Le samedi 21 décembre 2019 sera peut-être le point de départ, pour l’Afrique de l’Ouest, de la vraie indépendance et de l’intégration réelle porteuses de progrès pour ses 400 millions d’habitants. Ce jour, le président Ouattara, en accord avec ses pairs de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), a annoncé la disparition du Fcfa en 2020.
C’était à Abidjan en présence du président Emmanuel Macron, qui entrera dans l’histoire comme le chef d’Etat français qui a posé les jalons réels du changement de cette monnaie. Ces dispositions ont ensuite été approuvées par la 56e session ordinaire du sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO tenu ce même jour à Abuja.
Cet acte politique très fort sonne également comme une opportunité historique vers l’union monétaire en Afrique de l’Ouest. Il donne corps au projet Eco, non pas uniquement dans la zone l’UEMOA, mais pour toute la zone de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
À partir de l’année prochaine, il y aura la monnaie Eco dans la zone UEMOA, en lieu et place du Fcfa et sans lien de tutelle avec la France (suppression du compte d’opération et aucune supervision de la gestion monétaire par Paris). Cela ouvre la perspective d’une monnaie de l’Afrique de l’Ouest qui fonctionnera selon le modèle de la zone euro avec la possibilité de l’élargir progressivement aux pays qui le veulent et qui le peuvent.
D’ores et déjà il y a en ligne de mire la Guinée, le Ghana, le Cap-Vert et les pays anglophones de dimensions démographique et économique plus modestes (Sierra Leone, Gambie, Liberia) et un jour, le plus tôt étant le mieux, le Nigeria, leader naturel de cette zone. Cet élargissement sera accompagné par un approfondissement de la gouvernance avec la mise en place de dispositifs de mutualisation des risques, des politiques communes et d’Institutions appropriées qui donneront progressivement à la zone les attributs indispensables à son fonctionnement vers la réalisation de ses objectifs.
L’étape suivante sera d’insérer progressivement l’UEMOA au sein du dispositif de la CEDEAO de manière à ouvrir le chantier indispensable de la clarification institutionnelle au sein de la zone. Il convient de fondre à ce titre, le dispositif de gouvernance économique et monétaire de l’UEMOA (critères de convergence et de surveillance multilatéraux) dans le nouveau système de gestion de la monnaie d’une part et, d’autre part, de transférer ses missions sectorielles (agriculture, éducation, santé…) à la CEDEAO en y intégrant les Institutions spécialisées qui leur sont liées.
La réforme de la CEDEAO, l’amélioration de ses procédures et l’accroissement de ses moyens permettront d’assurer cette mutation importante qui devra être conduite à moyen terme. L’absorption de l’UEMOA par la CEDEAO ne sera pas le seul chantier de rationalisation institutionnelle dans la zone Ouest africaine. Il existe dans cette zone géographique une ribambelle d’organisations interétatiques, aux ambitions quelques fois superposées. Certaines d’entre elles ont une vocation technique et d’autres sont centrées sur des espaces précis. Il est impératif de revisiter cet environnement institutionnel encombré pour le simplifier et le rendre plus efficient. Sortons enfin de la balkanisation institutionnelle en Afrique de l’Ouest !
Le G5 Sahel, l’autorité du Liptako Gourma, le Comité Inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), l’organisation du bassin du lac Tchad (CBLT) ou encore l’organisation de la Mano River… Les pays de cet espace doivent se fixer un horizon stratégique de conversion vers une seule organisation politique avec des vocations sectorielles sur l’espace ouest-africain. Ce qui leur permettra d’engager la transformation progressive de certaines organisations en structure technique de la CEDEAO et la suppression d’autres ayant fait leur temps sans impact ou dont l’utilité reste sujette à caution.
Dans cette dernière catégorie figure le G5 Sahel qui est plus une organisation d’inspiration française qu’une organisation réellement pensée et créée par ses Etats membres. Il n’est pas indispensable de donner une réalité institutionnelle à des spécificités géo-climatiques. Les pays comprenant des aires climatiques particulières, élaborent des politiques qui les adresser sans créer d’Institution dédiée. C’est ce qu’il convient de faire à l’aune de la région ouest-africaine.
Les stratégies élaborées pour faire face aux défis sahéliens doivent être confiées à l’organisation politique majeure de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en complémentarité avec les pays, pour être mises en œuvre. Le G5 Sahel étant à ses balbutiements et peinant à prendre son envol, il est souhaitable de prendre la décision politique courageuse de la supprimer et de transférer ses missions et stratégies à la CEDEAO.
Une période transitoire peut être retenue pour faciliter cette mutation qui s’inscrit dans une démarche stratégique de construction progressive d’une seule entité politique et économique en charge du management de cet espace. Le projet devrait être soutenu par la vision de l’établissement, d’ici une décennie, d’une institution portée par les Etats et surtout par les peuples, dotée d’un fonctionnement démocratique, et compétente pour traiter des sujets communs.
A ce titre, les questions de sécurité, de lutte contre le terrorisme et la criminalité régionale et transfrontalière pourront être adressées avec plus d’efficacité. C’est à ce titre d’ailleurs qu’il convient de soutenir la récente initiative de la CEDEAO d’allouer un milliard de dollars US aux enjeux sécuritaires de l’espace ouest-africain.
L’opérationnalisation des forces en attente participe de cette volonté. Les troupes du G5 Sahel peuvent constituer quelques bataillons à partir de cette force dans un cadre plus intégré et porté par davantage d’Etats. Le chancelier allemand Bismarck reconnaissait la primauté de la géographie en affirmant : « Nous faisons l’histoire, mais nous subissons la géographie ».
L’avenir des pays d’Afrique de l’Ouest ne se jouera ni à Paris ni à New York ou Beijing, mais en Afrique de l’Ouest. L’opportunité ouverte par la disparition du Fcfa doit être transformée pour faire de cette zone, la mieux intégrée et la mieux organisée en Afrique afin de lui ouvrir des perspectives socio-économiques et géopolitiques favorables. Cela pourrait se traduire politiquement par une CEDEAO dirigée par un exécutif émanant des Etats, supervisé par un parlement élu directement par les peuples au lieu de simples délégués issus des parlements nationaux. Cela pourrait également, dans un horizon plus lointain, s’illustrer par la constitution d’une fédération des Etats d’Afrique de l’Ouest avec un président fédéral élu par l’ensemble des peuples de la zone.
Cette ambition nourrie par Kwame Nkrumah , Modibo KEITA et d’autres pères fondateurs nécessite toutefois des leaderships avérés dans les pays qui regardent dans la même direction. Elle nécessite aussi et surtout un leadership fort et visionnaire à la tête du Nigeria, géant d’Afrique de l’Ouest qui doit accepter de s’ouvrir à l’intégration, consentir à fournir les efforts que cela nécessite et s’engager à exercer de manière permanente son leadership. Les grandes unions régionales sont celles où le leadership est clair, visionnaire et exemplaire. Alors quand aura-t-on et qui sera le Nkrumah nigérian ?
Source: Afrique La Tribune /Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée