Culture Abdoul Karim Sango le 8 octobre au sein de l’Institut français, elle fermera ses portes le 15 novembre prochain.
Si le président d’honneur de cette première édition est le sculpteur burkinabé Siriki Ky, maître du bois, du métal et du bronze, les deux hommes à l’origine de cette initiative sont le photographe burkinabé Nyaba Léon Ouedraogo et le responsable des ventes d’art contemporain africain au sein de la maison Piasa, le Français Christophe Person.
Amitié
Tout a donc commencé avec la naissance d’une amitié, il y a un peu plus de deux ans. « Cela a été un processus assez long, se souvient Léon Nyaba Ouedraogo. Nous avons longuement discuté, avec Christophe, autour de l’idée de “faire quelque chose” en Afrique. Il y avait déjà la biennale de Dakar, bien entendu, les Rencontres de la photo de Bamako, et puis nous nous sommes dit “Pourquoi pas la sculpture ?” ».
Pour l’un comme pour l’autre, il s’agissait de sortir de sa zone de confort et de s’attaquer à un média qui, s’il a une longue tradition en Afrique, reste compliqué à exposer (fragilité des œuvres, coûts de transport, etc.).
Leur idée bien arrêtée, Ouedraogo et Person ont mobilisé leurs réseaux amicaux et professionnels et obtenu très vite des soutiens de poids. « En Martinique, lors du vernissage d’une exposition organisé par la Fondation Clément avec la fondation Dapper, j’ai discuté avec Barthélémy Toguo et Soly Cissé et tous deux m’ont dit : “Frère, je viens !” » .
L’ART DES AUTRES NOUS PERMET D’ENVOYER AU MONDE UN MESSAGE QUI DIT : VOILÀ QUI NOUS SOMMES
De fait, le plasticien camerounais et le peintre sénégalais sont aujourd’hui membres du jury de la biennale, aux côtés de l’artiste malien Abdoulaye Konaté, du galeriste Félix Frachon et de la collectionneuse Gervanne Leridon.
Un projet politique et sociétal
Comme ces artistes de renommée internationale qui parrainent la jeune biennale, Nyaba Leon Ouedraogo entend faire œuvre de transmission : « Aujourd’hui, je peux utiliser mon nom pour lancer des projets, déclare-t-il. L’art des autres me nourrit, nous nourrit et nous permet d’envoyer au monde un message qui dit : “voilà qui nous sommes” . Il faut abandonner les vieilles cassettes et le refrain qui dit que “c’est la faute de l’Europe”, que “l’Afrique doit se prendre en main”. BISO, c’est un projet politique et sociétal. »
ON PEUT AUJOURD’HUI DIRE QUE LES CHOSES SONT EN TRAIN DE SE FAIRE EN AFRIQUE, À SÉGOU, À OUAGADOUGOU, À KINSHASA
Barthélémy Toguo, lui-même à l’origine du centre d’art Bandjoun Station, au Cameroun, dresse le même constat : « La création est belle et elle est là. On peut aujourd’hui dire que les choses sont en train de se faire en Afrique, à Ségou, à Ouagadougou, à Kinshasa. Il y a des révélations dans cette biennale et il était important pour nous, Cissé, Konaté et moi, d’être présents pour faire le lien avec la jeunesse et de l’encourager à monter des projets. »
Comme d’autres, Léon Nyaba Ouedraogo rappelle que « Bisso », qui fait écho à l’acronyme BISO désignant la biennale, signifie en lingala « Entre nous ».
130 000 euros de budget
Pour une première édition montée en deux ans avec « les moyens du bord », l’événement a reçu le soutien du Ministère de la culture burkinabè, de l’Union européenne, de l’Institut français, de l’association Solidarité laïque, d’African Artist for Dévelopment, d’Oryx, ou encore de BZZ. Nyaba Leon Ouedraogo évalue à environ 130 000 euros son budget final, inférieur à la somme que Christophe Person et lui espéraient récolter (280 000 euros), mais tous deux évoquent déjà de la seconde édition, dont le parrain sera le sculpteur congolais Freddy Tsimba, « papa machette » pour les Kinois.
Chacun espère que, d’ici là, la situation sécuritaire du pays se sera améliorée. Pour l’heure, malgré l’existence d’un « off » dans quelques espaces de la ville, l’exposition internationale a trouvé refuge dans les locaux de l’Institut français, l’un des rares espaces offrant à la fois les conditions de sécurité et les infrastructures nécessaires pour un tel événement.
17 artistes sélectionnés
C’est donc dans la vaste pièce circulaire de l’Institut qu’ont été installées les œuvres des 17 artistes sélectionnés pour cette édition. Sans rigidité excessive, Christophe Person et Léon Nyaba Ouedraogo se sont appliqués à chercher des équilibres en invitant des hommes et des femmes, des francophones et des anglophones, des Africains du Nord, des Subsahariens et des artistes de la diaspora.
Le résultat ? 17 propositions qui se répondent et illustrent des tendances de la création africaine.
CONTESTATAIRE, CRITIQUE, ANALYTIQUE, SENSUELLE, LA SCULPTURE QUI SE CRÉE EN AFRIQUE A BEAUCOUP À DIRE
Plusieurs artistes s’interrogent ainsi sur l’avenir de notre planète : le Burkinabè Issouf Diero crée des sculptures monumentales à partir de pneus et de chambres à air récupérés dans la rue, l’Ougandais Donald Wasswa crée une installation envahissante à partir de déchets récoltés, eux aussi, dans la rue, tandis que la Franco-Camerounaise Beya Gille nous montre un enfant au corps couvert de perles bleues protégeant de son corps une jeune plante.
Motifs ancestraux
D’autres s’interrogent sur la tradition même de la sculpture en Afrique en retravaillant et questionnant des motifs ancestraux – statuettes, masques, reliquaires – souvent détournés de leur fonction première lors de la colonisation. Soudeur autodidacte, le Burkinabé Issiaka Savadogo introduit des rouages mécaniques dans des sculptures d’inspiration classique quand le Belgo-Malien Thiemoko Diarra répare et soigne à sa manière des statuettes conçues pour des touristes blancs mais blessées dans le transport et rendues invendables.
Enfin, Dimitri Fagbohoun, né au Bénin, propose une vaste installation interrogeant les rapports entre l’art dit « africain » et les maîtres occidentaux. En faisant réaliser par des bronziers burkinabè une figure rappelant à la fois La muse de Constantin Brancusi et Noire et blanche de Man Ray, il rend à César ce qui appartient à César puisque ces deux artistes s’inspirèrent de créations africaines.
Contestataire, critique, analytique, sensuelle, la sculpture qui se crée en Afrique a beaucoup à dire, parfois même trop tant le poids du monde est parfois lourd à porter. Mais avec BISO, elle dispose désormais d’une plateforme d’où elle pourra faire entendre sa parole et ses coups de gueule.
Source: Jeune Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-exaucée