D’abord à finalité économique, les engagements émiratis en augmentation sur le continent visent aussi des objectifs politiques.
Près de deux milliards de dollars. Tel est le montant du prochain investissement des Émirats arabes unis (EAU) en Angola. La somme, annoncée par l’agence de presse Macauhub début août, sera engagée dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie et de l’énergie. En huit mois, c’est la seconde fois que la puissance du Golfe débloque des fonds en direction de l’Angola. En janvier déjà, Luanda et Abu Dhabi avaient signé trois accords de coopération dans les secteurs de la production, du transport et de la distribution d’énergie, ainsi que dans le domaine de l’approvisionnement en eau potable. Des transactions qui permettront par exemple l’installation d’une centrale à Moxico, ainsi que l’implantation d’un système de transmission électrique. Objectif visé : intégrer l’est du pays à l’ensemble du réseau national d’électricité. C’est là l’illustration du fait que, traditionnellement plus portés sur les infrastructures, les investissements émiratis couvrent de plus en plus d’autres secteurs de l’économie africaine.
Derrière l’attrait économique…
Ainsi, de l’autre côté du continent, notamment dans la Corne de l’Afrique, fin juillet, les EAU ont injecté 100 millions de dollars en Éthiopie pour financer l’innovation et la technologie des petites et moyennes entreprises. Une enveloppe qui fait partie des trois milliards de dollars que s’est engagé à injecter Abu Dhabi dans l’économie éthiopienne. Ces chiffres confirment le résultat d’une étude menée en 2015 par la chambre de commerce de Dubaï qui affirme que, après l’Afrique du Sud, l’Afrique de l’Est est le deuxième pôle d’investissement des Émirats sur le continent.
L’intérêt pour l’Afrique, engagé dans les années 1990, se fait grandissant. « La dynamique s’est nettement accélérée en 2008, explique Marc Lavergne, géopolitologue spécialiste du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique. La crise économique mondiale a épuisé le modèle de Dubaï. Dès lors, le regard des dirigeants émiratis s’est tourné vers le continent voisin. » Les autorités des EAU, qui tirent la majorité de leurs revenus des hydrocarbures, entament une nouvelle ère économique : celle de l’après-pétrole. Désormais, le cap est mis sur l’industrie, les technologies et les services notamment. « Les Émirats ont bien pris conscience qu’ils ne pèseraient pas grand-chose face à l’autonomie américaine en énergie et au développement des énergies renouvelables. L’Afrique, c’est l’endroit où sont encore stockées les ressources, affirme le chercheur. Pour le royaume, le continent devient alors une terre d’opportunités. »
… l’intérêt politique
Dans la Corne de l’Afrique, la monarchie concentre ses investissements dans les infrastructures. La société DP World, dont Dubaï détient une participation majoritaire, construit un port à Djibouti. Depuis 2015 et le déclenchement de la guerre du Yémen, « les pays du Golfe ont amplifié leur influence dans la région », assure la chercheuse Roukiya Mohamed Osman dans une note d’analyse politique publiée par le think tank « Thinking Africa ». En effet, au-delà des motivations économiques, l’intérêt est politique. « Abu Dhabi veut plus que de la rentabilité. Il veut exister aux yeux du monde », soutient Marc Lavergne.
En 2018, avec l’Arabie saoudite, les Émirats se présentent en médiateur d’un conflit vieux de vingt ans entre l’Éthiopie et son voisin érythréen. Le 9 juillet, les pourparlers se concluent par la signature d’un accord de paix historique entre les deux nations. « Les autorités émiraties usent de ce soft power pour se construire une image à l’international. Et en plus, ils acquièrent des “clients” africains. Des relations de bon augure pour leur conquête économique. »
Des engagements pour stabiliser des pays
Ailleurs sur le continent, c’est par le biais de ses entreprises à dominante étatique que l’influence émiratie se joue. Après le rachat de Maroc Telecom en 2014, Etisalat – opérateur historique des Émirats – est ainsi devenu l’un des principaux acteurs du marché des télécommunications en Afrique de l’Ouest. Autre exemple, la présence grandissante des deux banques panislamiques Abu Dhabi Islamic Bank et Union National Bank en Afrique du Nord. L’augmentation du taux de bancarisation de la population pourrait bien, dans un futur proche, accentuer l’influence grandissante d’Abu Dabi dans l’économie de la région.
En effet, depuis 2011, les Émirats ont investi au total près de 15 milliards de dollars dans la région. Pour la seule année 2018, les investissements réalisés par les entreprises émiraties dans le pays ont atteint 6,66 milliards de dollars. Une somme qui fait d’ailleurs de la monarchie le premier pays pourvoyeur d’investissements directs à l’étranger (IDE) vers l’Égypte. Ressource gazière, immobilier et corps militaire… l’argent du Golfe est associé à de multiples secteurs en Égypte. Ouvertement hostiles aux Frères musulmans, les Émirats tenteraient-ils de financer – et donc de soutenir – le régime d’Abdel Fattah al-Sissi ?
« Il n’y a pas de dépenses spécifiques au maintien du président en place, répond Marc Lavergne. Mais investir et financer l’Égypte leur garantit la stabilité de leur environnement. » Une manœuvre que les Émirats ont réitérée cette année au Soudan. Avec l’Arabie saoudite, ils ont promis une aide de trois milliards de dollars. Pour le média américain Bloomberg, la promesse n’est pas une bonne nouvelle pour les Soudanais. Selon le média, « les Saoudiens et les Émiratis ont intérêt à empêcher une transition démocratique au Soudan, de peur que leur propre peuple apprenne qu’une démocratie arabe est possible ». De quoi réaliser combien l’engagement économique impacte le politique.
Source: Le point Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée