Pour l’épidémiologiste camerounais Yap Boum II, « nous devons tous respecter les règles sanitaires » pour stopper la pandémie du Covid-19.
Relativement épargné jusqu’à présent, le continent africain voit le nombre de malades du Covid-19 grimper en flèche. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que l’Afrique « doit s’attendre au pire ». Les mesures de prévention se multiplient, même si celles qui ont fait leurs preuves en Asie et en Europe sont difficilement applicables en Afrique.
Yap Boum II est épidémiologiste et représentant régional d’Epicentre, la branche Recherche et épidémiologie de Médecins sans frontières. Il enseigne également dans les facultés de médecine de Mbarara en Ouganda, de Virginie aux Etats-Unis et de Yaoundé-I au Cameroun. Il est favorable à un confinement total avec une aide des Etats et de la communauté internationale.
Comment évaluez-vous les mesures prises par les pays africains ?
Yap Boum II La plupart des pays africains ont réagi rapidement. Certains ont imposé des mesures de confinement alors même qu’ils ne connaissaient encore que très peu de cas. En Europe, on a parfois attendu 10 000 cas avant de réagir. C’est positif, mais n’oublions pas que nous avons tous un rôle à jouer contre cette pandémie, pas uniquement l’Etat. Nous devons tous respecter les règles pour la stopper.
Dans les rues africaines, de nombreuses personnes continuent de croire que le Covid-19 est une maladie « de Blancs » et que « les Noirs sont résistants » ?
Une grande partie de la population a pris cette pandémie à la légère, influencée par de fausses informations qui laissaient croire que les Noirs bénéficiaient d’une sorte immunité. Les informations diffusées sur les réseaux sociaux sur les situations en Asie et en Europe ont même amplifié ces sentiments. On a vu des milliers de morts ailleurs et chez nous jusqu’à présent peu.
Nombre d’entre nous ont pensé qu’on était plus résistant au virus et qu’il ne survivait pas aux hautes températures. Et, même aujourd’hui, alors que le coronavirus tue dans les pays chauds comme le Burkina Faso, on a du mal à se défaire de ce genre d’idées. On constate pourtant que la pandémie touche l’Afrique malgré la chaleur.
Que faire pour convaincre ces populations de la réalité de la menace ? Pensez-vous que les gouvernements africains ont fait assez de pédagogie ?
On ne communique pas de façon pertinente sur le Covid-19. On donne aux gens les gestes barrières – se laver les mains, ne pas serrer la main d’autrui –, mais on devrait commencer par expliquer en quoi consiste le virus, comment il se transmet, ses risques, et comment nos habitudes de vie ont un impact sur sa propagation. Au Cameroun par exemple, le gouvernement a édicté treize règles pour faire face à cette épidémie, dont celle de limiter les rassemblements à cinquante personnes. Ce qui sous-entend pas d’obsèques publiques
Samedi dernier [28 mars], l’un de nos hauts dignitaires a été enterré devant une assemblée de 500 personnes. Les funérailles sont passées au journal télévisé. Comment la population peut prendre la pandémie au sérieux dans ces conditions ? Même réaction quand le président de l’Assemblée nationale, de retour de France, se présente au Parlement pour sa réélection. Les autorités doivent montrer l’exemple, sans quoi le message ne passera pas.
On sait aussi qu’une vingtaine de personnes sur les quatre-vingts testées positivesde retour d’Europe n’ont pas respecté leur quarantaine. Elles sont probablement en train de transmettre le virus… Je pense qu’il faut responsabiliser les gens, en leur posant la question de cette manière : « Voulez-vous vous rendre coupable de propager une pandémie dans votre communauté ? »
L’OMS dit que l’Afrique doit se préparer au pire. Avez-vous le même sentiment ?
L’Afrique cumule les faiblesses. Les structures sanitaires sont déficientes sur le continent. Au Cameroun par exemple, nous avons une capacité de 550 lits pour les cas confirmés sans complication. Pour les cas plus graves, Médecins sans frontières met à disposition 80 lits dans un premier temps.
Nous nous mobilisons, et notamment le docteur Georges Alain Etoundi qui est en première ligne dans ce combat. Mais si on doit faire face à des cas sévères, nous n’aurons pas assez de respirateurs. Actuellement, nous ne pouvons pas prendre en charge plus de dix patients en réanimation… On espère que le gouvernement a compris l’urgence, sinon une partie de notre population sera décimée. En outre, on fait face à de nombreuses inconnues : on ignore comment nos organismes vont réagir face à une co-infection de paludisme et de coronavirus.
