Frontières terrestres, aériennes et maritimes strictement fermées ainsi que supermarchés, restaurants, jardins publics, marchés en plein air et tous lieux de regroupement. Le couvre-feu de 18h à 6h a été vite transformé en confinement total et les hôpitaux du pays sont tous aux aguets. Grâce aux moyens les plus draconiens et des décisions prises très tôt, alors que le pays compte ce mardi matin 89 cas et a enregistré 3 morts, la Tunisie est le pays africain qui maîtrise le mieux la pandémie. Avec une mobilisation policière en état d’urgence !
Lundi soir. Trois jours plus tôt, le chef du gouvernement a tenu un discours longtemps attendu. Fermeté, gravité, intransigeance, il annonce une série de mesures extrêmes dont la fermeture de tous les supermarchés. En conséquence, l’Etat s’engage à aider les épiceries de quartiers à se ravitailler. Le nombre de malade est maîtrisé, quelques dizaines, contrairement aux autres africains où la moyenne de contamination va de 25 à 30% chaque jour, la Tunisie stabilise sa contamination qui ne dépasse pas les 14%. Pourtant, le pays ne baisse pas les bras. Ennasr 1 et 2, la Soukra, Mensah, Ariana, et Laouina, les quartiers périphériques sont encerclés par la police. Le centre ville est bouclé, des barrages de police se multiplient, l’armée est appelée à la rescousse et se positionne au niveau des sorties d’agglomérations urbaines. Le pays de Ben Ali est en état d’urgence, pire, en état de guerre contre le Coronavirus. Au début du couvre-feu, la police interpelle quelques réfractaires, essentiellement des subsahariens. L’Association des étudiants et stagiaires de l’Afrique en Tunisie (Aesat) a été alertée, la police lui demande de sensibiliser ses communautaires. La faîtière panafricaine publie un avertissement. Très vite, l’ordre revient à Tunis et les dispositions restrictives sont respectées. Rien de plus normal dans un pays longtemps policier.
Mesures sociales à la hauteur
Les louages. C’est le nom générique pour désigner les minibus destinés aux transports interurbains. A Moncef B, la principale station de louages, tout est fermé ce lundi matin. Il est donc théoriquement impossible de quitter une ville pour une autre localité. Si 1,5 millions de Tunisiens continuent, compte tenu de la nature de leurs activités professionnelles, à travailler, l’immense majorité est soumise au confinement et l’Etat a débloqué 300 millions de dinars (environ 100 millions d’euros) pour accompagner les chômages techniques. Sur une période de 6 mois au profit des personnes dont le salaire ne dépasse pas 1000 dinars, un report de paiement est accordé pour les crédits alors que 150 millions de dinars sont en urgence alloués aux populations les plus vulnérables. Les impôts sont mis en sursis. Les droits de sécurité sociale versés par les employeurs et toutes formes de dettes contractées par les entreprises sont reportés alors qu’à côté d’un fonds spécial de 500 millions de dinars pour « permettre aux institutions bancaires de continuer à octroyer des crédits », 700 millions seront mobilisés pour accompagner les entreprises sinistrées. L’armée est mise en alerte, pour activer le service de santé en son sein et mobiliser des médecins militaires à la retraite. Des hôpitaux de fortune installés par la grande muette sont prévus et au ministère de la sécurité, on y travaille déjà assidûment. De son Palais de Carthage, Kaïs Saïed préside chaque jour une réunion de crise. A la tête du pays depuis octobre 2019, cet intransigeant intellectuel prend la pandémie très au sérieux. A 62 ans, le constitutionnaliste ne veut prendre aucun risque et s’est mis en auto-confinement, annulant des dizaines de rendez-vous. Mais la situation est loin d’être explosive.
Une situation non-explosive
La Tunisie ne fait pas face à des contaminations explosives comme on l’a constaté dans d’autres pays du Maghreb notamment le Maroc et l’Algérie. Le weekend dernier, le nombre de cas confirmés était de 60 selon le ministre de la santé mais depuis, plusieurs cas ont été détectés dans plusieurs quartiers, essentiellement périphérique vers le sud ouest de Tunis. Au moment où nous mettons cet article sous presse, la Tunisie approche la centaine de malades détectés. La plupart de ces quartiers ont été bouclés par la police et toute pénétration interdite « immédiatement ! » insiste le chef de la police. Malgré un retour massif de Tunisiens vivant en Europe, notamment en France et en Italie, le pays n’a pas été exposé que ça et sur les 15.000 personnes en auto-confinement, le tiers a déjà dépassé la période d’incubation qui est de 14 jours. Dans la foulée, sans attendre des examens approfondis, le gouvernement a, « après avoir consulté un collège de médecins », approuvé l’utilisation de la chloroquine et le pays a mis la main sur les stocks disponibles sur tout le territoire. En attendant, tout regroupement de plus de trois personnes est interdit et même s’il est encore loin de la centaine de cas, le pays se prépare, selon la présidence, à faire face à une épidémie de grande ampleur.
Un système de santé enviable
Avec 22.000 médecins en 2020, la Tunisie est le pays africain le mieux loti. Il compte des spécialistes chevronnés dans tous les domaines. En matière de système de santé, la Tunisie, avec ses plateaux techniques plutôt proches des pays développés a une énorme avance sur les autres pays africains. Avec seulement 11 cas hospitalisés dont une seule guérison pour l’instant, le pays a opté « le confinement et le suivi des malades chez eux » Nissaf Ben Alaya qui dirige l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergeantes. Mais grâce à son système de santé enviable, plus de 200 médecins pour 100.000 habitants soient 15 à 20 fois la moyenne sur le continent, La Tunisie, avec sa stratégie de n’hospitaliser que les malades les plus atteints, devrait continuer à contenir la pandémie. Mais en attendant, la rigueur est de mise.
Quoiqu’il arrive, n’ayant jamais géré une telle pandémie, le Covid-19 sera l’occasion pour la Tunisie de confronter son système de santé à une situation exceptionnelle et sans doute de l’améliorer. Le ministre de la santé a déjà prévenu que la Tunisie pourrait aider ses voisins en cas de besoin face au Coronavirus.
MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Tunis