Le nombre de malades du Covid-19 augmente fortement sur le continent. L’OMS tire la sonnette d’alarme. Mais la flambée se concentre dans quelques pays et les experts relativisent.
C’est la directrice régionale de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Afrique qui, la première, a sonné le tocsin le 11 juin dernier. « Il a fallu 98 jours pour atteindre la barre des 100 000 cas [de coronavirus en Afrique] et 18 seulement pour franchir celle des 200 000, a martelé Matshidiso Moeti avant d’insister : il est clair que la pandémie s’accélère. »
Depuis, les chiffres lui ont malheureusement donné raison puisque le cap des 300 000 malades a été franchi le 21 juin. Quant aux décès, on devrait passer la barre des 10 000 d’ici à la fin de la semaine en cours. Le 18 juin, le Dr Moeti enfonçait encore le clou : « Même si le nombre de cas et de morts est très inférieur à ce que l’on a constaté dans d’autres régions du monde, la pandémie est encore en phase ascendante. Le pic n’est pas atteint dans la plupart des pays du continent. »
C’est l’un des points les plus inquiétants : cette idée d’un « pic » de contaminations à venir, qui entretient la crainte d’une situation devenant incontrôlable. Les autorités de plusieurs pays du continent annoncent pour l’heure que le pic en question pourrait survenir entre août et septembre.
Dans le détail, on constate cependant que la pandémie connaît des situations très variées d’un pays à l’autre. Entre le 9 et le 16 juin, indique ainsi l’Africa CDC (la structure, rattachée à l’Union africaine, qui coordonne les Centres africains de prévention et de lutte contre les maladies), cinq pays concentraient à eux seuls 63 % des nouveaux cas : l’Afrique du Sud, le Cameroun, l’Égypte, le Ghana et le Nigeria.
Si l’on rapporte le nombre de malades à la population totale, les pays les plus affectés sont l’Afrique du Sud, le Cap-Vert, Djibouti, le Gabon et São Tomé. Tandis que sept pays africains affichent à ce jour un taux de létalité supérieur à la moyenne mondiale (qui est de 5,5 %) : l’Algérie, le Burkina Faso, le Liberia, le Mali, le Niger, le Soudan et le Tchad.
Peu d’augmenation
Si la situation dans la plupart des pays cités peut donc être considérée comme inquiétante, il n’en va pas de même partout, explique Matshidiso Moeti : « Au cours des sept derniers jours, 55 % des nouveaux cas sont apparus en Afrique du Sud. Parallèlement, on observe aussi quelques pays qui restent sous les 100 cas et où il n’y quasiment pas d’augmentation, comme les Seychelles, l’Ouganda, la Gambie, la Namibie, le Botswana ou le Lesotho.
Et également des pays qui ont connu une transmission communautaire mais où un fort ralentissement est observé, avec uniquement ou principalement de nouveaux cas importés, comme le Burkina Faso et l’Algérie. » Précision sans doute en partie diplomatique : Alger avait fort mal pris d’être pointé du doigt lors d’une précédente communication de l’OMS et l’avait fait savoir avec virulence.
Certains observateurs continuent toutefois à s’interroger sur la réalité des chiffres annoncés. Comme depuis le tout début de la pandémie, ces pessimistes se demandant si le faible nombre de cas affiché en Afrique n’est pas tout simplement dû à des lacunes dans la détection, au trop faible nombre de tests effectués.
Sur ce point, l’OMS comme le CDC se veulent rassurants : même s’il est possible que le continent compte un taux de malades asymptomatiques supérieur à ce qui a été observé ailleurs – du fait notamment de la jeunesse de sa population –, il semble exclu que des malades ou des morts du Covid échappent aux radars dans des proportions autres que marginales.
Le Dr Moumouni Kinda, directeur des opérations de l’organisation non gouvernementale ALIMA, en poste au Sénégal, est du même avis : « Il y a certes une faiblesse dans le testing, qu’on a aussi observée dans des pays ayant beaucoup plus de ressources. Mais on a aujourd’hui suffisamment de recul pour lier le faible nombre de cas à d’autres facteurs : jeunesse de la population, faible urbanisation, moins de brassage intra- et inter-urbain, plus grande précocité dans la prise des mesures de protection… Je suis affirmatif sur ce point. »
La mission des autorités sanitaires continentales (OMS, CDC), cependant, demeure très compliquée et cela explique la prudence de leurs discours. D’un côté, l’augmentation du nombre de cas sur le continent est réelle et doit être soulignée pour éviter que les populations – mais aussi les autorités et les entreprises – n’oublient les mesures de précaution qui ont permis de limiter la propagation du virus.
IL EST URGENT D’ALLÉGER CERTAINES MESURES AFIN DE LAISSER LES ÉCONOMIES REDÉMARRER
De l’autre, il faut éviter les discours trop catastrophistes, car si l’impact sanitaire de la pandémie reste à ce jour limité (l’Afrique ne recense que 3,4 % des cas et 1,7 % des décès dans le monde au 22 juin), les conséquences économiques et sociales, elles, sont déjà dramatiques dans certaines régions. Et les prévisions d’évolution du PIB sont devenues négatives pour tout le continent. Il est donc urgent d’alléger certaines mesures afin de laisser les économies redémarrer.