Je reste toutefois optimiste du fait de la jeunesse de notre population – le virus touche davantage les personnes âgées –, mais aussi de sa résilience. A Yaoundé, je vois tous ces jeunes qui rivalisent d’idées pour produire des masques. Ça me donne de l’espoir.
Quelle est pour vous la solution ?
On va la découvrir en avançant, malheureusement. Au début, on pensait que contrôler les entrées aux aéroports en prenant la température suffirait. On a compris que de nombreux malades étaient asymptomatiques et donc qu’on laissait passer des cas. On a changé de stratégie et fermé les frontières. Cela ne suffit plus, car la contamination est devenue locale.
Pour moi, il faut dépister massivement. Aujourd’hui, nous disposons de 20 000 tests au Cameroun reçus de partenaires comme les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Agence fédérale des Etats-Unis en matière de protection de la santé publique) ou encore Ali Baba. Il en faudra plus dans le cas où l’épidémie progresse dans le pays.
Ensuite, je suis partisan d’un confinement total, un confinement avec une aide de l’Etat pour fournir aux populations l’eau et le savon nécessaires au geste essentiel du lavage des mains, mais aussi pour éviter aux travailleurs de l’informel (70 % au Cameroun) d’avoir à sortir pour s’alimenter. En Chine, ça a fonctionné parce qu’on apportait aux gens de quoi manger. Les Etats africains ne pourront pas nourrir tout le monde, c’est pour cette raison qu’il est temps de faire appel aux philanthropes et à la solidarité africaine.
Un confinement total est-il envisageable, alors que le principe de distanciation sociale est très compliqué dans les sociétés africaines ?
Le problème n’est pas uniquement culturel, mais économique. Les Africains commencent à avoir peur, se ruent sur les masques, les solutions hydroalcooliques, la chloroquine. Beaucoup se confinent sans attendre une décision des autorités. Malheureusement, ce sont nos modes de vie qui risquent de favoriser la propagation du virus. Nous partageons nos chambres, vivons dans la promiscuité. Un de nos patients a contaminé cinq membres de sa famille parce qu’il partageait son lit avec un frère, puis le virus s’est propagé. Il faut qu’on puisse isoler rapidement les cas détectés… Un véritable défi.
Les pays touchés par d’autres épidémies, comme Ebola ou le choléra, partent-ils avec de l’avance ?
Certainement. Ils ont du personnel formé, des infrastructures, des laboratoires, du matériel de diagnostic. Mais cela ne fait pas tout. Le professeur Muyembe, qui a travaillé sur Ebola en République démocratique du Congo, craint que son pays ne soit pas prêt parce qu’Ebola a sévi dans la brousse, dans les provinces de l’Equateur et du Nord-Kivu, mais jamais en ville et encore moins dans la capitale Kinshasa.
Un exemple intéressant est celui de la gestion de la fièvre de Lassa par le Nigeria. Ils ont mis en place un système de surveillance qui leur a permis de retracer la contamination.
De plus, les pays qui ont réellement investi ces dernières années dans leur système de santé, ont suivi les préconisations de la conférence d’Abuja de 2001 – à l’issue de laquelle les Etats membres de l’Union africaine se sont engagés à allouer 15 % de leur budget à la santé –, et ont plus de chance de s’en sortir face à l’épidémie. Mais c’est avant qu’il fallait investir.
La recherche africaine est-elle mobilisée ?
Oui, le Cameroun a lancé un appel à projets de recherche sur le Covid-19. En quatre jours, le Centre national d’opérations d’urgence en santé publique (Cnous) a reçu près de cinquante projets de chercheurs camerounais. Epicentre [la branche Recherche et épidémiologie de Médecins sans frontières] va accompagner la mise en place au Cameroun et au Niger d’essais cliniques pour tester l’hydroxychloroquine en préventif chez les personnels de santé et en traitement chez les patients atteints du Covid-19, mais aussi l’évaluation de tests de diagnostic rapide qui pourraient jouer un rôle majeur dans cette pandémie.
La recherche sur les médicaments, les vaccins et autres tests sont soumis à des comités d’éthique nationaux et internationaux afin de protéger les personnes et ne pas en faire des cobayes. Cette recherche en conditions de crise est indispensable. Sans elle, nous n’aurions pas eu le vaccin contre le virus Ebola, qui a pu être testé en Guinée pendant la grande épidémie de 2013 à 2016.
Source: Le Monde Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée