L’Académie des Oscars a écarté le film de la Nigériane Genevieve Nnaji de la compétition pour « le meilleur film étranger » en raison de l’importance des dialogues en anglais.
Il aurait pu être le premier film nigérian à prétendre à l’oscar du « meilleur film étranger ». Le film Lionheart de l’actrice devenue réalisatrice Genevieve Nnaji faisait partie de la liste des 92 œuvres soumises dans la catégorie. Mais, surprise, il a été disqualifié. La nouvelle a été transmise par courrier aux votants, le 4 novembre. La raison ? Les dialogues du film sont, majoritairement, en anglais. Ainsi, si la dénomination même de la catégorie a récemment changé – de « meilleur film en langue étrangère » à « meilleur film étranger » – et ne suggère donc plus la langue du film, les règles, elles, restent les mêmes. L’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (Ampas), l’organisme chargé notamment des nominations, précise qu’un « film international se définit comme un long-métrage de cinéma (plus de 40 minutes), produit en dehors des États-Unis, dont les dialogues ne sont pas principalement en anglais ». Sur 1 h 35, Lionheart comprend un peu de moins de 12 minutes de dialogue en igbo, une langue surtout parlée dans l’est du Nigeria.
L’anglais, lingua franca…
Difficile pourtant de faire autrement pour un film nigérian, lorsqu’on sait que l’une des langues officielles du pays est justement… l’anglais. Une situation ubuesque qui a fait réagir la réalisatrice et actrice principale du film sur Twitter. « Ce film représente la façon dont nous parlons en tant que Nigérians. Cela inclut l’anglais qui sert de pont entre plus de cinq cents langues parlées dans notre pays », a-t-elle écrit. « Comme le français relie les communautés des anciennes colonies françaises. Nous n’avons pas choisi qui nous a colonisés. » Une opinion partagée par l’ancien ministre de la Culture Femi Fani-Kayode, pour qui, « après tout, l’anglais est notre lingua franca au Nigeria, même si nous détestons l’admettre », a-t-il fait savoir sur le réseau social.
… et langue nigériane
En réaction au tollé provoqué, le Comité de sélection des Oscars du Nigeria (NOSC) s’est rangé du côté de l’Académie. Et a fait savoir, via un communiqué repris par CNN, qu’il ne soumettrait à l’avenir que des films avec un dialogue non anglais. « Lionheart s’est conformé aux exigences liées à la technique, à l’histoire, au son et à l’image, sauf à celle de la langue définie par la matrice de sélection de l’Académie », a admis sa présidente, Chineze Anyaene.
À revers de cette perception, certains spécialistes estiment que l’anglais nigérian constitue en lui-même une langue étrangère. « En tant que linguiste et ancien professeur d’anglais, je me suis toujours demandé pourquoi l’anglais nigérian n’avait jamais été reconnu comme différent de l’anglais britannique et américain, s’interroge Kola Tubosun, dans le média African Arguments. Sa phonologie […], sa syntaxe […], ainsi que son lexique […] en font une langue différente. » « J’ai dû passer les examens du TOEFL [un test de niveau en anglais, NDLR] avant d’être admis dans une université américaine pour des études supérieures », raconte-t-il. Et d’ajouter : « Demandons aux locuteurs natifs de l’anglais britannique ou américain qui visitent le Nigeria s’ils comprennent toujours ce que nous disons en anglais au cours des premières semaines de leur arrivée. Il serait clair alors que nous parlons à peine la même langue. »
« Oscars so white »
L’incident écorne, un peu plus, l’image d’une instance régulièrement pointée du doigt pour son manque de diversité. Avec cette règle, et en réagissant de la sorte, l’Académie dévoile sa perception toute personnelle de l’Afrique, où on ne parlerait que des langues africaines. En oubliant un peu vite son histoire récente, celle d’un continent colonisé. Et cette occupation a laissé des traces, y compris dans le langage. Ainsi, pour la journaliste et écrivaine britannique d’origine ghanéenne Afua Hirsch, « le film reflète la manière dont de nombreux Nigérians – en tant qu’anciens sujets britanniques impériaux – parlent dans la vie réelle », affirme-t-elle dans une tribune publiée par The Guardian.
Schizophrénie linguistique
Dans les secteurs de « l’éducation, de la politique et dans les activités économiques formelles », l’anglais est privilégié. Et Afua Hirsch de rappeler comment, depuis la colonisation, la Grande-Bretagne s’est d’abord évertuée à imposer l’utilisation de l’anglais dans l’industrie du cinéma. « Les Britanniques considéraient le pouvoir du cinéma comme un outil de propagande essentiel pour leurs propres objectifs et insistaient par conséquent sur l’importance de censurer tout ce qui pouvait donner aux Africains un sentiment de fierté de leur histoire et de leur patrimoine », ajoute-t-elle. « À présent, cette même histoire coloniale est utilisée pour empêcher les Africains de réaliser leurs objectifs », s’agace la journaliste.
Mais les Nigérians échangent et communiquent entre eux, aussi, « avec des centaines de langues africaines. C’est l’héritage de l’Empire britannique, ce que certaines institutions américaines ne semblent pas en mesure de comprendre. » Pour appuyer son propos, elle donne en exemple le film Papicha, dont la plupart des dialogues sont en français, « une langue dont l’Algérie a hérité de ses colonisateurs ». Et qui n’empêche pas le film de faire partie des favoris de la compétition. Pour la journaliste, l’Académie montre là « un nouveau type de colonialisme inversé après une cérémonie de remise de prix qui est encore censée tirer les leçons du hashtag #OscarsSoWhite ».
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne : Lhi-tshiess Makaya-exaucée