Logique du pire
C’est en gardant cela à l’esprit qu’il faut consulter les différents scénarios régulièrement mis en avant, tels ceux qui prévoient un pic de contamination en septembre, en Afrique du Sud notamment. « Le problème de ces fameux scénarios, explique le responsable des « data analytics » d’un grand cabinet de conseil international, c’est qu’au départ ils n’ont pas vocation à être rendus publics. Nous avons des systèmes de modélisation éprouvés et fiables, mais d’une part ce virus est nouveau et on apprend chaque jour des choses sur son mode de propagation, d’autre part nos prévisions donnent des chiffres qui se confirmeront si aucune mesure n’est prise. »
Or le but des scénarios est justement de mesurer la gravité de la situation et d’adapter la réponse, tant sur les plans sanitaire qu’économique ou social. Paradoxalement, les prévisions à deux ou trois mois ont donc vocation… à être fausses, puisque le but est d’inciter les autorités à réagir pour que ces scénarios ne se concrétisent pas.
LES PRÉVISIONS À DEUX OU TROIS MOIS ONT VOCATION À ÊTRE FAUSSES
« Nous faisons des simulations, poursuit l’analyste. Si un pays impose le port du masque ou un confinement dans telle ville, nous pouvons prédire combien de contaminations vont être évitées, mais aussi combien d’emplois vont être perdus, combien cela va peser sur les finances publiques… Ensuite, c’est aux autorités d’arbitrer, de faire ce qu’on appelle un « trade-off », sachant que de toute façon il y a toujours des dégâts. »
Mesurer l’impact de mesures impopulaires
On l’aura compris, il s’agit ici de mesurer l’impact de ce qu’on appelle les « INP », les interventions non pharmaceutiques. C’est-à-dire toutes les mesures de lutte contre la pandémie qui ne relèvent pas strictement du domaine médical : confinement, isolement des malades, distanciation sociale, etc. Autant de mesures souvent impopulaires, ou du moins « jugées conservatrices », pour reprendre l’expression de la ministre congolaise de la Santé, Jacqueline Mikolo, mais tout à fait fondamentales, assure l’OMS. Qui a calculé début juin que sans ces INP, la Chine aurait connu 465 fois plus de cas, l’Italie 17 fois plus et les États-Unis 14 fois plus.
Autant dire que pour précis qu’ils soient, les multiples scénarios qui prétendent décrire le développement futur du Covid-19, en Afrique comme ailleurs, doivent être considérés pour ce qu’ils sont : des hypothèses, des extrapolations mathématiques, qui misent en général sur le fait que c’est le pire qui va advenir.
UN FORT ENSOLEILLEMENT POURRAIT RÉDUIRE LES RISQUES DE CONTAMINATION
Or cela n’a rien de certain. D’abord parce que le rythme de propagation en Afrique – « nettement plus lent qu’ailleurs », comme le souligne le Dr Kinda – ne peut pas être comparé à ce qui s’est passé en Asie, en Europe ou en Amérique. Ensuite parce que de nombreux facteurs peuvent influer sur la destinée du virus.
Début juin, par exemple, l’Africa CDC et l’OMS ont communiqué sur une nouvelle étude qui démontre qu’en laboratoire du moins, le rayonnement solaire réduit considérablement le temps durant lequel les particules contaminantes flottant dans l’air (sous forme d’aérosol) restent actives. Un fort ensoleillement pourrait donc réduire les risques de contamination, même si les scientifiques demeurent prudents.
Un taux de létalité très inférieur à la moyenne mondiale
Difficile, dès lors, de déterminer ce qu’il va se passer durant l’été. Le nombre de cas va continuer à progresser à l’échelle du continent, cela semble inévitable, mais le nombre de morts restera sans doute peu élevé, l’Afrique se distinguant par un taux de létalité très inférieur à la moyenne mondiale (2,6 %) et par un nombre de patients guéris déjà important (plus de 150 000 le 23 juin, soit 47,7 % des cas recensés).
Peut-on pour autant prédire un « pic », un moment où le continent entier atteindrait un niveau maximum de contamination ? Beaucoup assurent que oui, mais Moumouni Kinda se dit sceptique : « Il faut oublier cette idée de pic, à l’image de ce qui a été observé en Europe ou en Amérique. Je parierais plutôt sur de petits pics dans des lieux où les contaminations seraient accélérées par des regroupements de populations. Par la suite, on pourra peut-être observer une augmentation du nombre de cas compliqués, par exemple si les personnes âgées sont fortement contaminées dans les lieux en question. Il faut les protéger en priorité. Mais ces pics seront assez limités dans le temps et circonscrits à des zones géographiques précises. »
Pas de scénario catastrophe donc, mais pas d’angélisme non plus. Comme le souligne l’épidémiologiste français Eric D’Ortenzio, « le virus circulera encore probablement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. D’épidémique, la situation va devenir endémique ». Le Covid-19 risque alors de venir s’ajouter à la trop longue liste des maladies infectieuses (VIH, paludisme, tuberculose…) qui ravagent chaque année le continent.
Source: Jeune Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée